L’abrogation du Règlement 274 ou le pari de Lecce
[ANALYSE]
TORONTO – Dans le flot de nouvelles sur la pandémie et ses conséquences, l’annonce de Stephen Lecce, jeudi, est passée inaperçue. Le ministre de l’Éducation de l’Ontario vient pourtant de mettre fin à un règlement vieux de huit ans loin de faire l’unanimité.
Le Règlement de l’Ontario 274 mis en place en 2012 imposait l’embauche d’enseignants selon l’ancienneté. À partir du 29 octobre, le recrutement se fera selon les « qualifications, les compétences, la diversité et l’expérience pratique », a expliqué M. Lecce.
Ces changements ne seront pas effectifs pour les conseils scolaires catholiques anglophones. Lors des dernières négociations, l’Association des enseignantes et des enseignants catholiques anglo-ontariens (OECTA) s’est entendue avec le gouvernement pour conserver l’application du Règlement 274.
Du côté francophone, l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) dit avoir déjà négocié dans le passé une exclusion de ce règlement.
L’annonce de M. Lecce part à priori d’un bon principe : offrir plus de flexibilité aux conseils scolaires dans l’embauche, et de surcroît s’adapter aux nouvelles réalités de l’Ontario. Ces nouvelles mesures pourraient servir de tremplin à des enseignants de plus en plus racialisés, ou bien à de jeunes diplômés en recherche d’emploi. Ce dernier point se pose avec acuité dans les conseils anglophones où les demandes d’emploi tendent à dépasser l’offre.
À cet égard, M. Lecce veut caresser les enseignants dans le sens du poil. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Ford établit dans son discours une dichotomie entre les enseignants et les syndicats lesquels ne seraient pas des représentants légitimes.
D’ailleurs, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (FEEO) a immédiatement fustigé l’annonce de M. Lecce, comme une attaque envers « un processus d’embauche équitable ». Les accusations de népotisme dont le Règlement 274 était la cible n’avaient pas lieu d’être, selon le syndicat, d’autant que les employés expérimentés apportent une plus-value inestimable.
Des nouvelles réalités
Difficile de prédire l’impact de l’abrogation du Règlement 274. On peut tout de même affirmer qu’il épouse les contraintes d’une année 2020 inédite en raison de la pandémie. En quelques mois, l’éducation en ligne est devenue légion, et en la matière, tous les enseignants n’ont pas le même bagage de connaissances. Une plus grande flexibilité d’embauche serait un atout.
Les dégâts économiques induits par la COVID-19, dont les populations racialisées, immigrantes, et jeunes seraient les premières cibles, obligeraient par ailleurs à ne pas concentrer uniquement les embauches sur un échantillon de population plus âgé.
Relations difficiles entre le gouvernement et les enseignants
Toujours est-il que l’annonce de Stephen Lecce parviendra difficilement à éteindre l’orage entre le gouvernement et une partie des enseignants. Les grèves de l’hiver dernier ont laissé des cicatrices indélébiles dans les deux camps.
Pour ne rien arranger, les syndicats exigent plus de moyens financiers alloués aux écoles pour permettre le respect des mesures de distanciation sociale et la sécurité des élèves. L’équipe Ford aurait fait preuve de laxisme, en refusant notamment de réduire la taille des classes.
Dans une société en perpétuel changement, avec des défis inattendus comme la crise de la COVID-19, s’adapter et se doter de nouvelles approches sont obligatoires. Mais le dialogue entre le gouvernement et les syndicats doit accompagner chaque nouvelle initiative. L’incapacité de s’entendre et s’écouter pourrait avoir un grand nombre de victimes : les plus de deux millions d’élèves ontariens.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 17 octobre.