Menés par l'Association des Congolais de l'Ontario, des manifestants ont marché dans les rues de Toronto le 2 mars 2024. Crédit image: Mickael Laviolle

TORONTO – Samedi dernier, des membres de l’Association des Congolais de l’Ontario et leur président Patrick Kaketa Mpiana ont marché dans les rues de Toronto afin d’attirer l’attention des dirigeants politiques et des médias sur le conflit qui perdure dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

La situation actuelle plonge ses racines dans l’histoire coloniale et les tensions ethniques, qui sont toujours présentes. Mais il faut savoir que le sous-sol de l’est de la RDC est particulièrement riche en différents minéraux comme l’or, le diamant, l’étain et le coltan, utilisé dans la fabrication de nombreux objets technologiques comme les tablettes électroniques ou les téléphones cellulaires. Cette abondance en fait une région d’intérêt pour les puissances internationales, au détriment des populations locales.

Une centaine de groupes armés seraient présents dans cette région. Mais les tensions actuellement au centre du conflit opposent surtout l’armée congolaise au groupe rebelle M23, manifestement appuyé par le pays voisin, le Rwanda.

Une marche pour attirer l’attention

Samedi dernier, les manifestants se sont rassemblés à Dundas Square pour se rendre tour à tour devant le consulat de France, Queen’s Park et le consulat américain.

« Nous demandons une intervention du gouvernement du Canada auprès d’autres gouvernements, notamment les gouvernements américains, français et anglais, pour pouvoir débloquer la situation au Congo. Dénoncer, condamner fermement et imposer des sanctions », expliquait le leader de l’association à ONFR, quelques jours avant la marche.

Ce dernier rappelle que son organisation est basée dans la ville reine, ce qui explique pourquoi elle a cherché à attirer l’attention en passant par le gouvernement provincial. Il précise que d’autres marches ont eu lieu, notamment à Ottawa, dans les dernières semaines.

Patrick Kaketa Mpiana (à l’avant) lors de la marche du 2 mars à Toronto. Crédit image : Mickael Laviolle

Durant son entretien avec ONFR, Patrick Kaketa Mpiana a dénoncé plusieurs éléments, dont l’embargo sur les armes qui avait été imposé par l’Organisation des Nations Unies (ONU) à la RDC à la suite de la Deuxième guerre du Congo. Cet embargo a été levé en 2022.

Le Canada avait aussi imposé un embargo en 2003, qui avait été partiellement levé en 2008, mais dont plusieurs dispositions sont toujours en cours.

« C’est incroyable que le Congo ait été mis sous embargo. Le pays agressé n’avait pas le droit d’acheter des armes. Mais on en vendait au pays agresseur », selon le représentant de l’Association des Congolais.

Des résidents de Toronto prenant part à la marche de l’Association des Congolais de l’Ontario, le 2 mars 2024. Crédit image : Mickael Laviolle

Le leader de la diaspora congolaise s’est également insurgé contre un accord sur les matières premières que l’Union européenne (UE) a entériné avec le Rwanda en février 2024.

« Ça doit cesser. Ils doivent quitter le territoire congolais et tous les pays occidentaux et les multinationales, s’ils ont besoin de nos richesses, qu’ils traitent directement avec le Congo. »

Réaction internationale timide

Patrick Kaketa Mpiana se désole du silence international en lien avec les crimes commis dans son pays d’origine. Un constat partagé par le rappeur franco-ontarien et congolais, Kimya, qui parle de la situation dans son dernier album, comme il l’avait expliqué à ONFR en février.  

« J’en parle surtout parce que je trouve que les médias n’en parlent pas. Par exemple, dans l’est du Congo, il y a encore des tueries, des femmes qui se font violer… mais il n’y a aucun média qui en parle ici. »

Pour l’Ukraine, on en parle partout. Ce qui est normal. Mais pourquoi on se tait pour le Congo?
— Patrick Kaketa Mpiana

L’organisateur de la marche de samedi affirme : « Nous estimons que si le Canada n’en parle pas, le pays est sur la même logique que les États-Unis et l’Union européenne. Parce qu’ils savent ce qui se passe à l’est de la RDC. Tous les premiers ministres qui sont passés, ils le savaient. Mais personne ne veut en parler. »

Le président du Rwanda, Paul Kagame, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, en janvier 2024. Crédit image : AP Photo/Markus Schreiber

Le 4 mars, malgré son accord récent avec Paul Kagame, l’Union européenne a publié un communiqué dans lequel elle « condamne le soutien du Rwanda au M23 et sa présence militaire sur le territoire congolais ». Les États-Unis et la France avaient fait des déclarations semblables dans les dernières semaines.

Du même souffle, l’UE « exhorte vivement la RDC et tous les acteurs régionaux à mettre fin à tout le soutien qu’ils apportent aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et à cesser toute coopération avec celles-ci, lesquelles trouvent leurs racines dans le génocide perpétré contre les Tutsis ».

Des milliers de personnes qui fuient le conflit entre les forces gouvernementales et le M23 arrivent à l’entrée de la ville de Goma, en République démocratique du Congo, le 7 février 2024. Crédit image : AP Photo/Moses Sawasawa

Le 6 février, l’organisme Human Rights Watch (HRW) a publié une « feuille de route pour les droits humains » adressée au président de la RDC, Félix Tshisekedi.

La Russie a pour sa part approuvé un projet de collaboration militaire avec la RDC.

Selon Patrick Kaketa Mpiana, « il faut qu’un tribunal pénal international soit créé pour juger les crimes atroces qui ont été commis au Congo ».

Contexte historique

Ce conflit, extrêmement complexe, est intimement lié à l’histoire de la RDC et du Rwanda. Ces deux ex-colonies belges ont obtenu leur indépendance respectivement en 1960 et 1962.

C’est le colonialisme belge qui a nourri les tensions entre deux groupes présents dans cette région du monde, les Tutsis et les Hutus, ce qui a mené au génocide rwandais de 1994.

  • Après la reprise du pouvoir au Rwanda par le Tutsi Paul Kagame, le Zaïre (aujourd’hui RDC) accueille un grand nombre de réfugiés hutus, parmi lesquels se trouvent des génocidaires.
  • Paul Kagame fournit de l’armement aux populations tutsies du Zaïre, ce qui déplaît au président Joseph Désiré Mobutu, qui tente alors de les chasser.
  • Le Rwanda et l’Ouganda appuient Laurent-Désiré Kabila afin de chasser Mobutu du pouvoir. (Première guerre du Congo)
  • Kabila se retourne contre ses anciens alliés, appuyé par d’autres pays africains (Deuxième guerre du Congo)
La situation dans l’est de la RDC découle aussi de l’histoire du pays voisin, le Rwanda. Capture d’écran Google Maps

Si cette deuxième guerre officielle se termine en 2003, les conflits restent omniprésents dans l’est du pays. Avec la montée du groupe rebelle tutsi M23, la menace d’une troisième guerre ouverte est bien réelle.