Le phénomène Taylor Swift s’empare de l’Ontario
S’il y a bien une personnalité qui aura fait parler d’elle en 2023, c’est la chanteuse américaine Taylor Swift qui a cumulé les records et autres récompenses historiques. À quelques mois de son concert très attendu à Toronto, le phénomène Taylor Swift, ou Swiftmania, est bien présent en Ontario. Partout dans la province, les fans, aussi appelés Swifties, ne reculent devant rien pour leur star préférée.
Première artiste chanteuse à être nommée personnalité de l’année par le magazine Time, artiste la plus écoutée sur les plateformes de streaming, musicienne la plus puissante du monde selon Forbes, tournée la plus lucrative de l’histoire… La liste des accomplissements de la chanteuse de 34 ans est encore longue, mais s’il y a une chose que les fans attendent avec impatience en Ontario c’est bien son concert Eras tour lequel aura lieu les 14, 15, 16, 21 et 22 novembre prochain au Centre Rogers.
La demande pour ces dates, annoncée en août dernier, était phénoménale : plus de 31 millions de personnes s’étaient inscrites sur la liste de la billetterie officielle Ticketmaster pour obtenir des billets. Avec une capacité de 50 000 sièges, autant dire que de nombreux Swifties auraient plus de chance de gagner au loto que de pouvoir s’asseoir dans le stade pour admirer le spectacle de plus de 3h30 de la musicienne.
Prêts à tout pour des billets
Arielle Morin, Franco-Ontarienne de la région de Toronto, a tout essayé, y compris demander à 13 amis et membres de sa famille de créer un compte pour demander un billet ou encore participer à cinq concours pour remporter des billets. L’étudiante a même failli se faire avoir à deux reprises par de faux comptes prétextant vouloir revendre les billets sur Facebook.
« C’est très frustrant, je n’ai jamais réussi à la voir en concert, mais je ne perds pas totalement espoir », avoue la jeune femme originaire de France qui ajoute être prête à payer 2000 $ le billet pour voir la vedette américaine.
Sylvie Lamarche Lacroix, de Timmins, a choisi une autre option pour voir le concert : aller en Australie où la chanteuse donnera des dates en février prochain.
Avec plusieurs escales, des démarches administratives de visa et des milliers de dollars investis pour ce voyage, la jeune maman s’estime heureuse d’avoir pu trouver un moyen de voir le spectacle de la chanteuse, qui reviendra, comme son nom l’indique, sur toutes les ères de sa carrière musicale entamée il y a plus de 17 ans déjà.
Derrière ce long voyage, il y a cet hommage à sa fille Stéphanie, décédée en 2019, laquelle lui a transmis sa passion pour la chanteuse. Elle rejoindra des amies de sa fille à Vancouver résidant à Montréal, pour vivre cette expérience.
« J’anticipe avec joie le voyage en Australie, Taylor a beaucoup de talent. Elle a une belle voix, compose ses propres chansons, donne des spectacles incroyables, est humble tout en étant une femme d’affaires confiante », confie la Franco-Ontarienne.
Une inspiration
Tabatha Schaefer fait partie des fans les plus chanceuses, elle a eu l’occasion de voir le concert de la chanteuse à Miami et a aussi réussi à décrocher des billets pour les dates de Toronto après un deuxième essai, seulement.
« Le concert n’était rien de ce que j’ai connu auparavant, c’était complètement hors de ce monde. Je suis allé à sa tournée précédente, qui était géniale, mais cette tournée est un tout autre niveau », explique la jeune femme du Nord.
Comme beaucoup de fans l’ont vécu, celle-ci dit avoir aussi vécu ce que plusieurs ont décrit comme une amnésie à la suite du concert. Des experts avaient alors expliqué que la surstimulation sensorielle durant le très long concert de la chanteuse pouvait expliquer ce phénomène.
Parmi les personnes inspirées par la chanteuse, on peut compter des artistes de l’Ontario, comme Céleste Lévis. « C’est sûr qu’elle m’inspire beaucoup », lance la francophone qui ajoute que le fait que la chanteuse américaine a popularisé l’écriture de paroles en lien avec des relations sentimentales l’a poussé à faire la même chose dans son art.
Taylor Swift avait aussi fait les manchettes depuis ces dernières années pour avoir décidé de réenregistrer tous ses six premiers albums afin d’être la propriétaire des bandes maîtresses, soit les enregistrements originaux, suite à un conflit avec son ancien producteur.
Un geste avant tout symbolique, mais aussi financier, dans une industrie où l’artiste n’a pas le plein contrôle sur son répertoire musical. Céleste Lévis dit aussi penser à faire la même chose que l’artiste américaine récemment devenue milliardaire.
« Quand on commence en musique, on n’a pas nécessairement cette connaissance-là sur comment tout fonctionne, surtout au niveau des droits d’auteur et j’aimerais aussi éventuellement être la productrice de mes chansons », ajoute l’artiste originaire de Timmins.
Et de conclure : « C’est sûr que quand tu écris des chansons tu veux que ce soit à toi et pas à quelqu’un d’autre, puis maintenant j’ai les moyens pour pouvoir faire ça. »
Un format spécial à Sudbury
À Sudbury, les fans ont eu droit à une deuxième chance afin de vivre l’expérience du concert à travers le film à succès de sa tournée, lequel a été formaté en IMAX à Science Nord, à partir du 1er décembre soit quelques semaines après la fin de la diffusion du film en salle de cinéma régulier.
Le film a été diffusé jusqu’à dimanche dernier, et la réponse du public a été immédiate selon Kate Gauvreau, gestionnaire principale au développement des activités et des services sur place à Science Nord. 2376 tickets avaient été vendus au complet, en comparaison un film de fiction régulier génère en moyenne 500 ventes selon les données de Science Nord.
« Nous avons décidé de diffuser le film avec dans l’idée qu’il y avait une bonne demande dans notre communauté et nous sommes très satisfaits des résultats », se réjouit la Franco-Ontarienne.
Au-delà de la vente pure de tickets, celle de produits dérivés comme des bols de maïs soufflé et des gobelets à l’effigie du concert à elle aussi été un succès puisque plus de 300 ont été vendus soit la totalité de l’inventaire prévu. Science Nord a aussi choisi de proposer des forfaits pour boissons (billet pour le concert et boissons dans un bar partenaire de la ville), mais aussi des forfaits pour hôtels pour les personnes habitant hors de Sudbury lequel a séduit en grand nombre des citoyens d’Elliot Lake, New Liskeard, Sault Ste. Marie, Hornepayne ou encore Corbeil.
Alyssa Laferrière, de North Bay, fait partie de ces curieux qui ont choisi de faire le voyage pour voir le film en Imax, après avoir, non seulement, été au concert, mais aussi au cinéma pour voir le film régulier.
Selon elle, le déplacement de plus d’une heure et demie, avec une amie, en valait la peine en raison de l’expérience immersive offerte par le format Imax : « J’espérais vivre une expérience qui ressemble à un concert, et je n’ai pas été déçue. C’était aussi une excellente raison pour nous, mères célibataires, de passer une soirée amusante et relaxante. »
Des millions pour Toronto
L’impact financier de ces concerts à Toronto sera considérable si l’on se fie aux tendances de réservation des hôtels, lesquels affichent déjà complet pour certaines de ses dates.
« Nous sommes ravis d’accueillir Taylor Swift à Toronto pour ses concerts Eras Tour en novembre 2024. Cet événement de six concerts sera incroyable pour notre ville, et les membres de nos hôtels ont hâte d’accueillir chaleureusement les Swifties du monde entier », a fait savoir Sara Anghel, présidente de l’organisme d’hôtels du Grand Toronto dans un échange de courriel avec ONFR.
Selon des données du bureau de tourisme de Chicago, qui compte sensiblement la même population que Toronto, la ville a battu un record historique en termes de chambres occupées la fin de semaine du concert de Taylor Swift, soit plus de 44 000 pour des revenus de plus de 39 millions de dollars américains.
Bien qu’il soit encore difficile d’anticiper de manière précise le scénario pour la ville-reine, Mme Anghel se veut très optimiste au vu des résultats similaires dans les villes américaines où s’est produite la chanteuse pour la portion américaine de sa tournée en 2023 : « Nous nous attendons à ce que l’économie touristique de Toronto soit stimulée de la même façon. »
Du côté de la ville, une stratégie spéciale sera mise en place dans le cadre du plan de congestion 2023-2026, pour accueillir des événements spéciaux avec, en exemple, le concert de Taylor Swift, qui devrait amener plusieurs millions de personnes, espère la ville.
Une équipe de planification de la gestion des événements liés à la circulation a été mise sur pied en juillet dernier afin de veiller à la gestion de la circulation des véhicules, du stationnement, la présence policière, ou encore la disponibilité accrue des transports en commun durant ces dates.
En plus des quelque 50 000 personnes attendues chaque soir dans l’arène du concert, plusieurs autres milliers pourraient venir aux alentours du Centre pour tenter d’entendre le son provenant du spectacle.
Frédéric Dimanche, directeur de l’école Ted Rogers en gestion de l’hôtellerie et du tourisme à l’Université métropolitaine de Toronto, estime que « si tout le monde n’a pas de billet, les gens viendront quand même en ville pour l’événement, donc il y aura une sorte de festival Taylor Swift pendant quelques jours ».
Plusieurs médias, dont la chaîne américaine CNN, ont rapporté une activité sismique équivalente à un tremblement de terre de magnitude 2,3 suite aux deux concerts de Taylor Swift à Seattle en juillet dernier, que les experts ont appelé le Swift Quake.
Swiftmania
Les tarifs proposés dans les hôtels de la ville ont été revus à la hausse afin de rentabiliser au maximum le profit financier, avec un différentiel de plus du double du prix régulier sur plusieurs hôtels situés à proximité du stade.
Plusieurs hôtels contactés par ONFR ont refusé de répondre spécifiquement sur le taux d’occupation actuel pour les dates du concert. Selon le professeur Frédéric Dimanche, il s’agit d’une stratégie des hôteliers qui souhaitent conserver l’attrait de la clientèle intéressée par ces dates.
Le Torontois parle d’une Swiftmania pour caractériser l’engouement autour de la chanteuse et de son concert, laquelle aurait généré près de 5 milliards de dollars rien qu’avec la portion américaine de sa tournée.
« Elle a une portée économique qu’on ne mesure pas avec d’autres artistes, je n’ai jamais vu autant d’attention, d’excitation et de préparations pour une artiste que celle-ci », estime le professeur.
Une chambre de l’hôtel Bisha de Toronto a même été renommée et décorée de manière permanente en l’honneur de la chanteuse. La chambre, intitulée Taylor, se chiffre actuellement à près de 6000 $ la nuit pour les dates du concert.
L’établissement du centre-ville ira même plus loin en décorant les étages de manière à recréer chaque époque de sa musique.
« C’est de la démesure », juge M. Dimanche. Selon lui, alors qu’on vit dans une époque où l’inflation est partout, ce besoin de vivre une expérience non tangible est probablement lié au fait que « les gens veulent se faire plaisir et ne se refusent rien dans un monde post-COVID-19 ».