Le chemin d’Edith Dumont jusqu’à l’Ordre d’Ottawa
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – À la tête du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) depuis six ans, Édith Dumont parcourt les quatre coins d’un territoire scolaire grand comme la Suisse. Tout juste décorée de l’Ordre d’Ottawa jeudi dernier, la directrice de l’éducation parle à #ONfr de la place des femmes, son séjour marquant en Afrique du Sud, l’inspiration de Nelson Mandela, et encore les dossiers chauds pour son conseil scolaire.
« Vous étiez parmi les quatre francophones honorés par l’Ordre d’Ottawa ce jeudi? Comment réagissez-vous après cette décoration?
Je suis honorée de cette reconnaissance, et je ressens énormément de gratitude. C’est une façon manifeste de la part de la Ville d’Ottawa de remercier ses citoyens d’être engagés, de participer à des comités, d’être au rendez-vous dans toutes sortes de rencontres culturelles et des organismes communautaires. Une belle façon de souligner que l’on peut changer des choses, améliorer la vie citoyenne, et contribuer au bien-être de la communauté à Ottawa. Ce qui m’a touché, c’est que pour la première fois mes parents m’ont vu dans le cadre de mes fonctions.
Comment êtes-vous arrivée dans le milieu de l’éducation?
Je n’envisageais pas du tout une carrière dans le secteur de l’éducation. J’étais d’abord étudiante en psychologie clinique, avec un intérêt très marqué pour le fonctionnement du cerveau. Comme je m’intéressais à l’apprentissage des jeunes en difficulté, j’ai pris connaissance qu’il y avait tout un secteur rattaché à l’éducation qui se nommait l’orthopédagogie. J’ai donc fait mes études dans ce domaine. Je suis devenue, par la suite, enseignante, mais pas titulaire de classe, plutôt dans le secteur de l’enfance en difficulté. J’ai par la suite fait une maitrise, eu trois enfants. Je me suis retirée du travail pendant cinq ans au cours desquels j’ai accompagné mon conjoint à Pretoria en Afrique du Sud, une année, puis encore une année à Paris.
Est-ce que ces expériences en Afrique du Sud ou Paris vous ont forgé des convictions?
Absolument, parce qu’il y a des sociétés pour qui la petite enfance, était déjà très en avance comme en France. À Paris comme à Pretoria, j’ai fait beaucoup de bénévolat dans le secteur de la petite enfance. En Afrique du Sud, je me souviens que Nelson Mandela avait un discours très ferme sur l’éducation. Ses discours m’ont marqué, à tel point que mon garçon, né à Pretoria, en 1996, a comme deuxième prénom « Madiba », qui est le nom de tribu de Mandela, « homme hautement respectable ». Le personnage était tellement accessible. Cela m’a marqué en termes de leadership. C’était touchant de le voir si proche des gens. Quand j’ai pris des fonctions de leader, je ne cache pas qu’il m’a hautement inspiré.
Il y a un côté très organisé et quadrillé dans les conseils scolaires, est-ce compatible avec cette accessibilité que vous prônez?
Vous avez raison, mais il faut concilier les deux, et savoir se démarquer dans le cadre rigide. Il est important de montrer comment je peux être une femme intéressante, une directrice de l’éducation intéressante aux yeux de mes collègues. J’ai besoin d’être avec des élèves qui me parlent de leurs expériences. Si je me coupais, je deviendrais une directrice morne, sans énergie et incapable de contribuer à l’innovation.
On vous connaît depuis six ans en tant que directrice de l’éducation et secrétaire-trésorière au CEPEO. Comment se passent concrètement vos journées à la tête d’un conseil scolaire d’environ 15 000 élèves?
D’abord et avant tout, je suis une maman de trois enfants. Il y a encore six ans, les journées commençaient par le petit-déjeuner à la maison. J’ai toujours tenté de créer de l’harmonie entre le travail au bureau et la vie familiale. Au bureau, c’est un travail administratif que je mène. Secrétaire-trésorière, ça vaut dire des budgets, de la gestion des ressources humaines, de la gestion pour construire et agrandir les écoles. Aussi, des rencontres avec des enseignants, des élèves, participer à de la formation pour nous assurer que nous sommes toujours la page. En soirée, il peut y avoir une multitude d’activités communautaires.
Beaucoup de relationnel donc?
C’est un secteur où l’on est constamment en train de discuter sur ce que l’on fait de bien, sur ce que l’on pourrait faire de mieux. On sait que la femme est peu présente dans la vie politique, la vie économique, dans le secteur des sciences, alors on travaille avec cet esprit-là. J’ai été par exemple enchantée d’être panéliste de la délégation de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en Roumanie. Ça a été un bonheur de prendre la parole avec des femmes qui vivent des réalités complètement différentes de celles du Canada.
Le droit des femmes a donc une importance très particulière pour vous?
Les femmes qui ont réussi vont devoir prendre la parole publiquement et expliquer comment elles y sont arrivées. Ça prend une complicité extraordinaire avec un compagnon de vie, et ça demande de travailler beaucoup. Ça fait en sorte qu’une femme qui a eu deux ou trois enfants, qui revient sur le marché du travail, va être en décalage professionnel. Travailler, être passionnée par son travail, sans jamais sentir qu’on sacrifie quelque chose, ça demande même de la complicité avec les collègues de travail masculins et féminins.
La question des fusions des conseils scolaires publics et catholiques revient souvent. Comment voyez-vous cela?
(Hésitations). C’est une question de nature politique, je ne me prononcerai donc pas. Toutefois, il y a des projets de collaborations qui existent. D’ailleurs, on va construire notre première école secondaire avec nos homologues du conseil catholique d’Ottawa à Kingston (Conseil des écoles catholiques du Centre-Est). On a fait front commun pour obtenir une école au secondaire, car on sait très bien que le nombre d’élèves au secondaire va nous permettre d’avoir des programmes équivalents aux anglophones. Kingston va être une belle opportunité pour nous montrer comment on peut desservir les élèves du secondaire en joignant nos forces. Qui dit qu’on ne pourra pas échanger quelques cours ensemble.
La rivalité des conseils scolaires publics et catholiques est-elle donc un mythe exagéré, une concurrence saine?
Ce sont des bonnes questions à poser au grand public ou aux politiciens. C’est vraiment une question politique.
On parle de 43 écoles aujourd’hui pour le CEPEO, sur un territoire qui s’étend de l’Est ontarien à Kingston. Est-un processus difficile pour avoir un nouvel établissement?
La première chose, c’est d’avoir des écoles en débordement. C’est le cas de notre conseil scolaire. On est en pleine capacité sur tout le territoire. À Rockland par exemple, la communauté s’urbanise. Non seulement, on agrandit notre école élémentaire, mais on demande une école secondaire. Ici à Ottawa, c’est rempli, rempli et rempli.
Malgré le fait que l’immigration francophone soit en baisse, qu’il y a parfois un sentiment de déclin de la francophonie, on voit cette demande exponentielle pour les inscriptions dans les écoles francophones. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Les sondages ne rendent pas justice à la vitalité de la communauté francophone. D’ailleurs, beaucoup d’associations revendiquent des questions mieux posées et des questions supplémentaires dans le sondage de Statistique Canada. Le sondage ne capture pas une image juste. Pour certains, le français n’est certes pas une langue maternelle, mais une troisième langue maitrisée aussi bien que vous et moi.
Le débat sur le conflit entre votre conseil scolaire et l’Ontario Federation of School Athletic Association (OFSAA) a fait beaucoup de bruit il y a deux ans. Est-ce que le problème est maintenant réglé?
On va bientôt retourner à la Cour pour évaluer plus sur la question de fond de l’article 23 de la Charte. On est toujours avec une injonction qui permet à nos étudiants de participer aux compétitions sportives provinciales. D’avoir une organisation sportive qui nous impose un territoire géographique, c’était odieux. Je suis bien heureuse que des parents et des étudiants aient revendiqué que nous nous attardions sur cette question.
Un autre sujet dont on a beaucoup parlé au cours de la semaine, c’est le dépôt d’un projet de loi pour la création d’une université de langue française et pour la désignation bilingue d’Ottawa. Quel en sera l’impact pour votre conseil scolaire?
Le fait de déclarer Ottawa ville bilingue est un témoignage que les jeunes ont besoin de recevoir. C’est vrai que la Ville d’Ottawa fait des efforts pour les services, mais de le déclarer officiellement et publiquement, c’est tout à l’honneur de la Ville. Sur l’université, j’espère de tout cœur que les conseils scolaires et les jeunes seront consultés pour articuler les futurs programmes. Dans le premier comité de Dyane Adam, j’aurais aimé que les jeunes soient plus consultés. J’ai confiance que ce n’est que partie remise.
En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?
Continuer à interpeller les femmes, qu’elles s’impliquent dans la vie politique et administrative, de tous les ministères, les sociétés publiques, dans le secteur privé. Justin Trudeau a sans doute beaucoup de défauts, mais je dois le féliciter pour sa prise de position et son invitation à faire en sorte que la femme doit être présente et au cœur des instances qui influencent les décisions qui auront une portée. »
LES DATES-CLÉS D’ÉDITH DUMONT :
1964 : Naissance à Valleyfield (Québec)
1989 : Commence une carrière d’orthopédagogue
1996 : Séjour d’un an en Afrique du Sud
2011 : Devient directrice de l’éducation et secrétaire-trésorière du CEPEO
2017 : Reçoit l’Ordre d’Ottawa.
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.