Le débat sur les juges bilingues reprend à la Chambre des communes

La Cour suprême du Canada devrait à nouveau se pencher sur un dossier concernant les francophones de la Colombie-Britannique. Courtoisie Sénat.

OTTAWA – Le projet de loi du député néo-démocrate, François Choquette, visant à rendre le bilinguisme obligatoire pour les juges de la Cour suprême du Canada a repris, le jeudi 19 octobre. Ses chances d’aboutir sont toutefois très minces.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Du côté du gouvernement, comme du côté conservateur, on loue la volonté derrière le projet de loi de M. Choquette, mais on ne semble pas vouloir l’appuyer.

« C’est un projet de loi important qui reflète les valeurs que nous partageons tous à la Chambre des communes, mais l’accent est mal placé. Il serait plus utile de renforcer les capacités bilingues des cours supérieurs, car cela augmenterait le bassin de juges bilingues », a lancé le député québécois de Ville-Marie-Le Sud-Ouest-Île-des-Sœurs, Marc Miller.

Un avis appuyé par son collègue David Lametti, reprenant les arguments développés par le premier ministre Justin Trudeau dans sa lettre d’opinion d’août 2016 dans laquelle il assurait que dorénavant, les juges à la Cour suprême du Canada nommés seraient bilingues.

« La loi n’est pas toujours la plus efficace pour résoudre un problème et je pense que dans ce cas-ci, elle n’est ni souhaitable ni nécessaire. Nous avons mis en place un nouveau processus de nomination qui fait du bilinguisme un critère primordial et qui a déjà fait ses preuves avec le juge Malcom Rowe. »

Bilingue, le juge Malcom Rowe a été nommé à la Cour suprême du Canada il y a un an selon le nouveau processus mis en place par le gouvernement libéral.

Le député conservateur de St. Albert-Edmonton, Michael Cooper, juge, pour sa part, que le projet de loi de M. Choquette s’attaque à un problème qui n’existe pas.

« La Cour suprême du Canada offre déjà des services et des communications dans les deux langues officielles. Depuis sa création, il n’y a pas eu un seul cas d’erreur à cause d’un problème d’interprétation. De plus, si ça arrivait, il y aurait des recours possibles. »


« Ce projet de loi est bien intentionné, mais il va créer des problèmes, notamment en réduisant le bassin de bons candidats. Les capacités linguistiques ne devraient pas prendre le pas sur les compétences, les connaissances et l’expérience en droit. » – Michael Cooper, député conservateur  


Actuellement, on compte huit juges bilingues sur neuf à la Cour suprême du Canada. Seul le juge Michael Moldaver utilise les services d’interprétation simultanée.

Guy Caron ironise

Le porte-parole en matière de langues officielles, François Choquette, a repris le flambeau de son prédécesseur Yvon Godin qui, à trois reprises, avait proposé un tel projet de loi. En 2008, 2010 et 2014, sa proposition avait été défaite, malgré le front commun du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti libéral du Canada (PLC).

« Est-ce que les principes changent quand on est au gouvernement? », a ironisé le leader parlementaire du NPD, Guy Caron. « Il n’est pas suffisant de dire qu’on va nommer des juges bilingues, on a besoin d’enchâsser ce principe, car sinon on n’a aucune garantie. Le bilinguisme n’est pas un atout, mais une compétence fondamentale. »

Les députés néo-démocrates ont cité à plusieurs reprises les témoignages d’avocats, dont celui du spécialiste en droits linguistiques Michel Doucet, qui ont partagé leurs expériences parfois malheureuses lorsqu’ils ont plaidé en français à la Cour suprême du Canada.

« Si le gouvernement libéral s’engage à nommer des juges bilingues, pourquoi ne pas enchâsser cet objectif dans la loi? », a questionné le néo-démocrate, Erin Weir. « Cela enverrait un message très clair au milieu judiciaire canadien. »

Le NPD a tenté de convaincre les quelques députés présents d’appuyer le projet de loi en deuxième lecture afin que le comité Justice et droits de la personne puisse l’étudier et le bonifier.

Le porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique, François Choquette. Crédit image : Archives

« Il y a des améliorations à faire, notamment sur la question de l’accès à la Cour suprême du Canada à des juges autochtones. Nous sommes ouverts à des amendements et c’est pour ça qu’il est important qu’il passe en deuxième lecture », explique M. Choquette.

L’exemple d’Alexandrine Latendresse

À la sortie des débats, le député néo-démocrate restait optimiste, alors que le vote du projet de loi en deuxième lecture aura lieu mercredi 25 octobre.

« Je ne suis pas découragé parce que je sais que c’est un droit légitime pour tous les Canadiens d’avoir accès à la plus haute cour au pays dans la langue officielle de leur choix. Les libéraux commencent à s’enfarger dans leur argumentaire quand ils disent qu’une loi n’est pas nécessaire et qu’il faut se laisser une petite marge pour nommer peut-être des juges unilingues! »

M. Choquette s’appuie sur l’exemple du projet de loi d’Alexandrine Latendresse sur le bilinguisme de certains agents du parlement, adopté en 2013.

« J’espère que beaucoup de libéraux et de conservateurs vont voter en faveur de ce projet de loi. Beaucoup me disent qu’ils sont prêts à l’appuyer. Est-ce qu’ils vont le faire? Ça reste à voir… On a réussi à faire passer le projet de loi d’Alexandrine Latendresse, la prochaine étape ce serait les juges bilingues à la Cour suprême du Canada. »