Le rêve américain commence pour Laeticia Amihere sur le parquet de la WNBA
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
ATLANTA – À 21 ans et du haut de son mètre 93, Laeticia Amihere s’apprête à vivre ce week-end son premier match de WNBA, le championnat américain de basket féminin professionnel. Que ce soit sous les couleurs du Dream d’Atlanta ou de l’équipe nationale canadienne, la Franco-Ontarienne de Mississauga a tracé une trajectoire que peu de Canadiennes sont parvenues à égaler.
« Comment se passe votre intégration dans le groupe d’Atlanta Dream depuis votre arrivée dans l’État de Géorgie?
Très bien. Je prends mes repères. Je suis arrivée mi-avril. Je voulais commencer mon entrainement le plus tôt possible. J’ai déménagé la plupart de mes affaires. J’ai fait plusieurs va-et-vient entre Atlanta et Toronto pour voir mes coéquipières et mes proches qui ont organisé une fête pour moi. J’ai pris le temps d’apprendre beaucoup de concepts différents ces dernières semaines.
Dans quel état d’esprit êtes-vous avant votre premier match en WNBA (Women’s National Basketball Association), ce samedi face aux Wings de Dallas?
C’est très excitant. Je vais donner le meilleur de moi-même.
Revenons à cette soirée de repêchage à New York au moment où vous avez appris que vous alliez rejoindre la WNBA. Vous attendiez-vous à être retenue? Quelles émotions vous ont traversée à cet instant?
J’entendais des rumeurs sur les réseaux sociaux, depuis plusieurs jours, annonçant où j’étais supposée partir. Mais ce genre de chose pouvant changer du tout au tout en quelques heures, j’étais prudente. Tout s’est passé très vite! Quand j’ai entendu mon nom, ça a été une vague d’émotion.
Est-ce un rêve de petite fille qui se réalise à ce moment-là? Imaginiez-vous atteindre un tel niveau?
Quand j’étais jeune, je regardais et admirais des joueuses comme Candace Parker (basketteuse américaine double championne WNBA et olympique) et aussi l’équipe nationale canadienne. J’ai toujours voulu atteindre ce niveau auquel peu de joueuses parviennent.
Sept autres Canadiennes seulement ont réussi cet exploit en vingt-sept ans… Ça vous fait quoi d’entrer dans ce cercle très fermé?
Je ressens deux sortes d’émotion. Je suis excitée de vivre ça, mais aussi d’ouvrir un chemin pour d’autres filles qui veulent faire la même chose. C’est un honneur d’être dans un secteur si limité. Je rêve d’avoir plusieurs Canadiennes à mes côtés dans les années qui viennent. Ça peut leur rendre un peu de confiance de savoir que c’est possible d’y arriver.
À quoi ressemblait votre enfance à Mississauga?
J’ai fait mes études à l’École élémentaire catholique Ange-Gabriel, là où ma mère a enseigné, puis à l’École secondaire catholique Sainte-Famille. Toute mon enfance était en français, à l’école et dans la famille. Ma mère parlait français et mon père anglais. J’ai vraiment commencé à apprendre l’anglais au contact du basket. Le sport a toujours occupé une grande place chez mes deux grands frères et moi-même. Mais ça a été difficile de jongler entre les études et le sport, car peu d’athlètes faisaient ça. Alors j’ai intégré une école privée à Milton où j’ai fait quatre années de sport-études, avant d’entrer à l’Université de Caroline du Sud.
Vous avez même remporté le championnat universitaire avec l’Université de Caroline du Sud en 2022. Ce triomphe représente-t-il un des moments les plus forts de votre jeune carrière?
Au début, j’aspirais juste à jouer en division 1, puis quand je l’ai réalisé, je n’avais qu’une obsession : gagner le championnat. Ça a été un des moments les plus marquants dans ma carrière. D’autant que ça venait après une année extrêmement difficile où on était supposé gagner mais la COVID-19 a bouleversé les plans.
Les championnats universitaires aux États-Unis sont connus pour être très compétitifs et stressants. Racontez-nous cette intensité…
C’est très intense parce que, durant la saison, tu peux te permettre de perdre un match, mais, quand tu arrives au tournoi, tu rentres à la maison au moindre faux pas et ta carrière de basketteur peut s’écrouler. C’est pour ça qu’à chaque match tu mets tout sur la ligne pour gagner.
Pourquoi le basket?
Ça s’est passé plutôt jeune. J’ai toujours eu une grande taille. Cela m’a aidée. J’aimais faire plusieurs sports, puis le déclic s’est produit à environ 14 ans. Team Ontario et Team Canada m’ont sélectionnée pour être dans leur secteur de développement. J’ai commencé à prendre le basket beaucoup plus au sérieux. À 15 ans, j’étais la plus jeune de l’équipe nationale, qui est aussi l’équipe olympienne.
Votre famille doit être très fière de vous…
Oui, ça a été beaucoup de sacrifices. Je suis la première de la famille à avoir fait des études comme ça. Réussir ses études est très important pour ma famille et quand mes parents ont vu que je prenais ça très au sérieux et que des opportunités apparaissaient, ils ont été vraiment fiers.
Vous ne serez pas la seule francophone au Dream d’Atlanta puisque la Martiniquaise Iliana Rupert a également rejoint l’équipe. Communiquer en français peut-il être un atout dans certaines circonstances?
Oui, on parle surtout en français en équipe nationale dans des tournois internationaux. On se dit des petits trucs. Bien sûr, quand on joue la France, ce n’est pas quelque chose qu’on va utiliser (Rires), mais c’est quelque chose dont on se sert parfois.
Quelles sont vos ambitions en WNBA?
D’abord, je veux apprendre le plus possible, tirer le meilleur de cette expérience. Bien sûr, je veux gagner un championnat et on va franchir toutes les étapes qu’on peut faire pour y arriver. Mais je crois que le plus important, pour cette première année, est de mettre une marque pour moi, pour les Canadiennes, pour les filles qui n’ont pas eu les mêmes opportunités que moi, leur montrer que c’est possible. Je sais que ce sera difficile de rester dans la Ligue, car il n’y a que 144 places et que, si tu ne fais pas ton travail, il y a quelqu’un d’autre qui la prendra. Je vais travailler extrêmement fort chaque jour.
Vous évoluez en équipe nationale depuis cinq ans. Le Canada a-t-il sérieusement le potentiel de décrocher un titre mondial ou olympique?
On est dans une année olympique et c’est clair qu’on veut avoir une médaille. Monter sur le podium, c’est mon but et je vais travailler toute la saison pour y contribuer. Au-delà du résultat sportif, je veux aussi être un modèle pour les joueuses plus jeunes que moi, leur apprendre tout ce que je sais.
Le basket féminin n’est-il pas encore trop dans l’ombre du basket masculin?
Oui, mais les choses changent. Par exemple, le March Madness (le grand tournoi universitaire américain régi par la National Collegiate Athletic Association) s’est ouvert aux filles qui ont pu utiliser ce nom pour la première fois l’année dernière, alors qu’avant cela s’appelait le tournoi des filles. Les réseaux sociaux se sont alors intéressés au basket féminin. Le talent a toujours été là, mais pas autant exposé que celui des hommes. Ça va continuer à progresser. On le voit au nombre de spectateurs qui grandit.
Quels sont vos points forts et votre spécialité?
Ma longueur et ma vitesse me servent beaucoup! Étant athlétique, je peux jouer plusieurs positions, de point gard (meneuse) à center (pivot). C’est plutôt rare, mais en WNBA cette polyvalence va me servir car la coach peut faire appel à moi dans différentes conditions de jeu.
Qu’est-ce qui vous agace le plus sur le parquet?
Je n’aime vraiment pas quand il n’y a pas beaucoup d’énergie sur le terrain. J’aime au contraire quand ça bouge vite. J’ai besoin d’être dans une équipe qui a plein d’énergie, car cela me motive énormément. Dans l’équipe nationale canadienne, on peut compter sur des gens vraiment passionnés. À Atlanta, la coach ici a beaucoup de motivation et elle nous motive sur le terrain. Un environnement comme ça pousse à bien jouer.
Que pensez-vous du projet d’expansion de la Ligue professionnelle féminine à Toronto?
C’est une bonne idée. Toronto est une place idéale pour une équipe de WNBA. Les gens sont excités à l’idée de regarder des matchs de basket féminins. On l’a vu avec le premier match de l’histoire de WNBA au Canada (qui a eu lieu cette semaine à Toronto) : les tickets se sont vendus en dix minutes. Il n’y a pas beaucoup de basket féminin à haut niveau au pays. C’est donc une belle opportunité d’apporter ça à Toronto, dans un environnement électrique comme ont su le créer les Raptors chez les hommes.
Comment avez-vous vécu justement le sacre des Raptors en NBA en 2019?
J’ai une bonne relation avec Masai Ujiri. Il m’a beaucoup aidée quand j’étais à Toronto. C’est à partir de là que j’ai commencé à suivre les Raptors. Être champion a été tellement incroyable, mais la suite a été plus difficile à gérer. Beaucoup de choses vont changer cette année. Je suis excitée parce que cette équipe a beaucoup d’énergie.
Quelle expérience retenez-vous de vos premiers Jeux olympiques à Tokyo en 2021 et comment abordez-vous les prochains à Paris en 2024?
Les Jeux de 2021 étaient une expérience unique. C’était pendant la COVID-19. On a passé cinq mois d’affilée ensemble. On ne pouvait pas s’entraîner à Toronto. On devait aller en Floride pour le faire. Être entourée des meilleurs athlètes du monde à Tokyo était formidable. Paris, je sais que ça va être encore mieux car j’aurai accumulé encore plus d’expérience.
Quelle est la raison d’être de Back to the motherland, l’organisation à but non lucratif que vous avez créée en 2022?
C’est une fondation qui donne l’opportunité à des filles issues de minorités d’accéder à un sport d’ordinaire trop cher pour elles. Je l’ai créée parce que, moi-même quand j’ai commencé, le basket était onéreux pour ma famille. Je suis allée en Côte d’Ivoire, d’où ma mère est originaire, pour faire un camp dans lequel je transmets ma motivation. Et puis j’ai fait aussi un tournoi à Toronto pour mon équipe.
Est-ce important pour vous de rendre à la communauté ce qu’elle vous a offert, d’une certaine manière?
Je pense que c’est très important de faire ça parce que je suis à un niveau où beaucoup de filles sont en train de me suivre. Quand j’avais leur âge, je n’avais pas trop de joueuses à regarder car le Canada n’avait pas le niveau qu’il a aujourd’hui. Maintenant que je suis dans cette position, je vais leur rendre service. »
LES DATES-CLÉS DE LAETICIA AMIHERE :
2001 : Naissance à Mississauga
2015 : Médaille d’or du Championnat des Amériques U16
2017 : Première Canadienne à réussir un dunk en match à l’âge de 15 ans
2021 : Participe à ses premiers Jeux olympiques
2022 : Championne universitaire NCAA avec les Gamecocks de Caroline du Sud
2023 : Repêchée en WNBA par le Dream d’Atlanta
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