La sculptrice Rose-Aimée Bélanger dans son studio. Gracieuseté

EARLTON – La sculptrice franco-ontarienne Rose-Aimée Bélanger est décédée entourée de ses proches dimanche dernier, le 12 novembre. L’annonce a été faite mardi soir sur la page Facebook Rose-Aimée Bélanger – artiste. Cette femme au destin hors norme avait célébré son 100e anniversaire le 4 juillet dernier.

Si les œuvres de Rose-Aimée Bélanger sont reconnues partout dans le monde, les circonstances de son parcours sont encore plus exceptionnelles. Femme de son époque, elle avait laissé de côté ses ambitions artistiques pour se concentrer sur le rôle de mère, qu’elle jouera auprès de neuf enfants.

À 46 ans, sa participation à des cours de modelage offerts par sa bru, Claude Papineau-Couture, réveille l’artiste qui connaîtra par la suite une carrière fulgurante. C’est au tournant du millénaire, à 77 ans, que Rose-Aimée Bélanger atteint le sommet de son art. La biographie Rose-Aimée Bélanger, à l’ombre des chuchoteuses, écrite par Danielle Carrière-Paris, retrace le parcours atypique de cette femme à la fois victime de son époque et en avance sur son temps.

Rose-Aimée Bélanger s’est éteinte dimanche, à l’âge de 100 ans. Crédit image : Louise Tanguay

Le bronze et les courbes

La biographie tient son titre des Chuchoteuses, l’une des œuvres emblématiques de Rose-Aimée Bélanger. Installée à la placette St-Dizier de Montréal en 2006, elle est la sculpture la plus photographiée par les touristes dans la métropole québécoise. Rose-Aimée Bélanger aimait donner des courbes à ses personnages, tel qu’elle l’explique dans une citation incluse dans le livre : « J’ai remplacé le réalisme chez mes personnages par la simplicité des formes arrondies (…) c’est la tendresse que j’essaie d’évoquer par les rondeurs. » Cette tendresse est présente dans les postures et les regards de ses personnages.

L’idée de celles qu’elle appelait ses « rondes » lui est venue lorsqu’elle cherchait à représenter des cueilleuses de bleuets, une activité importante dans le Nord de l’Ontario. C’est en regardant une femme accroupie pour prendre une photo que l’artiste remarque les courbes postérieures généreuses et que l’inspiration se manifeste.

Les trois faunes de Rose-Aimée Bélanger. Crédit image : Marie-Pierre Bélanger

La Franco-Ontarienne sculptait auparavant dans le grès, et cette technique servit ensuite comme base à ses sculptures de bronze. Ce métal se prête mieux aux courbes, est moins fragile et lui permet de créer de plus grandes sculptures, en plus de faire des économies.  

Pionnière franco-ontarienne et féministe du quotidien

Née Rose-Aimée Clémentine Morin à Guérin, dans le Témiscamingue québécois, Rose-Aimée Bélanger est arrivée en Ontario en 1946. C’est d’abord à Timmins qu’elle s’installe avec son mari, Laurent. Elle y donne naissance à leurs cinq premiers enfants et doit aussi y vivre le deuil de son fils Charles, décédé en bas âge.

En 1953, la famille déménage à Earlton, officiellement pour participer au développement du Nord de l’Ontario. Mais selon sa fille Charlotte, citée dans la biographie À l’ombre des chuchoteuses, Laurent aurait probablement voulu offrir un nouveau départ à sa femme suite au drame et à l’isolement.

Rose-Aimée Bélanger à l’œuvre. Crédit image : Louise Tanguay

Si elle était née deux ou trois générations plus tard, Rose-Aimée Bélanger n’aurait probablement pas eu autant d’enfants, même si elle a profondément aimé chacun d’eux. Lorsqu’elle parlait de ses grossesses et accouchements, elle utilisait le verbe « pondre ». Elle s’offrait parfois des séjours en solo à Toronto, une habitude qui serait moins étonnante aujourd’hui. Elle refusait de se rendre à l’église le dimanche et a même montré la porte au curé qui la sommait de faire un autre enfant alors qu’elle en avait déjà eu huit.  

Plus jeune, elle aurait voulu étudier en arts, mais des membres de sa famille l’en ont dissuadée, même s’ils l’encourageaient à aller à l’université. À Montréal, elle a suivi des cours du soir en cachette, mais s’absentait souvent, car elle trouvait l’enseignement trop rigide.

Réactions

Ce côté rebelle contrastait avec sa personnalité humble et discrète. Rose-Aimée Bélanger détestait les tournées médiatiques, qu’elle confiait souvent à son fils Jean. Si l’artiste s’étonnait parfois de l’engouement suscité par ses œuvres, son parcours continuera d’en inspirer plus d’un.

Sa petite-fille, Charlotte Moses Bélanger, a écrit sur Facebook : « Une femme, une artiste forte, discrète, ricaneuse et d’une grande humilité nous laisse un héritage riche à partager avec nos proches, pour toujours. »

L’équipe du Musée d’arts de Rouyn-Noranda, qui lui avait consacré une exposition rétrospective en 2022, a offert ses condoléances à la famille, également sur sa page Facebook. Le député fédéral de Timmins-Baie James, Charlie Angus, l’a qualifiée d’artiste « incroyable. » « Elle a élevé une belle famille dans le Nord et a énormément contribué à la riche culture artistique du Canada », peut-on lire sur ses réseaux sociaux.  

C’est par un heureux hasard de la vie que Rose-Aimée Bélanger a découvert la sculpture, lorsqu’elle a eu accès à deux cours. Gracieuseté

En plus d’être une artiste exceptionnelle, Rose-Aimée Bélanger a contribué au développement de la francophonie dans le Nord, aux côtés de son mari et de ses enfants. Laurent et le couple Bélanger ont reçu plusieurs récompenses communautaires au fil du temps.

Leur fils Pierre est l’un des membres fondateurs de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO). Dans À l’ombre des chuchoteuses, Pierre se rappelle de femmes impressionnées après avoir visité l’atelier de Rose-Aimée. Celle dont la carrière a pris de l’essor dans la cinquantaine « leur insufflait, à son insu, l’espoir qu’elles puissent un jour en faire autant. »

Reportage d’ONFR à l’occasion du centième anniversaire de Rose-Aimée Bélanger