Les sentiments anti-bilinguisme ne disparaissent jamais vraiment au Nouveau-Brunswick
TRACADIE – Au Nouveau-Brunswick, les groupes anti-bilinguisme semblent naître, puis mourir d’eux-mêmes selon un cycle où l’on tend à retrouver les mêmes doléances d’une époque à l’autre. Le chercheur postdoctoral Gilbert Mclaughlin a réalisé qu’il n’existait pas de spécialiste de la question avant de plonger dans la problématique de l’hostilité envers le bilinguisme.
« On voit des vagues, puis à chaque fois qu’on pense que ça commence à mourir, il y en a une autre qui commence. Et c’est un peu ça qui est arrivé avec le Confederation of Regions Party (CoR) qui avait obtenu le tiers des votes dans la province (1991), puis huit ans plus tard, le parti n’existe plus. Ça se calme », explique le chercheur.
Le Confederation of Regions Party, qui a existé entre 1989 et 2002, était un parti provincial qui promettait d’abolir le bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick s’il était porté au pouvoir. Le parti s’était approprié le nom d’un parti d’extrême droite fondé dans l’Ouest canadien en 1984 et dissout en 1988.
On croyait le phénomène disparu, mais en 2010, un nouveau parti prônant la fin du bilinguisme a fait son entrée sur la scène politique néo-brunswickoise. Le People’s Alliance of New Brunswick (PA) a réussi à obtenir trois sièges lors des élections de 2018 et deux lors de celles de 2020.
« Là on a eu une résurgence du People’s Alliance qui va chercher trois députés, ce n’est pas rien. Aujourd’hui, ils ont même de la difficulté à faire passer des pétitions anti-bilinguisme parce que les gens semblent passer à d’autre chose. Et là les gens s’en réjouissent, mais comme j’ai dit à ma dernière présentation, ‘‘Réjouissez-vous pas trop vite!’’. Parce qu’on a l’habitude de voir ces mouvements-là : on pense que ça s’éteint, puis tout d’un coup, ça revient en force », insiste M. Mclaughlin.
Quant au discours que tiennent ceux qui s’opposent aux bilinguisme, il est le même d’une époque à l’autre et d’un parti anti-bilinguisme à l’autre.
« Le bilinguisme est vu comme une politique raciste qui exclurait les anglophones » – Gilbert Mclaughlin, chercheur
« Ils ont vraiment concentré leur message sur trois points », poursuit le chercheur. « Le premier est économique, c’est-à-dire qu’on a peur de perdre l’État providence si on continue à financer des choses francophones, que finalement, en dédoublant les services, on finisse par les perdre. Il y a aussi un message économique pour dire que la dette et tous les problèmes économiques du Nouveau-Brunswick sont un peu causés parce qu’on offre des services aux francophones. »
« Le deuxième message, c’est un message de victime, c’est-à-dire que la structure du bilinguisme fait que les premières victimes sont les anglophones. C’est-à-dire que ce sont eux qui vont moins avoir accès à l’emploi. Le bilinguisme est vu comme une politique raciste qui exclurait les anglophones en ne les traitant pas de façon semblable que les francophones. »
« Et en dernier, le troisième point de leur message c’est surtout une vision anti-élite, une vision un peu populiste des politiques qu’ils vont mettre de l’avant disant que les politiciens savent que le bilinguisme n’est pas bon, mais qu’ils ‘‘jouent la game’’ », en ignorant les faits, explique M. Mclaughlin.
Le chercheur dit avoir voulu aborder le sujet avec le moins de préjugés possible, afin de comprendre les causes profondes de ce phénomène.
« Je n’ai pas étudié ça pour les juger sévèrement, puis essayer de les détruire. Quand on les rencontre, on découvre autre chose. On découvre des peurs, des sensibilités. On s’aperçoit que ce ne sont pas des gens aisés. Parce que la première question qu’on peut se poser c’est : ‘‘Pourquoi se voient-ils comme des victimes?’’ », se questionne le chercheur.
Difficultés économiques, un faux débat selon le maire de Caraquet
Quant au maire de Caraquet et ancien ministre libéral provincial, Bernard Thériault, il fustige sans ménagement l’argument selon lequel le Nouveau-Brunswick éprouve des difficultés économiques parce qu’il offre des services à sa minorité francophone.
« Ça c’est de la foutaise. Il y a une dynamique qui repart de temps à autre, selon laquelle on serait en train de ruiner la province parce qu’on a des services d’autobus séparés pour francophones et anglophones dans le système scolaire, car la dualité s’applique également au transport d’élèves. Mais malgré cela, nos services de transport d’autobus nous coûtent moins cher que ceux de la Nouvelle-Écosse où ils n’ont pas cette exigence », fait-il remarquer.
« Il n’y a absolument personne qui peut démontrer, d’aucune façon, qu’il y a des dépenses supplémentaires, ou qu’il y a un déficit budgétaire provoqué par le fait qu’on a deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick. Je dirais que c’est plutôt le contraire », tranche le maire de la capitale culturelle de l’Acadie.
Le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, Alexandre Cédric Doucet, croit pour sa part que les francophones doivent demeurer vigilants.
« Je pense qu’à chaque fois qu’il y a un mouvement extrémiste, dans chaque province, ou dans chaque État, on doit s’inquiéter. Dans le contexte du Nouveau-Brunswick, c’est d’autant plus inquiétant qu’on est la seule province bilingue au Canada. À chaque fois qu’on a un gouvernement qui n’essaie pas de contrecarrer ce discours-là, ça n’aide en rien la cohésion sociale dans notre province », prévient M. Doucet.