La voix des francophones fragilisée au sein du parti libéral de l’Ontario
TORONTO – En à peine deux mois, le caucus libéral a perdu ses deux seules députées francophones. Après la démission de Marie-France Lalonde, investie au fédéral, qui portera la voix des francophones à l’Assemblée législative de l’Ontario dans un parti décimé lors des dernières élections provinciales?
Après la députée d’Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers, recrutée cet été par l’Université de Toronto au poste de directrice du Collège Massey, c’est au tour de Marie-France Lalonde de déserter les bancs de l’assemblée provinciale. Investie par l’échelon fédéral pour défendre les couleurs libérales dans la circonscription d’Orléans, la dernière francophone du caucus provincial a remis sa démission vendredi dernier.
Déjà réduits à sept depuis juin 2018 et déchus de leur statut d’opposition officielle, les libéraux se comptent désormais sur les doigts d’une main à Queen’s Park. Autour du chef intérimaire John Fraser, siègent l’ancienne première ministre Kathleen Wynne, le Torontois Michael Coteau, l’ex-ministre de l’éducation Mitzie Hunter et le Nordiste Michael Gravelle.
« Une grosse perte » pour les intérêts franco-ontariens
« C’est une grosse perte pour la représentation franco-ontarienne à Queen’s Park », estime Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada, « d’autant plus que Marie-France Lalonde était l’ancienne ministre des Affaires francophones. Non seulement elle connaissait très bien les dossiers mais elle avait aussi cette image de représentante de la communauté à l’Assemblée législative. »
Le départ de Mme Lalonde n’était cependant pas une surprise. Elle avait fait savoir dès le printemps dernier son intention de sauter le pas au fédéral et son investiture était, en dépit de quelques protestations, hautement probable. Suffisant aux députés pour se réorganiser?
La caucus libéral en mode survie
En règle générale, après chaque élections, les députés se redistribuent les domaines de compétence mais, du fait de leur faible nombre, les libéraux se partagent déjà une multitude de dossiers. Difficile de croire qu’ils pourront assurer une présence sur tous les terrains.
« Avec une équipe aussi réduite, le parti devra établir les priorités sur lesquelles consacrer ses maigres ressources », analyse le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand. « L’avantage c’est que les cinq députés qui restent sont expérimentés et connaissent bien l’appareil public. Ils seront en mesure de prendre en charge plusieurs dossiers, ce qu’ils faisaient déjà. »
Dans ces conditions, la francophonie pourrait-elle passer au second rang? C’est une des grandes questions qui seront scrutées à la loupe des observateurs lors de la rentrée parlementaire mais aussi, et surtout, lors des prochaines élections partielles destinées à combler les deux sièges laissés vacants.
« Nous sommes un petit mais puissant caucus à Queen’s Park », affirme le chef libéral par intérim, John Fraser. « En tant que députés élus, nous devons défendre les intérêts de nos électeurs, dont bon nombre sont franco-ontariens. Nous avons toujours eu et continuerons d’avoir une forte représentation de la communauté franco-ontarienne. »
Des élections partielles cet hiver
« Si le parti libéral compte maintenir son statut de champion présumé de la question franco-ontarienne, il a la responsabilité de rester vigilant sur les dossiers qui touchent la communauté », insiste Mme Chouinard. « J’ose espérer qu’il y a des candidats pressentis pour remplacer ces deux figures importantes du parti dans deux circonscriptions (Ottawa-Vanier et Ottawa-Orléans) qui sont des piliers de la francophonie. »
Pour l’heure, aucune date n’est fixée. Le premier ministre, Doug Ford, est certes maître du calendrier, mais il devra toutefois déclencher le scrutin partiel avant janvier 2020 puisqu’un siège ne peut rester vide au-delà de six mois, selon le règlement législatif.
Le 7 septembre dernier, Lucille Collard a justement remporté l’investiture libérale pour la circonscription d’Ottawa-Vanier.
« Ottawa-Vanier, c’est là où on prend en partie le pouls de la communauté », rappelle Martin Normand. « Le parti libéral voudra certainement miser sur l’élection de Lucille Collard pour agrandir son caucus avec une voix francophone. »
Si le château fort libéral d’Ottawa-Vanier semble imprenable, Ottawa-Orléans est en revanche plus à la portée des conservateurs. Leur victoire serait perçue comme un vote de confiance de la politique provinciale dans un moment où Doug Ford, en chute libre dans l’opinion, en aurait le plus besoin.
« Orléans connaît une rapide transformation démographique », note M. Normand. « Il pourrait y avoir un candidat francophone côté libéral mais il faudra que les électeurs francophones sentent qu’ils ont toujours une place dans ce parti et que des candidats francophones se manifestent pour remplacer Marie-France Lalonde. On en n’est pas encore là. »
Un terrain cédé aux conservateurs et aux néo-démocrates?
Dans cette période de transition libérale, teintée de crise de leadership, le Parti progressiste-conservateur a regagné du terrain dans l’opinion en faisant aboutir le dossier de l’Université de l’Ontario français.
Un regain tout relatif selon Mme Chouinard : « Les conservateurs ont certes fait un pas vers la réouverture du dossier de l’UOF, suite au départ de Dean French du cabinet du premier ministre qui, selon les dires, était un des éléments qui bloquaient son avancement. » Par contre, nuance la politologue, « la méfiance règne toujours dans l’opinion. »
Entre la suppression du Commissariat indépendant aux services en français et la modernisation de Loi sur les services en français qui se fait toujours attendre, « il y a encore des points de tension entre la communauté et le parti au pouvoir », abonde M. Normand
Le momentum serait plutôt favorable aux néo-démocrates qui comptent dans leurs rangs des figures fortes qui ne se gênent pas pour revendiquer haut et fort des progrès au bénéfice des francophones, telles que France Gélinas, John Vanthof, Gilles Bisson ou encore Guy Bourgouin.
Un des points faibles du Nouveau Parti démocratique tempère Mme Chouinard, est que « ce réflexe franco-ontarien ne semble pas très présent dans la garde rapprochée de la chef du parti et de l’opposition, Andrea Horwath. Il y aurait pourtant une occasion à saisir. »
Dans ce contexte de retrait des autres partis, une autre variable pourrait jouer en faveur des libéraux : convaincre Amanda Simard de rejoindre leurs bancs. « Évidemment, ce serait un gros coup mais c’est à elle de faire un choix », dit Martin Normand, précisant qu’elle préfère attendre que la course à la direction soit conclue. « Elle veut voir qui sera élu chef du parti pour savoir si elle se reconnaît en lui. »
Une issue à double tranchant pour le parti libéral, qui s’attacherait les services d’une pourfendeuse des intérêts franco-ontariens mais dont l’étiquette conservatrice lui colle à la peau.