Les députés appuient les francophones pour une modification du recensement
OTTAWA – Dans son 5e rapport, publié ce mardi , le comité permanent des langues officielles recommande d’ajouter plusieurs questions au recensement de 2021, afin de mieux comptabiliser les ayants droit et ainsi, d’appuyer la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
« Le comité est d’avis que le gouvernement du Canada doit corriger cette lacune en vue du Recensement de 2021 », lance le président du comité permanent des langues officielles, le député libéral Denis Paradis. « Il s’agit d’un problème qui dure depuis trop longtemps et qui pose un important préjudice aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, car il touche au cœur même de la vitalité des communautés, c’est-à-dire les écoles. »
Les francophones en situation minoritaire estiment que le questionnaire actuel du recensement ne permet pas de bien compter les ayants droit à travers le Canada. Conséquence : il devient difficile pour les communautés de justifier leur demande pour de nouvelles constructions d’écoles.
« Quand j’étais directeur de conseil scolaire francophone en Ontario et que je demandais au gouvernement provincial la construction d’une nouvelle école, on me demandait toujours des chiffres pour justifier ma demande. Je connaissais le besoin, mais ne pouvait pas le prouver par manque de données fiables car celles-ci n’existent pas », explique Roger Paul, aujourd’hui directeur général de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF).
L’ajout de questions linguistiques au questionnaire du recensement de Statistique Canada permettrait de mieux connaître le nombre de personnes éligibles aux écoles de langue française dit-il, et donc, aux provinces de prévoir les besoins en infrastructures.
« Dans le jugement de septembre en Colombie-Britannique, par exemple, la juge a confirmé qu’il fallait 500 places supplémentaires en éducation de langue française dans le secteur ouest de Vancouver. Pour avancer ce nombre, les juges se fient aux données du recensement. Or, celui-ci ne compte pas tous les ayants droit. Si bien qu’aujourd’hui, quand on construit une école de langue française dans les quartiers identifiés, après trois ans, elle est déjà pleine et trois ans plus tard, il faut y ajouter des portatives », illustrait l’avocat spécialiste des causes linguistiques, Mark Power, pendant les audiences du comité.
Dès 2021?
Le comité permanent des langues officielles recommande donc d’ajouter obligatoirement au recensement de 2021 des questions permettant de dénombrer tous les ayants droit au sens de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il enjoint le gouvernement fédéral à agir rapidement et à traiter ce dossier en priorité. Raison pour laquelle, les élus avaient organisé pour la première fois une conférence de presse pour rendre public un de leurs rapports.
« 2021 arrive vite et les questions du prochain recensement vont commencer à être élaborées dans les prochains mois, avant d’être soumises pour approbation au gouvernement. On veut être sûr que ces nouvelles questions soient dedans! », explique M. Paradis.
Pour le député libéral franco-ontarien, Paul Lefebvre, il y a urgence.
« Il aurait fallu faire ça depuis longtemps. Nous devons agir vite pour que la prochaine génération ait accès à l’éducation de langue française et qu’on ne perde pas une autre génération. »
Interrogé par #ONfr au moment des consultations du comité, Statistique Canada avait assuré prendre « en considération les questions sociales et économiques émergentes dans la détermination du contenu du questionnaire. (…) L’objectif de tout recensement est de produire des données de haute qualité à tous les niveaux, y compris pour les plus petites collectivités et les petits groupes de population. »
Lors de sa comparution, le directeur adjoint, Division de la statistique sociale et autochtone, à Statistique Canada, Jean-Pierre Corbeil, avait toutefois indiqué certains défis potentiels à des changements.
« Ce sont des préoccupations qui datent des années 90 et beaucoup de choses ont changé en matière de collecte de données. Si Statistique Canada fait les efforts, c’est possible », juge l’avocat Marc-André Roy.
Des consultations devraient avoir lieu à l’automne 2017 pour juger d’éventuelles modifications au prochain recensement.
Campagne nationale
Dans la liste des cinq recommandations contenues dans le rapport, les députés recommandent également au gouvernement fédéral de mettre en place et de financer une campagne nationale d’information pour faire mieux connaître le statut d’ayant droit.
Selon la Charte canadienne des droits et libertés, trois catégories d’individus sont considérées comme ayants droit et peuvent inscrire leurs enfants dans des écoles de langue française en contexte minoritaire :
- les citoyens dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone,
- les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français,
- les citoyens canadiens dont un enfant fréquente ou a fréquenté, au primaire ou au secondaire, une école de langue française au Canada.
Les élus ont insisté sur l’unanimité de leur comité à soutenir ces recommandations.
« Quand on travaille sans partisanerie, on arrive à de grandes choses! », a lancé la critique aux langues officielles pour le Parti conservateur du Canada, Sylvie Boucher.
« L’éducation, c’est là que tout commence et nous attendons désormais la réponse du gouvernement », a ajouté le porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette.
Mardi après-midi, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a indiqué être au courant du dossier.
« C’est une question qui a été souvent soulevée tout au cours de nos consultations publiques [sur les langues officielles] à l’effet de savoir quelle était la proportion d’ayant droits, comment on pouvait s’assurer de bien préserver la vitalité des communautés linguistiques partout à travers le pays. Donc cette question-là, on l’étudie, bien entendu, dans le développement de notre plan sur les langues officielles, mais de façon, en fait, alternative, je vais travailler avec mon collègue Navdeep Bains qui va pouvoir travailler avec Statistique Canada pour étudier la question. On vient tout juste de recevoir le rapport. Alors j’aurai l’occasion de l’étudier, d’en parler avec mon collègue et puis, je pourrai par la suite revenir avec une décision. »
Les organismes francophones applaudissent
Plusieurs organismes francophones, dont la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) et la FNCSF, avaient appuyé ces changements. Sans surprise, tous ont applaudi le rapport du comité.
« Ce sont des gestes de leadership significatifs, et ce sont surtout des gestes que le comité recommande de poser en collaboration avec les communautés elles-mêmes. Deux des recommandations visent la mise en place de comités consultatifs qui incluraient des intervenants communautaires. Si le gouvernement fait équipe avec nous de cette manière, on pourrait faire une différence historique au niveau de l’éducation en français », a souligné la présidente de la FCFA, Sylviane Lanthier.
Le président de l’ACFA, Jean Johnson, a pour sa part indiqué que son organisme écrira à nouveau au ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, ainsi qu’à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, afin de s’assurer que toutes ces recommandations seront mises en œuvre.