Le bilan contrasté des États généraux de la francophonie d’Ottawa
OTTAWA – Les États généraux de la francophonie d’Ottawa ont cinq ans ce vendredi. Dans le pavillon des Sciences sociales flambant neuf de l’Université d’Ottawa, ils étaient environ 200 à s’être déplacés les 17 et 18 novembre 2012.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Beaucoup de discussions, et le sentiment d’une nouvelle impulsion pour la francophonie. Le titre du rassemblement, non sans référence aux États généraux du Canada français de 1966 à 1969, conférait la gravité du moment. La tenue de cafés citoyens les mois précédents avait mis la table pour un événement savamment orchestré.
Du grand sommet, cinq recommandations étaient ressorties : le bilinguisme officiel à la Ville d’Ottawa, l’inclusion, la représentativité, la vitalité, et le rapprochement. En quelques mois, un comité de suivi pour chaque recommandation était constitué, regroupant chacun une dizaine de militants. Cinq ans plus tard, force est d’admettre que tous ces dossiers n’ont pas avancé la même vitesse.
« L’énergie de 2012 s’est perdue, on a plus cette capacité aujourd’hui à amener les gens ensemble », décoche Caroline Andrew. Aux premières loges des États généraux, la politologue de l’Université d’Ottawa faisait partie du panel de cinq intervenants choisis pour l’événement.
Même si le bilinguisme officiel, la recommandation phare des États généraux, a connu depuis 2012 un grand bond en avant, Mme Andrew continue de douter. « Je regrette que ce n’est pas été la Ville d’Ottawa qui l’ait décidé, au lieu de la province (…) Depuis cinq ans, on ne peut pas dire qu’il y ait plus d’événements à la Ville où les francophones sont intégrés. La visibilité n’est pas meilleure qu’avant. »
Devant la marée de francophones présents, Jean-Marie Vianney avait aussi pris le micro à titre de panéliste invité. Ce leader de la communauté africaine est mitigé quand il s’agit de faire un bilan du grand sommet de 2012. « La mobilisation avait été excellente, l’accentuation du bilinguisme à Ottawa s’est par la suite poursuivie. Mais nous continuons à mettre trop d’emphase sur le bilinguisme. »
M. Vianney a des regrets. D’autant que lors du sommet, « il y avait eu le constat d’une attente particulière aux gens de l’Ouest d’Ottawa et aussi des nouveaux arrivants », raconte-t-il. « La question, c’est aussi de se dire que les gens ne vont pas venir à Ottawa gratuitement. Il faut vraiment aborder les choses plus sur la question de l’inclusion et de mettre en relation les communautés respectives. Savoir par exemple comment les nouveaux arrivants se sentent après cinq, 25 ou 30 ans à Ottawa. »
Depuis cinq ans, les dossiers des minorités ethnoculturelles à Ottawa avancent cahin-caha. En 2013, le café Franco-Présence, lieu de rassemblement de la communauté africaine, a fermé ses portes tandis que le projet d’une maison de l’Afrique à Ottawa n’a jamais décollé. Dernièrement, les chiffres sur l’immigration francophone dans la capitale et en Ontario en général n’ont pas montré un gros coup d’accélérateur.
Ces remous ne perturberaient pourtant pas l’accueil des nouveaux arrivants francophones. « Il y a définitivement un changement, et de plus en plus d’immigrants qui travaillent à faire vivre cette francophonie », assure la présidente de l’Association des commuanutés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa), Soukaina Boutiyeb.
Depuis 2015, l’organisme porte-parole des francophones à Ottawa est chargé du suivi des recommandations de ces États généraux. Avant cela, c’est le coordonnateur Luc Léger qui assurait les ponts entre les cinq comités mis en place. Avec des hauts et des bas.
La mort soudaine en février 2013 de l’ancienne directrice générale de l’ACFO Ottawa, Claudette Boyer, avait retardé le début du suivi. L’organisme a ensuite connu des directions changeantes. Une instabilité qui ne nuit pas aujourd’hui à la mise en place des recommandations, selon Mme Boutiyeb. « Le conseil d’administration de l’ACFO connaît toutes les priorités des États généraux de la francophonie. Les idées sont toujours là. »
Inclusion et candidats francophones recherchées
L’inclusion et la représentativité tout de même victimes d’un statu quo depuis le grand sommet? Très prudent dans ses déclarations au temps où il assumait ce rôle de coordonnateur, M. Léger a maintenant moins de complexes.
« Je dois avouer que sur certaines priorités, il reste du chemin. Sur le dossier de l’accueil des immigrants, il serait bon que les associations représentant les minorités culturelles soient toutes autour de la même table, afin que les organismes ne fassent pas du travail en parallèle à l’ACFO Ottawa. C’était justement l’une des recommandations faites à l’ACFO par le comité de l’inclusion et de la vitalité. »
Du côté de l’organisme porte-parole des francophones d’Ottawa, le dossier serait bien surveillé de près. « Nous avons une table de concertation pour les organismes de l’Est. La diversité culturelle de cette table est bien dans notre mission », souligne Mme Bouityeb.
Pour M. Léger, les élections municipales de 2018 représenteront un bon test pour juger de l’efficacité des États généraux. Lors du scrutin il y a trois ans, le comité de représentation s’était donné la mission de « mobiliser d’éventuels candidats francophones ».
Mais autour de la table des conseillers municipaux, les élus capables de tenir une conversation en français sont toujours minoritaires. « Il va falloir profiter de l’élection de 2018 pour communiquer les priorités aux candidats. »
Visage familier de la francophonie à Ottawa, Francine Gougeon se trouvait aussi à l’Université d’Ottawa lors du grand sommet de 2012. Discrète, elle hésite à parler du bilan cinq après. Mais la mobilisation l’a manifestement marquée. « Je me souviens des ateliers que nous avions eus, des discussions. Peut-être que c’est quelque chose que nous devrions avoir plus souvent! »
Un nouveau sommet prochainement?
Dans les couloirs de l’Université d’Ottawa en 2012, se dégageait la crainte de voir le grand sommet finir comme les États généraux de la francophonie de Sudbury en 2008. Pour beaucoup dans les coulisses, le sommet du Nord est aujourd’hui tombé dans l’oubli.
« Il faut toujours garder ces moments d’opportunités », conclut Mme Andrew. « Aujourd’hui en 2017 à Ottawa, il y a une certaine urgence. »