Les libéraux défendent la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue
MONCTON – Le premier ministre Justin Trudeau a profité de son passage au Nouveau-Brunswick pour défendre la nomination de Brenda Murphy comme nouvelle lieutenante-gouverneure de la province. Une décision que plusieurs voient comme un manque de sensibilité pour le français.
« On reconnaît la tradition d’alternance quant à la nomination des lieutenants-gouverneurs au Nouveau-Brunswick. Mme Murphy a un historique de travail dans la communauté LGBT et pour lutter contre la pauvreté. Elle s’est engagée à améliorer son français et on sait que c’est important d’avoir quelqu’un qui peut servir et représenter la province dans les deux langues officielles », a défendu M. Trudeau, au micro de Martine Blanchard, sur Radio-Canada, jeudi dernier.
Le 5 septembre, le premier ministre annonçait la nomination de l’unilingue Brenda Murphy pour succéder à Jocelyne Roy Vienneau, décédée d’un cancer un mois plus tôt.
Des candidats discrets
Sur le terrain, les députés sortants libéraux restent discrets. Dominic LeBlanc, René Arseneault, Serge Cormier et Matt DeCourcey n’ont pas répondu aux demandes d’entrevue d’ONFR+.
Seule la ministre de la Santé et députée de Moncton-Riverview-Dieppe, Ginette Petitpas Taylor, a fait parvenir une déclaration écrite.
« Je me suis entretenue longuement avec Mme Murphy sur cette question lors de son assermentation comme lieutenante-gouverneure et elle m’a aussitôt rassurée qu’il s’agissait d’une très grande priorité pour elle de parfaire son français durant la durée de son mandat car elle reconnaît l’importance de représenter dans son travail les intérêts de la communauté francophone et acadienne au Nouveau-Brunswick. J’ai donc confiance qu’elle sera fidèle à son engagement. »
Colère sur les médias sociaux
Plusieurs Acadiens ont vivement réagi ces dernières semaines sur les médias sociaux. Parmi eux, l’avocat, Michel Doucet.
« Ce n’est pas la première fois que nous avons un lieutenant-gouverneur unilingue anglophone, mais cela me dérange, car le contexte a changé. Nous sommes en 2019 et de plus conscients du caractère officiellement bilingue du Nouveau-Brunswick. C’est donc beaucoup plus difficile d’accepter des nominations unilingues à des postes de la haute fonction publique ou aussi symboliques. Après 50 ans de bilinguisme, on peut s’attendre à plus de M. Trudeau. »
S’il ne doute pas des qualités de Mme Murphy, il regrette que la dimension linguistique ait été oubliée.
« Comment va-t-elle faire quand elle visitera des régions très majoritairement francophones? » – Michel Doucet
Pour la politologue de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, cette nomination s’explique de deux façons.
« Soit M. Trudeau n’a pas consulté les Acadiens de son parti, car on imagine mal Dominic LeBlanc, par exemple, accepter ça; soit, c’est un manque de jugement qui démontre que le premier ministre voit le français comme une caractéristique parmi d’autres et que dans ce cas-là, il privilégiait l’orientation sexuelle. Il a d’ailleurs beaucoup insisté sur cet aspect. »
La politologue rappelle que ce n’est pas la première fois que le premier ministre fait fi des conventions, notamment en ne nommant aucun sénateur acadien pour la Nouvelle-Écosse.
« Le premier ministre ne fait aucun effort en matière de langues officielles. On nous présente Mme Joly [ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie] comme la championne des langues officielles, mais M. Trudeau porte ombrage à son bilan. »
Des circonstances atténuantes?
Même si la fonction de lieutenant-gouverneur semble symbolique, Mme Cardinal ne minimise pas son importance.
« Quand on nomme une lieutenante-gouverneure unilingue dans la seule province bilingue du pays, quel message ça envoie? Ça fait du tort à toute la communauté acadienne qui se bat pour rappeler l’importance du bilinguisme. Comment voulez-vous demander au premier ministre, Blaine Higgs, de respecter ce principe si le gouvernement fédéral ne donne pas l’exemple? »
Le professeur associé à l’École d’affaires internationales Norman Paterson de l’Université de Carleton, Philippe Lagassé insiste toutefois sur les circonstances uniques de cette nomination.
« Le premier ministre n’avait pas le choix de nommer quelqu’un rapidement avec la disparition soudaine de Mme Vienneau et les élections à venir. Au fédéral, un député ou un administrateur peut remplacer le gouverneur général, mais rien n’est prévu pour les provinces. Si bien qu’en absence de lieutenant-gouverneur, l’exécutif ne peut pas déposer de décrets, ce qui empêche l’action du gouvernement. »
Un processus de nomination à revoir?
M. Lagassé reconnaît toutefois que le processus de nomination reste opaque, ce que confirment les explications du Bureau du premier ministre.
« Les nominations des lieutenants-gouverneurs sont faites par le gouverneur en conseil, sur recommandation du premier ministre. Les candidatures proviennent de différentes sources et font l’objet d’une évaluation par le premier ministre et son cabinet. Les lieutenants-gouverneurs sont choisis en reconnaissance de leur contribution marquée et soutenue à leur province et au Canada. »
Mais impossible de savoir le nombre de candidatures ni si certains étaient bilingues. Le précédent gouvernement conservateur de Stephen Harper avait mis en place un comité de sélection chargé de trouver et de proposer des candidats au premier ministre. Mais le gouvernement libéral a abandonné cette procédure.
« C’était peut-être une meilleure façon, même si ça restait à la discrétion du premier ministre », juge M. Lagassé.
Faudrait-il, dès lors, changer de système?
« Cela demanderait de rouvrir la constitution et je ne sais pas si cette question en vaut la peine », pense-t-il.
Déçu, le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson, veut se servir de cette leçon.
« C’est un réveil qu’on vient de recevoir, qui nous rappelle que nous devons être proactifs en proposant des noms et en encourageant des gens à se manifester pour que ça n’arrive plus jamais. »