L’Afrique minière francophone à Toronto : ping-pong sur les droits humains

Une mine dans la ville de Mongbwalu en République Démocratique du Congo. Crédit image: Spencer Platt/Getty Images

TORONTO – Plusieurs leaders gouvernementaux africains sont de passage à Toronto, à l’occasion du plus grand congrès minier de la planète. Le message de plusieurs acteurs de l’industrie canadienne à leur endroit est clair : sans respect des droits de la personne et de l’environnement, vous ne verrez plus d’investissements canadiens chez vous. Mais des ministres africains pointent, eux, du doigt les minières canadiennes, qui s’attendraient à des rendements trop élevés aux dépens des peuples locaux.

« Il y a un changement philosophique au niveau des bailleurs de fonds. Les gestionnaires de fonds sont en train de dicter ce qu’ils veulent. Et si on n’accepte pas leurs demandes, il n’y a pas de chèque. Et s’il n’y a pas de capital, alors pas de mine », a soutenu Benoit Lasalle, président du conseil canadien pour l’Afrique.

Actif dans le milieu minier depuis plusieurs décennies, il prenait la parole lors du volet francophone du congrès. Son message s’adressait aux leaders africains présents dans la salle, dont les ministres des mines du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire.

Une véritable « francophonie minière » existe ont réitéré plusieurs participants aux discussions, citant l’alignement entre des fonds d’investissements du Canada et du Québec, des entreprises minières francophones et des pays africains membres de la Francophonie.

Une mine dans la ville de Mongbwalu en République Démocratique du Congo. Crédit image : Spencer Platt/Getty Images

Les grands investisseurs, comme les fonds de pension ontarien Teachers et OMERS, ne veulent cependant plus être frappés par les scandales, a martelé M. Lasalle, s’appuyant sur les conclusions d’une étude plaçant la question des rendements bien loin dans l’échelle des priorités.

« La sécurité des gens est l’exigence numéro un. Puis, c’est la gestion des déchets miniers. Le troisième facteur est la gestion de l’eau et de la poussière », a-t-il lancé. « Maintenant, les droits humains, c’est une question de business », renchérit M. Lasalle.

Il faut dire que l’industrie minière canadienne est éclaboussée depuis un bon moment par les scandales. Le dernier en date : un reportage de l’émission Enquête sur des minières canadiennes, actives au Mexique et en Colombie, en conflit avec les populations locales. Le tiers des compagnies minières violeraient les droits de la personne, a-t-il été rapporté.

La réplique des leaders africains

« Beaucoup sont très sévères à l’endroit des États africains. Les analystes regardent seulement ce que font les employeurs clandestins, donc au niveau environnemental vous ne voyez pas les bons points », a dénoncé le ministre des Mines et de la Géologie de la Côte d’Ivoire, Jean Claude Kouassi, lors d’une table ronde pendant le volet francophone du congrès des mines.

« Les minières devraient contribuer à la formation de la jeunesse. Elles ne pensent pas à ce qui arrivera lors de la fermeture de la mine. Les travailleurs auront perdu leurs compétences agricoles et se retrouveront devant rien. Il faut que les mines financent des initiatives sociales autour des mines et partagent mieux la richesse », a-t-il poursuivi lors d’un entretien avec ONFR+.

Les ministres des mines du Burkina Faso, du Mali et de la Côte d’Ivoire : Oumarou Idani, Lelenta Hawa Baba Ba et Jean Claude Kouassi. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

Son homologue du Burkina Faso, Oumarou Idani, critique vertement les minières canadiennes. Plusieurs ne pensent pas aux peuples locaux, a-t-il soutenu.

« Parfois, les citoyens estiment que les dédommagements ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Que des compagnies minières viennent comme en terrain conquis et se comportent comme un îlot de prospérité dans un océan de misère », dit-il, en entrevue.

« Une compagnie tient compte de la profitabilité, alors que les autres acteurs ne résonnent pas de cette façon », ajoute-t-il.

L’Afrique minière en situation périlleuse

Toronto est la capitale mondiale du financement minier. 60 % des entreprises actives dans ce secteur sont canadiennes. L’Afrique, elle, compte 30 % des réserves minières mondiales. Mais les investissements canadiens sur le continent sont en chute libre. Et ce n’est pas étranger au faible bilan de plusieurs pays du continent en matière de droits de la personne et d’environnement, selon plusieurs participants au congrès miniers de Toronto.

L’ambassadeur du Canada en République démocratique du Congo, Nicolas Simard, a d’ailleurs lancé un appel aux dirigeants africains à ce sujet, lors de l’événement.

« Si on veut répondre aux demandes des investisseurs sur l’environnement, l’accessibilité sociale et la gouvernance, il faut renforcer la traçabilité des minéraux. Montrer aux consommateurs d’où viennent ces minéraux et où on les a obtenu. C’est un point extrêmement important », a-t-il lancé.

Manifestation en faveur des droits humains en marge du congrès miniers torontois. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

Un cri du cœur lancé alors qu’à quelques mètres de la rencontre une centaine de manifestants dénonçaient les manquements aux droits de la personne d’entreprises canadiennes du secteur minier. « L’or vaut-elle plus que les gens? », pouvait-on lire sur une pancarte d’une manifestante. Pendant de longues minutes ces manifestants ont frappé dans les fenêtres du Palais des congrès de Toronto pour faire entendre leur mécontentement.

Le Collège Boréal veut montrer l’exemple

Les discussions lors de cet événement francophone du congrès minier étaient suivies de très près par des représentants du Collège Boréal, qui accueille de nombreux étudiants dans son programme d’étude en exploration minière et prospection. L’établissement d’enseignement francophone, qui accueille de nombreux étudiants africains, dit travailler à faire une différence sur les questions sociales et environnementales.

« Le Collège Boréal contribue par son action à une industrie minière responsable que ce soit par la formation ou la recherche appliquée, comme la question de la réhabilitation des sols sur laquelle nous menons plusieurs projets pour permettre le reboisement ainsi que la capture du carbone. Les rassemblements de l’industrie auxquels nous participons nous permettent de rencontrer tous ces acteurs pour faire avancer ces discussions. L’industrie est aujourd’hui très sensible à ces sujets », fait savoir l’institution.

D’ailleurs, Boréal a annoncé lors du congrès la création d’une nouvelle formation continue sur l’entretien de batteries de véhicules électriques miniers.

Pays qui attirent le plus de financement minier en Afrique

  1. République démocratique du Congo
  2. Burkina Faso
  3. Ghana
  4. Afrique du sud
  5. Mali
  6. Côte d’Ivoire