Le ministère du Multiculturalisme, un allié de l’immigration francophone?

Parm Gill, ministre des Affaires civiques et du Multiculturalisme. Source. Compte Twitter Parm Gill

TORONTO – Aboli en 2018 à l’arrivée au pouvoir de Doug Ford, le ministère des Affaires civiques a refait surface à la faveur du dernier remaniement. Avec cette nuance : l’intitulé complémentaire Immigration a été remplacé par Multiculturalisme. Si nombre d’acteurs communautaires perçoivent le retour de ce ministère comme une aubaine pour l’immigration francophone, tout porte à croire le contraire, selon des experts en politique provinciale.

Bombardé ministre des Affaires civiques et du Multiculturalisme au début du mois, le député de Milton, Parm Gill, s’attaquera-t-il au dossier de l’immigration francophone, levier vital pour résoudre la pénurie de main d’œuvre bilingue dont souffre la province?

La Société économique de l’Ontario (SÉO) croit que oui. « L’immigration en Ontario est essentielle afin d’aider à combler le manque de main-d’œuvre », selon Patrick Cloutier qui se réjouit de cette nomination. Le directeur général de la SÉO se dit même impatient de « trouver des occasions de collaboration » dans le dossier de l’immigration et de l’intégration des francophones et des personnes bilingues dans le marché du travail en Ontario.

Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Carol Jolin, évoque, lui, « un pas dans la bonne direction » qui a « le potentiel de renforcer l’immigration francophone dans la province », mais « il va falloir que le travail se fasse efficacement pour augmenter nos résultats et nos cibles en immigration ».

Alain Dobi, directeur des Réseaux en immigration francophone de l’Ontario, applaudit également le retour de ce ministère. « Je me félicite qu’on ait un ministère qui parle d’immigration et de multiculturalisme. Ça veut dire qu’on va avoir un interlocuteur pour ces questions. Ça va être à nous de se faire une place et faire en sorte que le multiculturalisme ne dilue pas la problématique spécifique aux francophones. »

Les acteurs communautaires nourrissent donc des espoirs mais, dans ce concert d’enthousiasme, la politologue Geneviève Tellier pousse une note dissonante.

Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa. Archives ONFR+

« J’ai du mal à imaginer comment ce ministère pourrait faire avancer les dossiers en immigration francophone, puisqu’il s’agit d’une prérogative (traditionnellement) dévolue au ministère des Affaires francophones. »

« D’une façon générale, le multiculturalisme n’a jamais été vu comme une façon de promouvoir le français », surenchérit-elle. « On est dans la veine canadienne et ontarienne qui s’intéresse aux communautés, sachant qu’on a déjà aidé les francophones » dans les trois premières années de mandat progressiste-conservateur.

Manœuvre électoraliste en banlieue torontoise

À moins d’un an du prochain scrutin provincial, la professeure de l’Université d’Ottawa décèle plutôt une manœuvre électoraliste. « On a reproché au cabinet du premier ministre d’être homogène avec des ministres blancs. La logique est donc de faire rentrer des ministres de la banlieue de Toronto pour montrer qu’on s’intéresse aux groupes issus de l’immigration. Si ce type de ministère apportait des résultats pour les francophones, ça se saurait. »

« M. Ford veut rallier les communautés culturelles lors de l’élection », interprète Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster. « Avoir un ministre qui peut se promener dans les différentes communautés de la région torontoise – où le parti a réalisé de bons scores en 2018 – et promettre des financements dans l’année qui vient est intéressant pour lui afin de rebâtir sa coalition et ses appuis. »

Parm Gill, ministre et député de Milton. Source : compte Twitter Parm Gill

L’opposition officielle émet d’ailleurs de sérieux doutes sur les missions de ce ministère. « Si ça peut aider à attirer des francophones à travers le Canada et depuis d’autres pays francophones, ça peut être une bonne chose, car on a besoin de main d’œuvre, de profs, de docteurs, de tout », estime Guy Bourgoin, le porte-parole aux Affaires francophones du NPD. « Mais je suis septique. L’immigration francophone fait partie du travail du ministère des Affaires francophones. Un des gros problèmes, c’est justement que la ministre (Caroline Mulroney) ne fait pas ce qu’elle devrait faire : se battre pour nos droits constitutionnels et faire avancer nos demandes. »

Tendance encourageante, cible trop timide

L’immigration francophone a connu une hausse régulière au cours des dernières années. Pointant à 2,15 % en 2018, elle est passée à 3,4 % en 2019 pour établir un sommet à 4,09 % en 2020, effaçant une catastrophique chute au premier trimestre 2020, consécutive à la fermeture des frontières canadiennes.

Derrière ces chiffres encourageants, Carol Jolin convient que, même si la cible de 5 % fixée par le gouvernement était finalement atteinte en 2021, l’objectif lancé il y a presque dix ans manque désormais d’ambition. « Il faut se donner une cible plus haute que celle qu’on s’est donnée en 2012 si on veut faire notre rattrapage pour être capable de garder notre poids démographique », martèle le président de l’AFO.

Alain Dobi, directeur du Réseau de l’immigration francophone (RIF) Centre-Sud-Ouest de l’Ontario. Source : Twitter

Le ministre Gill prendra-t-il les choses en main et rehausser la cible en immigration de langue française si les Affaires francophones ne le font pas? M. Dobi, qui milite lui aussi pour une cible proportionnelle au poids réel des francophones en Ontario, l’espère bien, tout en restant sur ses gardes. « Si ce ministère a été créé à des fins électorales, c’est leurs droits, mais nous aussi on va utiliser ce ministère pour se faire entendre et faire avancer nos revendications. »

La disparition en 2018 du ministère des Affaires civiques et de l’Immigration (MACI) a été préjudiciable à la communauté, selon lui, puisqu’elle aurait mis un coup d’arrêt aux recommandations du groupe d’experts lancé par la province en 2015. « Le ministère avait commencé à mettre en place quelques-unes des recommandations du rapport mais sa disparation a mis un frein et ça a laissé trainer un certain nombre de dossiers. »

Sollicité par ONFR+, le bureau de M. Gill a accepté notre demande d’entrevue avec le ministre avant de l’annuler au dernier moment.