Barrière systémique à plus grande échelle, parmi les pays approuvés par le Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada, la Suisse est le seul pays francophone. Photo : Canva

Les médecins étrangers francophones auraient plus de barrières systémiques pour s’établir au Canada et en Ontario. Parmi celles-ci, le dernier programme du ministère de la Santé, permettant à 100 praticiens formés à l’étranger de s’établir plus facilement dans le Nord de l’Ontario dès 2025, qui n’est pas disponible en français. Soutenue par l’AFO, la Société des Canadiens qui étudient la médecine à l’étranger (SOCASMA) exige une rectification de ces inégalités et dépose une plainte auprès de l’Ombudsman.

Le ministère de la Santé a annoncé en décembre que, dès 2025, 100 médecins de famille formés à l’étranger exerceront leur profession dans des collectivités rurales et du Nord, grâce à un programme pilote Préparation à la pratique en Ontario, ayant supprimé les barrières habituelles.

Le bémol pour l’organisme pancanadien SOCASMA est que cette évaluation n’est disponible qu’en anglais.

Carole Lafrenière, membre du conseil d’administration, est convaincue de l’importance de réduire les barrières qui empêchent les médecins francophones ou bilingues formés à l’étranger de venir pratiquer la médecine en Ontario pour mieux desservir la population francophone de l’Ontario.

Le Touchstone Institute, qui délivre ce programme financé par le gouvernement, pourtant favorable à offrir le programme en français, l’a informée que le problème résidait dans un manque de financement adéquat de la part du ministère à cet effet.

« Veuillez noter que le programme Préparation à la pratique médicale en Ontario n’est actuellement offert qu’en anglais » est-il mentionné sur le site internet du programme financé par le ministère de la Santé de l’Ontario. Source : Capture d’écran du site officiel

Le ministère de la Santé a décliné tout commentaire : « Les questions concernant le programme doivent être posées directement au Touchstone Institute. »

« Les francophones sont complètement oubliés », déplore Mme Lafrenière à notre micro.

« Or, selon la Loi sur les services en français, cette évaluation devrait être proposée dans les deux langues », ajoute-t-elle, notant que seul le Nouveau-Brunswick l’offre en français.

Dans la lettre qu’elle a fait parvenir aux ministères de la Santé et des Affaires francophones, appuyée par l’AFO, elle indique : « Pour les immigrants francophones, la situation est multipliée par l’absence quasi totale d’information de base, ainsi que de systèmes et d’outils d’évaluation en français.  L’Ontario a éliminé certaines barrières (…) mais il y a lieu de faire mieux, surtout en ce qui concerne les candidats francophones ».

Des barrières systémiques additionnelles

Pour un médecin étranger, il y a actuellement un autre recours pour exercer en Ontario. Mais là aussi, des disparités subsistent, « pour les francophones, la dynamique est encore pire ».

Ils peuvent faire une demande de résidence, un jumelage, de deux ans en médecine familiale après avoir passé deux examens du Conseil médical du Canada, pour lesquels les documents de préparation sont très rares en français.

L’année passée, rapporte Mme Lafrenière, 111 candidats francophones unilingues ont postulé en résidence à travers le Canada, seulement 24 ont pu être jumelés et tous seulement au Québec, soit 87 non jumelés.

« Sans compter qu’en l’obtenant, c’est une résidence de deux ans pour la médecine familiale, qui peut monter à cinq, sept ans et plus pour des spécialités. Des médecins qualifiés repartent de zéro ».

De même, les Canadiens qui ont étudié la médecine à l’étranger doivent aussi faire une demande de résidence au Canada, avec un taux de jumelage de seulement 22 %.

« 1000 médecins canadiens l’année dernière n’ont pas été jumelés au Canada et doivent soit aller ailleurs, soit changer de métier. Comparativement, 60 % des médecins étrangers parviennent à obtenir une résidence aux États-Unis », rapporte-t-elle, désabusée.

Carole Lafrenière explique que sa fille, une Franco-Ontarienne qui a étudié la médecine aux États-Unis, n’avait pas pu revenir exercer en Ontario, qui n’a reconnu qu’en 2023 l’équivalence en médecine de son voisin américain. Trop tard pour celle-ci qui s’était déjà établie de l’autre côté de la frontière. Photo : Gracieuseté

À cette inégalité s’ajoutent des barrières systémiques à plus grande échelle. Parmi les pays approuvés par le Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada, la Suisse est le seul pays francophone, avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Hong Kong, Singapour, l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni et l’Irlande.

Seul Québec a une entente bilatérale avec la France par exemple, mais pas reconnue à l’échelle du Canada.

Des requêtes formelles et une plainte auprès de l’Ombudsman

Le ministère des Affaires francophones, à qui la lettre était adressée également, avait répondu que la responsabilité relevait du ministère de la Santé. La députée néo-démocrate de Nickel Belt France Gélinas avait de son côté fait parvenir une copie de la lettre de Carole Lafrenière à la ministre de la Santé Sylvia Jones.

Estimant que les francophones de l’Ontario ont le droit de recevoir des services en français dans les deux langues officielles du Canada, l’organisme y a formulé les requêtes suivantes :

  • Qu’une stratégie soit développée dans le but d’identifier les lacunes au niveau de la prestation des services de médecins en français dans le but de mettre en œuvre une stratégie.
  • Que le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario et tous les organismes responsables du recrutement et de l’évaluation des médecins formés à l’étranger disposent d’un service d’accueil, d’information et d’évaluation bilingue, y compris un site web complètement bilingue, ainsi qu’un processus d’évaluation de la capacité à exercer la médecine qui est aussi bilingue.
  • Qu’un certain nombre de pays francophones (France, Belgique, Tunisie, Algérie, Maroc, etc.) soient reconnus comme juridictions approuvées par le Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada, ainsi que le Collège des médecins de famille du Canada, au même titre que les juridictions anglophones approuvées.
  • Que les médecins francophones qui veulent immigrer en Ontario puissent être évalués en français et, si nécessaire, qu’une formation de mise à niveau en anglais soit offerte pour les candidats qui ont besoin de perfectionner leurs connaissances de l’anglais. (La responsabilité d’évaluer les candidats relève de la Touchstone Institute qui n’a présentement pas le mandat et les ressources pour offrir cette évaluation en français.)

Une plainte formelle a également été envoyée auprès de l’Unité des services en français de l’Ombudsman…

« L’Ontario doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de faciliter l’intégration des professionnels de santé formés à l’extérieur du pays, tout en s’assurant le respect des standards de pratique et de sécurité pour les patients », estime pour sa part Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la francohonie de l’Ontario (AFO).