L’affichage en anglais, signe d’une perte d’identité chez Desjardins?

Le centre de services Ottawa-centre-ville de Desjardins. Crédit image: Benjamin Vachet

OTTAWA – Un affichage majoritairement en anglais dans le centre de services Ottawa-centre-ville provoque de vives réactions sur les médias sociaux contre Desjardins, accusée de perdre peu à peu son identité francophone.

« Your financial future has a new address »… Les deux affiches situées sur la devanture du centre, ouvert depuis quelques mois au coin des rues Bank et Albert, ont fait réagir après la diffusion d’une photo sur les médias sociaux par le journaliste franco-ontarien du Journal de Montréal Philippe Orfali, qui a aussi publié un article sur le sujet.

Pour beaucoup, cette campagne démontre l’abandon progressif par Desjardins de ses racines et de son identité.

« On peut comprendre ces réactions par la réalité historique et identitaire de Desjardins qui est liée à l’histoire de l’Ontario français. Desjardins a perdu de vue son mandat pour accroître ses parts de marché », juge Gilles LeVasseur, de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa.

L’affiche qui a semé la controverse, à Ottawa. Crédit image : Benjamin Vachet

Joint par ONFR+, le Mouvement Desjardins, qui gère depuis Montréal le centre de services au cœur des critiques, essaie de calmer le jeu.

« L’affiche mentionnée n’est pas unilingue anglophone, mais bien bilingue avec un texte en anglais plus volumineux que celui en français », justifie le conseiller en communication Jean-Benoît Turcotti. « Le point de service a adopté cette stratégie pour favoriser le développement de son offre à une clientèle anglophone dans ce secteur. »

Un exemple d’affiche bilingue dans le centre de services Ottawa-centre-ville. Gracieuseté Desjardins

Cette campagne d’affichage, assure-t-il, sera ponctuelle et le reste des affiches du centre sont bilingues, tout comme les services qui y sont offerts.

Perte d’identité

Mais cette stratégie interroge alors que Desjardins représente une institution majeure pour l’Ontario français qui a accueilli ses premières caisses en 1910.

« Il n’y a rien de mal à afficher dans les deux langues, mais là, on envoie le signal à la clientèle qui a créé l’institution qu’on néglige le français dans une région où les francophones sont nombreux. Il y a un risque de perte d’enracinement », estime M. LeVasseur.


« De par son identité, Desjardins ne peut pas avoir la même philosophie qu’une banque » – Gilles LeVasseur, École de gestion Telfer


Ce dernier remarque que l’anglais prédomine souvent chez les compagnies québécoises qui s’installent hors de leur province. Alors que Desjardins était pointée du doigt ces derniers jours, la chaîne de petit-déjeuner Cora essuyait le même flot de critiques pour des enseignes unilingues anglaises au Nouveau-Brunswick.

« Beaucoup de ces entreprises pensent que tout se passe en anglais hors de chez elles. »

À Montréal, M. Turcotti le reconnaît à demi-mot.

« Ça dépend d’où on va hors Québec, mais vous comprendrez que quand on va vers l’Ouest, on privilégie la langue la plus couramment parlée, même si les services sont disponibles en français et en anglais. »

Obligation commerciale

Toujours est-il que le cas de Desjardins diffère bien évidemment d’entreprises comme Cora, Allô! Mon Coco ou les appartements Lépine, citées par M. LeVasseur, du fait de son implantation historique dans la communauté franco-ontarienne.

« On peut questionner le choix stratégique qui a été fait », concède le directeur général du Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO), Julien Geremie. Il juge toutefois difficile de blâmer Desjardins d’afficher aussi en anglais. « Ce n’est pas une obligation, mais une nécessité. Si les membres de Desjardins ne sont pas à l’aise avec cette décision, ils peuvent la changer, mais il faut comprendre ce que cela voudrait dire en termes de perte de chiffre d’affaires. »


« Les coopératives comme les entreprises doivent faire avec les règles du marché » – Julien Geremie, directeur général CCO


À la Caisse populaire Alliance, qui regroupe, depuis 2017, les 12 caisses populaires du Nord de l’Ontario, le président et chef de la direction, Pierre Dorval approuve : « Si tu veux demeurer le partenaire numéro un du développement économique de ta région, tu ne peux pas ignorer la clientèle anglophone, même si tu ne dois pas non plus oublier d’où tu viens. »

Pour sa succursale de Ferris, à North Bay, la Caisse populaire Alliance a dérogé à sa règle en travaillant avec un unilingue anglophone à la création de messages en anglais, traduits ensuite en français, car « la population y est majoritairement anglophone ».

« On s’est plus ouvert à la clientèle anglophone ces dernières années. Mais ce n’est pas parce qu’on s’adapte que ça remet en question notre rôle pour la vitalité de la francophonie. »

Des balises de protection

Le directeur général de la CCO rappelle que des balises existent, Desjardins étant soumise à la Loi de 1994 sur les caisses populaires et les credits unions qui précise que sa gouvernance doit être en français.

M. Dorval confirme que lors des assemblées générales et des rencontres du conseil d’administration, tout se déroule en français, même si « à terme, des ajustements seront peut-être nécessaires ».

En voulant séduire de plus en plus une clientèle anglophone, le rapport de force pourrait s’inverser, juge M. LeVasseur.

« En ayant de plus en plus de membres anglophones, il risque d’y avoir une pression pour avoir les réunions et de la documentation en anglais. »

Faire rayonner la francophonie

M. Geremie expose la problématique sous une autre perspective.

« En s’ouvrant sur un marché plus large, les coopératives et entreprises franco-ontariennes deviennent le porte-étendard de l’Ontario français. Cela démontre que l’Ontario français a un poids économique dans la province! »

M. Dorval illustre que récemment, en changeant de compagnie de cartes de crédit, la Caisse populaire Alliance a choisi une entreprise qui avait du mal à proposer des services en français.

« C’était le meilleur produit, alors on a prévenu nos membres et relevé le défi. Aujourd’hui, nous travaillons fort pour nous assurer que le service soit bilingue d’ici la fin de l’année. Cela profitera à tous leurs clients francophones. »

Mais pour M. LeVasseur, des institutions comme Desjardins ne doivent pas oublier leur rôle de modèle.