Le courage comme héritage et le savoir comme richesse

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, c’est Rym Ben Berrah qui évoque des enjeux de société et d’éducation qui rejoignent le quotidien.
[CHRONIQUE]
Mon enfant, ton enfance est loin de ressembler à la mienne et par le fait même tous les jours je repère les différences qui construisent petit à petit notre chemin de vie.
J’ai eu le temps d’être innocente et curieuse, de jouer dehors avec des billes et de faire de la corde à sauter, me chamailler avec mes copines d’école à la cour de récré et me réfugier à la bibliothèque toutes les fins de semaine. Tu n’es encore qu’un bébé et déjà je suis préoccupée par ce qui catégorise ton temps : tes parents et toi êtes exposés aux écrans, il se passe des choses horribles dans le monde, la politique internationale devient un terrain de jeu miné indéchiffrable, le Canada entre dans des élections incertaines.
Lorsque j’étais enfant, on fumait encore dans les maisons et les lieux publics. Je me souviens, lorsque ma mère recevait ses copines, ça faisait du café fort et ça parlait en lançant des rires aux éclats et en tirant sur des clopes en y laissant des traces de rouge à lèvres bon marché (ma mère n’a jamais fumé, mais certaines de ses copines, si). Je regardais ces dames tirer sur un truc qui pue et ingurgiter un liquide noir. On me disait que « lorsque je serai grande, je pourrais boire du café ». Là j’en bois, et je comprends le phénomène de catharsis qu’est d’ingurgiter quelque chose d’amer et de réconfortant, afin de balancer avec la réalité dehors.
Mon enfant, j’aimerais tellement te transmettre tout ce qui a caractérisé ma jeunesse à Tunis, là en fermant les yeux une rafale de choses me revienne et pourtant aucun mot ne peut définir avec acuité l’effervescence des sons, des odeurs et la symbolique des odeurs qui demeurent dans ma conscience depuis des décennies. Toi, qu’auras-tu en tête une fois devenue sage, mature et réfléchie? Qu’est-ce qui va t’animer, t’habiter, te motiver, te distraire, te faire peur?
Mon enfant, je te souhaite de ne jamais trembler sous l’emprise du négatif, que personne ne touche à ton aura et à ta chaleur de cœur, qu’aucun être ne te fasse trembler sous l’effet de la peur, que tu te sentes libre d’être et d’agir. Je te souhaite de porter l’étendard de tes cultures et de tes ancêtres avec fierté. Tu es africaine, mon enfant, africaine et arabe et berbère et dans ton sang les peuples scandent la justice et la révolution. Tu es algérienne, camerounaise, gabonaise (Nord-Africaine, Maghrébine puis Française et Canadienne de nationalités et de résidence.
Va comprendre et creuser l’ambiguïté et la richesse de tes identités intersectionnelles, nourris-toi du bagage de tes ancêtres et tes parents et sois telle que tu es face aux autres. Sois une chanson, un moment, un battement de cœur, une révolte, une inspiration. Sois un silence, un murmure, une accolade, une exclamation. Laisse la vie t’acclamer de par ses profondeurs et fais d’elle ton roman que tu rédiges au quotidien.
Mon enfant, tous les jours à travers tes yeux, je rebâtis ma compréhension du monde et je m’abreuve de ton innocence afin de revoir la vie sous un autre angle. Je me redécouvre, petit à petit, à travers les pierres que tu retournes dans mon esprit par tes questionnements. Qui l’aurait cru qu’en 2025 on en serait là? Après le COVID-19, après les mouvements sociaux, après les scandales politiques, après les hostilités entre les pays, après la dégringolade du pouvoir d’achat, nous sommes devenus muets.
Nous nous faisons à l’ère du temps et ce qui se passe est tellement gros que rien que le quotidien nous incombe. Je me souviens que, plus jeunes, nous avions une verve, nous étions plus présents, plus militants. Là, on dirait qu’on s’est adouci, est-ce la rigueur des circonstances qui nous rend mous? Sommes-nous généralement blasées? Où avons-nous seulement compris que l’ampleur de nos revendications n’équivaut pas aux changements obtenus?
Je nous souhaite cette verve, à toi et à moi, mon enfant. À nous toutes et tous, je nous souhaite d’être moins dans la constatation et plus dans l’affirmation. À travers la petite flamme de plusieurs centaines de bougies, nous pouvons éclairer les tunnels qu’il nous reste à déterrer. Sache que j’y crois. Sache que je crois en toi. Sachez que je crois encore dans le pouvoir du nous.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.