Les dessous du départ de Nathalie Des Rosiers
TORONTO – Nathalie Des Rosiers est arrivée en politique par accident, lors d’une élection partielle, et elle quitte cet univers, quelques mois après une élection générale qui a chassé son gouvernement du pouvoir. Tentée un moment par la chefferie du Parti libéral, elle décide plutôt de tourner le dos à la politique.
Fatigue parlementaire
Depuis plusieurs mois, Nathalie Des Rosiers cachait de plus en plus mal ses doutes sur son avenir et certaines de ses insatisfactions sur les travaux parlementaires. En marge du dépôt du dernier rapport de François Boileau, elle lâchera même en plein corridor qu’elle n’en aurait peut-être plus pour longtemps à Queen’s Park.
Aujourd’hui, elle s’ouvre sur ces derniers mois, difficiles, admet-elle. « Ça a été des moments torturants. De se demander si j’allais avoir un avenir politique, ça gruge des nuits. On reste éveillé à se demander ce qu’on doit faire. On ne veut pas quitter trop tôt », confie-t-elle, en entrevue à ONFR+.
Dans la deuxième opposition, face à un gouvernement conservateur décidé à imposer ses réformes, Nathalie Des Rosiers a frappé un mur.
« J’ai été déçue de la manière dont on nous a empêchés de travailler. La tradition parlementaire doit être respectée. Ce n’est pas rigolo de voir comment la période de questions est manipulée et ne sert pas l’intérêt public. Oui, à l’occasion, c’est peut-être ce que vous avez vu, c’était très frustrant », dit-elle.
Huit jours avant l’annonce de sa démission comme députée, ONFR+ avait questionné Nathalie Des Rosiers sur la possibilité qu’elle ne termine pas son mandat. Sans broncher, l’avocate s’était défendu de vouloir lancer la serviette.
« Je ne peux pas poursuivre personne (comme elle le faisait comme avocate), mais je peux écrire des bonnes lettres, c’est ce que je continue de faire », avait-elle lancé, esquivant habilement la question.
Nathalie Des Rosiers affirme qu’à ce moment-là, elle ne connaissait toujours pas la décision de Massey College, même si le processus d’embauche avait débuté au courant des mois de février et de mars.
Tentée par la chefferie
Nathalie Des Rosiers a rêvé un moment devenir la nouvelle chef du Parti libéral de l’Ontario.
« J’étais intéressée. J’ai tâté le terrain pour voir les appuis », dit-elle.
Des discussions ont eu lieu avec plusieurs collaborateurs, des élus libéraux passés et actuels et plusieurs proches. Les appuis n’étaient pas à la hauteur, selon certaines sources.
« Je me suis rendue compte que je devais changer de cap et que, malheureusement, ma carrière politique serait plus courte. Pour ma famille, j’ai conclu que ce serait difficile d’avoir une très longue carrière politique », affirme Mme Des Rosiers.
Cette fin de carrière politique ne lui laisse pas un goût amer, jure-t-elle.
« La politique est la gestion du possible. Oui, ça vaut la peine d’être autour de la table. Parfois il y a une opportunité de faire changer les choses. Mais on prend toujours une chance. Des fois, elle se présente, parfois non. Mais ça valait la peine d’y goûter », confie Mme Des Rosiers.
La politique par accident
Devenue avocate pour défendre les « laissés-pour-compte », Nathalie Des Rosiers a mené de nombreux combats publiquement comme avocate principale de l’Association canadienne des libertés civiles.
Elle tiendra des propos très durs à l’endroit du travail des policiers et des dirigeants politiques pendant le G20, à Toronto. Le premier ministre à ce moment? Dalton McGuinty, un libéral. Sur certaines tribunes, elle dira que les citoyens ne devraient pas croire autant ce que le gouvernement ontarien leur dit.
Ses prises de position passées ne sont finalement jamais venues la hanter. Et malgré ses critiques à l’endroit du pouvoir, elle décida de s’y frotter en se présentant comme candidate libérale dans Ottawa-Vanier.
« J’ai été surprise à l’époque qu’ils m’acceptent comme candidate, malgré mes prises de position sur McGuinty », confie-t-elle, aujourd’hui.
Elle sera élue en novembre 2016, lors d’une élection partielle pour remplacer Madeleine Meilleur.
Il lui aura fallu attendre deux longues années pour être nommée ministre. En janvier 2018, elle héritera du poste de ministre des Richesses naturelles et des Forêts. À quelques mois seulement de l’élection générale, qui chassera les libéraux du pouvoir, elle ne pourra pas réellement y faire sa marque.
Elle a néanmoins multiplié les projets de loi privés, malgré des résultats parfois mitigés.
« Comme politicienne, j’ai essayé de défendre les sans voix, dans mon travail, dans la circonscription. En chambre, j’ai présenté un projet de loi privé pour améliorer les droits de la personne. Il n’a pas été adopté », dit-elle.
« Ce sont des bouteilles à la mer, on lance les idées. Ça encadre le discours pour les prochains politiciens », ajoute Mme Des Rosiers, citant son récent projet de loi privé pour mettre un terme à l’isolement cellulaire des prisonniers.
Quant au projet de loi sur le bilinguisme d’Ottawa, elle se dit satisfaite du résultat.
« Le but était d’éviter qu’un prochain maire puisse changer le caractère bilingue de la Ville. C’était de mettre un cadenas. Ensuite, c’était d’assujettir la Ville à la Loi sur les services en français. Cela oblige la Ville à s’améliorer, car sinon il y a la possibilité d’aller plus loin dans le processus de plainte. Ces objectifs ont été atteints », affirme-t-elle.
Une expertise reconnue
Lors des menaces constitutionnelles du gouvernement progressiste-conservateur, qui souhaitait utiliser la clause nonobstant pour forcer la réduction du conseil municipal de Toronto, Doug Ford a trouvé sur son passage Nathalie Des Rosiers.
Auteure de l’ouvrage de référence The Oxford Handbook of the Canadian Constitution, elle s’est retrouvée la coqueluche des médias tout au long de cette crise. Sa connaissance en détail des recoins de la Charte des droits et libertés a permis au Parti libéral de se démarquer, malgré son statut de parti non-officiel et sa petite représentation en chambre.
Le 1er août prochain, Nathalie Des Rosiers deviendra la première francophone à diriger le Massey College.
« Les anciens vont se retourner dans leurs tombes! », lance-t-elle à la blague. « Il y a eu des francophones qui y sont allés, dont Julie Payette, mais c’est plutôt ancré dans une tradition anglophone. C’est à l’image de la culture d’Oxford et c’est un réel centre d’animation intellectuel où l’on soutient le développement de nouvelles générations de leaders », explique-t-elle.
Peut-être plus librement que comme politicienne, Nathalie Des Rosiers dit qu’elle continuera à faire entendre sa voix. « Il ne manque pas d’injustices dans ce monde, j’ai encore beaucoup à faire », conclut-elle.