
Le Bluesfest et la place des femmes francophones dans l’industrie musicale

OTTAWA – Le Bluesfest 2025 se termine ce dimanche dans la capitale fédérale. Cette année, en plus des grandes têtes d’affiche, les organisateurs ont misé sur une panoplie d’artistes locaux, dont plusieurs femmes franco-canadiennes. ONFR en a rencontré quelques-unes pour discuter de l’intersection entre féminité et francophonie dans l’industrie musicale.
Être francophone et être femme, voilà deux aspects identitaires bien différents, mais qui peuvent parfois se rejoindre. C’est ce qui s’est passé cette année au Bluesfest, selon la responsable des relations avec les médias francophones, Annie Boucher.
« Dans les dix dernières années, il y a eu une volonté d’avoir plus de diversité en général au festival. Donc, plus de femmes, plus de différentes cultures. Le fait qu’il y ait plus de femmes francophones, franco-ontariennes ou de la région, ça, c’est un adon (…) mais quand ils regardent les différentes scènes, c’est certain qu’ils essaient de balancer pour que ce ne soit pas juste des hommes. »

L’autrice-compositrice-interprète Sophie d’Orléans estime que la francophonie et la féminité apportent des enjeux semblables, que des événements comme le Bluesfest peuvent contribuer à surmonter.
« En tant que femmes, on a besoin d’hommes qui se disent féministes, comme en tant que francophones, on a besoin d’anglophones qui vont dire que le français est important. Ce n’est pas juste entre francophones ou entre femmes qu’on va régler tout ça. Il faut inclure tout le monde. »

L’artiste Kristine St-Pierre croit aussi que ces aspects de son identité artistique peuvent être bénéfiques dans l’industrie. « Je crois qu’il y a plusieurs opportunités qui sont venues vers moi grâce à cette intersection. »
Elle affirme avoir vu un certain changement dans les dernières années. « Le 11 juillet, sur la scène sur laquelle je jouais, les artistes de la soirée étaient trois femmes. La personne à la console était une femme. Et il y avait plein de francophones qui travaillaient sur la scène. Le technicien de son était francophone, on me parlait en français. C’était le fun de se sentir dans un environnement bilingue, pas seulement anglophone. »
Kristine St-Pierre trouve aussi que le Bluesfest fait la promotion de tous ses artistes de façon équitable, encore plus en 2025. « C’est super, en tant qu’artiste locale, de se sentir sur un certain pied d’égalité. »
Plus de francophones
Le Bluesfest d’Ottawa prend plusieurs moyens pour s’ouvrir à la francophonie, selon Annie Boucher, à commencer par sa propre embauche comme contact pour les médias francophones. Cette année, le Festival offre aussi une version en français de son site web pour la première fois.
« C’est vraiment un effort qu’ils sont en train de faire, pour cultiver le côté Gatineau certainement, puis Montréal, et pour faire plus de place aux artistes francophones de la région. »

Il faut dire que les Plaines LeBreton se situent à un jet de pierre du Québec. Les festivaliers qui doivent se déplacer en voiture sont même encouragés à se stationner du côté gatinois et à traverser la rivière à pied.
Annie Boucher souligne que le bilinguisme fait partie de l’ADN de la région d’Ottawa-Gatineau, que ce soit chez les artistes Franco-Ontariens ou le public qui afflue des deux côtés de la rivière. Les artistes francophones attirent autant de spectateurs que les artistes anglophones programmés dans des créneaux horaires et des scènes comparables.
« Il y a vraiment un intérêt dans les artistes francophones. Il y a un momentum, en ce moment. Ça va se poursuivre, (les organisateurs), ils voient la valeur là-dedans. »
Une visibilité accrue
Selon le site web de l’événement, environ 250 000 festivaliers se présentent chaque année au Bluesfest. Nombreux sont ceux qui arrivent tôt et circulent entre les cinq scènes chaque soir. Le simple fait de jouer sur l’une de ces scènes est donc non négligeable au niveau de la découvrabilité.
« C’était sur ma liste de souhaits depuis longtemps, le Bluesfest. D’être là en tant que francophone, sur la scène extérieure, c’était vraiment le fun », raconte l’artiste Mélissa Ouimet, qui s’est produite sur la scène River. Elle ajoute qu’elle a vu que plusieurs spectateurs anglophones ont partagé des extraits de son spectacle sur les réseaux sociaux.
La moitié fransaskoise du duo féminin Beau nectar, éemi, croit aussi que la barrière de la langue n’est pas aussi étanche qu’autrefois au Canada. « Dans l’Ouest, on a remarqué qu’il y a beaucoup d’intérêt pour la langue française, même pour ceux qui ne parlent pas français. En Colombie-Britannique, on a beaucoup de gens qui viennent nous dire : je n’ai rien compris, mais c’était awesome. »

Au Bluesfest, « on est capables d’aller chercher un public plus large. Anglo, franco ou d’ailleurs, car c’est tellement diversifié », constate Mélissa Ouimet, qui jouait quelques heures avant le groupe punk Turnstile.
« Il y a des adeptes du Bluesfest qui vont venir chaque année, qui sont des curieux et qui vont aller voir le plus d’artistes possible, même s’ils ne te connaissent pas », se réjouit Sophie d’Orléans.
Les spectacles qui se déroulent au Théâtre Barney Danson, comme le sien, sont aussi projetés dans l’aire commune du Musée canadien de la guerre. « Donc, de l’extérieur aussi, il y a beaucoup de gens qui passent. La visibilité était définitivement là, en plus de la salle qui était assez remplie. »
Et selon Annie Boucher, les médias jouent un rôle primordial dans la visibilité des artistes. Elle constate que les médias francophones ont plus tendance à parler des artistes franco-canadiens et de la programmation locale. « En anglais, ils vont parler de Green Day, de Shania Twain, mais moins des artistes sur les plus petites scènes », ajoute-t-elle en se gardant tout de même de généraliser.
Être femme dans l’industrie musicale
Les artistes rencontrées croient que la situation des femmes dans le milieu de la musique s’est améliorée, mais qu’il faut savoir s’entourer des bonnes personnes.
« Sur les choses qui sont dans mon contrôle, donc pour mon équipe, je m’arrange pour avoir des gens qui ont les mêmes valeurs que moi, explique Sophie d’Orléans. Que ce soit des hommes ou des femmes, ce sont des personnes qui veulent élever tout le monde et qu’on soit tous sur la même longueur d’onde. »
Mais la vie de tournée inclut évidemment de travailler aussi avec des gens extérieurs à notre garde rapprochée.
« Il y a encore du chemin à faire, je vais être honnête. Il faut bûcher en tant que femme pour faire sa place parmi les programmations, confirme Mélissa Ouimet. Je pense qu’on est de plus en plus conscients de ce chemin à faire. Ça, ça aide. »

Selon éemi, la discrimination est plus subtile qu’avant. « On rencontre moins de gens ouvertement sexistes ou misogynes. Les gens ne disent pas certaines choses car ils savent qu’elles ne sont pas correctes, mais on le voit dans certaines subtilités. Ça devient des micro-agressions. »
Par exemple, lorsqu’une femme règle un enjeu technique sur scène, il arrive encore souvent qu’elle se fasse dire de demander à ses musiciens, alors qu’elle a la situation en main.
Le fait que Beau nectar se décrive comme un duo écoféministe peut confronter certaines personnes. « Les gens qui ont une méconnaissance de ce qu’est le féminisme vont tout de suite nous mettre dans une boîte, penser qu’on est agressives, etc », même si la musique de Beau nectar est très accessible.
Sophie d’Orléans s’est dite « remplie de fierté » de voir les femmes occuper une place non négligeable dans la programmation émergente du Bluesfest. Elle résume le sentiment général en soulignant simplement que « la place des hommes sur une scène est plus acquise » que celle des femmes, qui néanmoins se taillent une place de plus en plus grande dans l’industrie musicale.
Au niveau des grandes têtes d’affiche sur la scène RBC, seulement deux femmes se sont frayé un chemin, soit Lainey Wilson et Shania Twain.