Le comité des langues officielles tourne au ralenti
OTTAWA – Un an après les élections, le comité permanent des langues officielles peine à trouver son rythme et n’a encore sorti aucune étude.
1 190 minutes à siéger, 11 réunions, neuf témoins reçus, aucun ministre interrogé… Depuis septembre, le comité des langues officielles tourne au ralenti, embourbé dans les soucis techniques, des sessions écourtées pour cause de votes en Chambre et des échanges partisans.
« C’est clair que ça n’avance pas du tout. On voit de la petite politique et rien n’a été fait depuis les dernières élections », estime le politologue à l’Université Simon Fraser, Rémi Léger.
Faut-il y voir l’effet de la pandémie? D’autres comités sont mieux lotis et celui des langues officielles fait figure de mauvais élève. Lors de la deuxième session de cette 43e législature, il se situe en dessous de la moyenne quant à la quantité de réunions organisées pour mener une étude, le nombre d’études commencées, les heures travaillées et les ministres invités.
Nouvelle venue à la table, la porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), Niki Ashton, partage sa stupéfaction.
« C’est un nouveau comité pour moi, mais j’ai siégé sur d’autres auparavant. Je suis choquée par la façon dont ce comité fonctionne. C’est totalement contre-productif. On perd beaucoup de temps. »
L’opposition dénonce l’attitude des libéraux
Le député du Bloc québécois (BQ), Mario Beaulieu, un des deux vice-présidents du comité, pointe du doigt l’attitude des libéraux.
« Ils ont fait de l’obstruction parlementaire, notamment sur la question de We Charity/Unis, si bien qu’on a perdu deux ou trois rencontres. Ils acceptent difficilement leur position minoritaire et essaient de gagner du temps », juge-t-il.
« Comme gouvernement minoritaire, il devrait être plus collaboratif pour fixer les priorités », abonde Mme Ashton.
Une analyse qui pourrait expliquer la situation?
« C’est le quatrième gouvernement minoritaire en 15 ans », rappelle M. Léger. « Mais il est vrai que ce n’est pas dans l’ADN des partis politiques canadiens qui voient ça comme une exception, une sorte de transition vers une nouvelle élection. »
Le politologue reconnaît toutefois que d’autres comités avancent davantage, ce qui remet en cause cette seule explication.
« C’est peut-être aussi parce que le Parti libéral ne sait pas comment traiter la question des langues officielles. Le comité n’a pas de direction, car le gouvernement lui-même n’a pas de direction ni d’intérêt à aller trop vite. »
Joints par ONFR+, ni les députés libéraux Marie-France Lalonde et René Arseneault ni le président du comité Emmanuel Dubourg, n’étaient disponibles pour une entrevue.
Un seul fait d’armes
Lors de la première session de la 43e législature, le bilan n’était guère plus encourageant. Du 5 décembre 2019 au 18 août 2020, seulement cinq réunions ont été organisées.
Toutefois, le comité a signé une importante victoire en insistant auprès de Statistique Canada pour un meilleur dénombrement des ayants droit, ce qui a fini par convaincre le gouvernement d’accéder à cette demande de longue date des communautés francophones en situation minoritaire.
Cette session s’était toutefois achevée dans la cacophonie de l’affaire UNIS/We Charity qui avait valu des échanges acrimonieux entre les députés, conservateurs et bloquistes reprochant au gouvernement libéral d’avoir choisi un organisme unilingue anglophone pour la mise en œuvre de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE).
Une occasion manquée
Depuis, les élus ont réussi à s’entendre sur une recommandation unanime, adoptée le 24 novembre, demandant au gouvernement de déposer son projet de loi pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles avant le 11 décembre.
Ce « rapport », réalisé sans aucune audition de témoin, ne comprenait aucune exigence de réponse pour le gouvernement. Aujourd’hui, la date est passée et le dossier n’a pas avancé.
« Ça a été une grande déception. La ministre Joly [ministre des langues officielles] a manqué à sa responsabilité morale et il y a une frustration croissante dans les communautés », estime le vice-président du comité, Steven Blaney.
Même son de cloche du côté néo-démocrate.
« Aujourd’hui, le gouvernement parle d’un livre blanc simplement pour retarder toute action sur ses propres promesses de moderniser la Loi. »
Et c’est peut-être là que se situe le meilleur élément de réponse, selon M. Léger.
« Le grand dossier, c’est la modernisation de la Loi et le gouvernement ne veut pas aller dans cette direction, car en ce moment tous les partis sont en train d’essayer de marquer des points sur la question du français. »
Du mieux en janvier?
Habitué de ce comité sur lequel il a plusieurs fois siégé depuis 2007, M. Blaney insiste que « depuis l’adoption de l’agenda, les membres ont tous la volonté d’aller de l’avant ».
« Les langues officielles sont un enjeu émotif, il est donc normal qu’il puisse déchaîner des passions. »
Il rappelle le déclenchement de deux études, une sur l’impact de la COVID-19 sur la capacité du gouvernement à fournir de l’information dans les deux langues officielles, l’autre sur la protection et la promotion du français au Québec et au Canada.
« C’est une première dans l’histoire depuis la Loi sur les langues officielles », s’enthousiasme M. Beaulieu au sujet de cette dernière étude. « Cela en dit long sur la considération envers le français au Québec. Mais ça va nous donner l’occasion de revoir la Loi pour contrer le déclin du français, car jusqu’ici, elle n’a fait que renforcer l’anglais aux dépens du français. »
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada indique à ONFR+ avoir déjà exprimé ses préoccupations, il y a quelques semaines.
« Nous sommes encouragés par le fait qu’à la suite de notre sortie, le comité a rapidement entrepris des études, en plus d’adopter une résolution concernant le dépôt d’un projet pour moderniser la Loi. Nous avons besoin que le Comité continue de jouer un rôle de leadership », explique l’organisme dans un échange de courriels.
« Ce qui va être important, c’est d’apporter des choses nouvelles, pas de répéter ce qui a été déjà dit ni refaire le travail effectué dans le passé », espère Mme Ashton.
M. Léger se montre peu optimiste, d’autant que les rumeurs d’élections au printemps vont bon train.
« L’étude sur la pandémie n’est pas inintéressante, mais elle va un peu dans toutes les directions. Pareil pour l’avenir du français : on ne sait pas où ça va mener le comité. Je pense que rien ne se passera d’ici les prochaines élections. »