L’édifice de l’Assemblée législative de l’Ontario a 130 ans 

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Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

TORONTO – L’édifice de l’Assemblée législative de l’Ontario a 130 ans cette année. Construit après six ans de travaux, de 1886 à 1892, il ouvre officiellement ses portes le 4 avril 1893. Il est l’endroit où siègent les députés provinciaux, dans la capitale de l’Ontario.

Au moment de l’entrée en vigueur de la Confédération canadienne le 1er juillet 1867, l’Assemblée législative de l’Ontario siège dans un édifice au coin des rues Front et Simcoe, à Toronto. Cet édifice, érigé de 1829 à 1832, fut le troisième de style parlementaire à être construit sur le territoire du Haut-Canada (actuel Ontario). Il a servi jusqu’en 1841, puis de 1849 à 1859 au moment où la capitale de la Province du Canada-Uni alterne entre Toronto, Kingston, Montréal et Québec. 

L’édifice reprend du service en 1867, sa chambre haute en moins, puisqu’elle fut abolie l’année précédente. Siège du gouvernement et du pouvoir législatif jusqu’en 1892, l’édifice est ensuite abandonné, tombe en ruines, cible des vandales, avant d’être démoli entre 1900 et 1903. Son terrain est aujourd’hui occupé par la place Simcoe et les bureaux de CBC/Radio-Canada. 

Un choix controversé pour l’architecte du second édifice

Le parc Queen’s Park, situé à Toronto, fut l’un des premiers urbains publics dans l’Empire britannique. Orné de vastes jardins, il fut inauguré en grande pompe en 1860 par le prince Édouard, Prince de Galles (ultérieurement le roi Édouard VII) en l’honneur de sa mère, la reine Victoria. Aménagé sur des terrains appartenant à l’Université of Toronto, il est en vertu d’une entente conclue avec la Ville de Toronto loué par l’Université pour un montant symbolique de 1 $ pour une durée de… 999 ans! 

Le 26 avril 1880, le gouvernement annonce un concours international invitant les architectes à proposer des idées de plans et devis pour la construction d’un nouvel édifice plus grand et majestueux de l’Assemblée législative à Queen’s Park. 

L’architecte américain Richard A. White (1848-1911) de Buffalo est nommé par le jury du concours international d’architecture pour la conception de ce bâtiment. Il s’était fait remarquer pour sa conception de l’édifice du journal The Toronto Mail la même année du lancement du concours. 

Après avoir sélectionné les trois meilleures propositions, le jury finit par décider que ces propositions ne répondent pas aux exigences en matière de chauffage, d’éclairage et de ventilation. 

Le dessin d’un plan architectural de la façade (côté sud) et le chantier de construction, entre 1886 et 1892. Crédit image : Assemblée législative de l’Ontario

Le gouvernement propose un nouveau concours, auquel participent les deux meilleurs candidats du premier. On leur demande de réviser leurs plans originaux afin de déterminer un gagnant et la tâche revient à l’architecte Richard Waite (juge lors du premier concours) d’examiner les résultats. 

Il rejette les deux propositions, en lançant en guise de boutade qu’il pouvait faire mieux avec une main liée derrière le dos! 

N’ayant pas obtenu de proposition satisfaisante, le gouvernement de l’Ontario invite donc Waite à soumettre la sienne, qui est rapidement acceptée.  La construction commence au début de l’année 1886 non sans soulever des soupçons de favoritisme ainsi que l’ire d’associations d’architectes. 

Quoi qu’il en soit, l’ensemble est inauguré le 4 avril 1893 par le premier ministre de l’Ontario, Sir Oliver Mowat et devient rapidement un des symboles les plus reconnaissables du gouvernement provincial. 

Le complexe parlementaire occupe environ 1,6 hectare (4 acres) et compte quelque 200 pièces. Au moment de son ouverture, il est le dernier bâtiment législatif à être achevé des quatre provinces d’origines du Canada (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et Québec). 

Le premier franco-ontarien à siéger dans cet édifice fut Alexandre Robillard, député libéral de Russell de 1886 à 1898. La première franco-ontarienne : la députée d’Ottawa-Vanier Claudette Boyer en… 1999! 

Un joyau architectural 

L’édifice est de style roman richardsonien. Il comporte aussi des éléments typiques de l’architecture du nord de l’Italie, comme les arches arrondies, les tours en dôme et les gravures finement détaillées. Les murs extérieurs sont faits de grès rose vieux de plus de 438 millions d’années, extrait d’une mine dans la région de Credit Valley, près d’Orangeville. Pour cette raison, l’édifice est parfois surnommé le « Palais rose » bien que le nom « Queen’s Park » se soit imposé dans le langage courant. 

Le toit est recouvert d’ardoise en provenance du Vermont, et les dômes sont recouverts de 42 tonnes métriques de cuivre. Les entrées couvertes des ailes est et ouest de l’édifice législatif sont des portes cochères, conçues à l’époque pour accueillir les calèches. 

Une délégation franco-ontarienne invitée par Paul D’Aoust (président de l’ACFO régionale de Toronto à l’époque) manifeste le jour du rapatriement de la Constitution canadienne le 17 mai 1982 à Toronto, devant l’Assemblée législative de l’Ontario. Crédit image : Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Les Éditions L’Interligne (C86), cote : Ph167-1274. Auteur : Paul De Broeck.

À l’intérieur de l’édifice se trouvent des colonnes et des gravures de fonte, des parquets en chêne, ainsi que des murs intérieurs et des lambris d’appui comptant plus de 10 millions de briques. De magnifiques sculptures en bois d’acajou et en bois de platane garnissent la Chambre législative. Les plafonds en vitrail des ailes est et ouest ont été conçus par la compagnie McCausland de Toronto. 

Au moment où sa construction s’achève, en octobre 1892, l’électricité est ajoutée.

Deux ailes sont annexées à une vaste unité centrale où se trouve la Chambre législative. Située originalement dans l’aile ouest de l’édifice législatif, la bibliothèque a été détruite pendant un incendie dévastateur en 1909. Elle est reconstruite dans la nouvelle aile nord, qui fut complétée en 1912.

L’aile ouest fut reconstruite selon son allure extérieure d’origine mais l’intérieur changea pour un style architectural édouardien, couvert de marbre italien, selon les plans de l’architecte torontois Edward James Lennox. (1854-1933). 

Malgré toute sa richesse architecturale, historique et symbolique et aussi surprenant que cela puisse paraître, l’édifice de l’Assemblée législative de l’Ontario n’est pas désigné en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. 

Un lieu de manifestations franco-ontariennes 

Abritant le pouvoir politique législatif et exécutif de la province, Queen’s Park a été le lieu de manifestations de la communauté franco-ontarienne pour le respect de ses droits, particulièrement depuis les années 1970. 

Le 11 octobre 1979, lors de l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, un groupe de 16 élèves de l’École secondaire de la Huronie, dite l’École de la résistance, à Penetanguishene manifestent silencieusement dans les tribunes du public de la Chambre. Après avoir pris place dans les tribunes, au signal donné, ils se lèvent simultanément, enlèvent leurs manteaux et se tournent pour révéler des t-shirts au dos desquels, lettre par lettre, s’épelle P-E-N-E-T-A-N-G deux fois.

Les manifestants sont placés en face des députés de l’Opposition pendant que ceux du gouvernement progressiste-conservateur au pouvoir refuseront de se tourner pour les reconnaître. Le groupe se fait expulser, mais leur coup d’éclat provoque une vaste couverture médiatique alors que la crise scolaire de Penetanguishene bat son plein. 

Les élèves de l’École secondaire de la Huronie (dite École de la résistance) font un coup d’éclat en pleine crise scolaire majeure le 11 octobre 1979 à l’Assemblée législative de l’Ontario où ils manifestent silencieusement dans les tribunes du public, avant de se faire expulser. Ils posent ici devant les caméras à l’extérieur, devant l’Assemblée législative. Gracieuseté

Le 17 mai 1982, journée du rapatriement de la Constitution canadienne, à l’invitation de l’ACFO Toronto, des Franco-Ontariens manifestent devant l’Assemblée législative de l’Ontario leur profonde déception de voir le texte constitutionnel canadien entrer en vigueur sans aucune garantie spécifique pour leurs droits. 

Le 25 mai 1992, la  Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) et Direction-Jeunesse organisent une manifestation devant l’Assemblée afin de réclamer la création d’un réseau de collègues de langue française. 

Des Franco-Ontariens de partout, mais surtout des étudiants, convergent à Queen’s Park le 18 février 2016 alors que le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), la FESFO et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), organisent une Journée d’action provinciale pour une université franco-ontarienne devant l’édifice de l’Assemblée législative ontarienne. 

Des symboles franco-ontariens en permanence depuis peu 

Grâce à une motion du premier ministre de l’Ontario de l’époque John P. Robarts, les députés ont le choix de s’exprimer en anglais ou en français à l’Assemblée législative depuis 1967. Le français est devenu une langue officielle de la législature provinciale en 1970. Lorsque les travaux parlementaires commencent à être télédiffusés en 1986, la traduction simultanée est offerte, à la demande de l’ACFO (provinciale). 

Pour marquer le 100e anniversaire de la fondation de Rockland, l’édifice a accueilli une exposition temporaire sur les trésors patrimoniaux de l’église et du presbytère-château de la paroisse Très-Sainte-Trinité de Rockland en 2008-2009. 

L’AFO organise un lever du drapeau franco-ontarien devant l’édifice annuellement le 25 septembre (ou autour de cette date) en présence de dignitaires politiques et de membres de la communauté. De 2007 à 2020, la FESFO y a organisé un Parlement jeunesse francophone, réunissant des élèves du secondaire de partout en province.

Exposition temporaire du patrimoine religieux franco-ontarien de Rockland à l’Assemblée législative de l’Ontario, en 2008-2009. À gauche : Jean-Marc Lalonde (député provincial de Glengarry-Prescott-Russell de 1995 à 2011), et à droite : Louis Aubry, responsable de la désignation patrimoniale de l’église Très-Sainte-Trinité et de son presbytère-château. Crédit image : Réseau du patrimoine franco-ontarien.

Le 22 février 2016, c’est dans l’Assemblée législative que la première ministre Kathleen Wynne présente solennellement des excuses officielles aux Franco-Ontariens pour l’adoption du Règlement 17, en 1912. 

Néanmoins, jusqu’à tout récemment, rien ne rappelait en permanence les Franco-Ontariens à l’Assemblée législative de l’Ontario… bien que le premier ministre au pouvoir lors de la promulgation du Règlement 17 a une statue à son effigie depuis longtemps sur les lieux. 

En 2018, un monument dédié aux Franco-Ontariens est venu pallier ce manque de reconnaissance. Situé sur l’esplanade sud-ouest de Queen’s Park le monument, d’une facture à l’esthétique contemporaine, est formé de bancs de béton blanc gris et de colonnes en acier inoxydable symbolisant une forêt. Il porte le nom de « Notre Place » en honneur de la chanson composée en 1989 par Paul Demers et François Dubé, reconnu comme hymne officiel des Franco-Ontariens par le gouvernement de l’Ontario depuis 2017. 

La drapeau franco-ontarien en chambre législative. Archives ONFR+

En 2021, le drapeau franco-ontarien (créé à Sudbury en 1975 par Gaétan Gervais et Michel Dupuis) a été hissé en permanence aux côtés des drapeaux du Canada, de l’Ontario et de l’Assemblée législative dans l’enceinte du parlement provincial et sur des mâts situés sur la façade extérieure sud au moment où il devenait aussi un symbole officiel de la province. 

Aujourd’hui jugé dangereux et gravement déficient, le bâtiment doit faire l’objet, au cours des prochaines années, d’un vaste chantier de démantèlement et de rénovation qui nécessitera le déplacement temporaire de la législature, un projet d’envergure estimé à plus d’un milliard de dollars.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.