Lieutenante-gouverneure unilingue : Ottawa va-t-il porter la décision en appel?

Justin Trudeau et la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick Brenda Murphy.
Justin Trudeau et la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick Brenda Murphy. Montage ONFR+

Le gouvernement Trudeau doit dans les prochains jours décider s’il va en appel ou non d’une décision des tribunaux qui avait déclaré invalide la nomination de Brenda Murphy comme la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick. Pour des experts, il n’y aurait aucun avantage pour les libéraux à porter le jugement en appel.

Ottawa a jusqu’au 16 mai pour officiellement aller de l’avant ou non dans ce dossier. En rappel, la juge en chef Tracey Deware de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick avait statué que la nomination de Justin Trudeau d’une unilingue anglophone à ce poste était inconstitutionnelle.

La ministre des Langues officielles et députée néo-brunswickoise Ginette Petitpas Taylor dit ne pas savoir quelle décision va prendre le ministre de la Justice David Lametti. Ce dernier soutient qu’il ne s’agit pas de la sienne.

« On va prendre une position en tant que gouvernement », précise-t-il.

Le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti. Crédit image : Wikimedia, Sebastiaan ter Burg

Ginette Petitpas Taylor a souligné que le critère du bilinguisme, ignoré par son gouvernement notamment dans le cas de Mary Simon, devrait être une priorité dans les nominations.

« En tant qu’Acadienne et ministre des Langues officielles, il va de soi que je crois que la capacité de s’exprimer dans les deux langues officielles doit toujours être en haut de la liste des critères à considérer et qu’il est important que nos leaders donnent l’exemple », a-t-elle dit mercredi au Sénat.

Pour un spécialiste du système de Westminster, il y a très peu de bénéfices pour le gouvernement d’aller de l’avant dans le dossier.

« La cour n’impose rien, donc ils n’ont pas vraiment d’incitatifs à faire quoi que ce soit pour changer la décision, ils n’ont aucune pression… La juge a laissé ça entre leurs mains et sans conséquences donc c’était essentiellement un message politique plus que d’autres choses. La meilleure solution est de ne rien faire », pense le professeur associé de l’École d’affaires internationales Norman Paterson de l’Université de Carleton, Philippe Lagassé.

Idem pour le professeur de droit Érik Labelle Eastaugh, qui estime qu’il pourrait y avoir un risque à aller de l’avant dans le dossier pour le fédéral.

« En tout état de cause, la décision va s’appliquer juste au cas de la lieutenante-gouverneure, mais si la Cour d’appel venait à confirmer la décision de la juge Deware, ça pourrait renforcer l’argumentaire selon lequel les articles 16 à 20 de la Charte imposent l’obligation que les représentants de la reine, la gouverneure générale ou la lieutenante-gouverneure, soient bilingues. »

Un mauvais message 

La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) est celle qui poursuit le fédéral dans ce dossier. La SANB demande au gouvernement de respecter le jugement et d’inclure une exigence de bilinguisme à cette fonction dans son projet de loi C-13.

« Sinon, ça enverrait le message, que le gouvernement fait appel des droits linguistiques de la communauté francophone et Acadienne. Ça serait très négatif comme message et ça irait un peu à contresens du message public que le gouvernement libéral a depuis quelques années, soit celui d’un gouvernement qui protège la langue française partout au pays », lance son président Alexandre Cédric Doucet.

Ce dernier souligne aussi le projet de loi S-229 du sénateur Claude Carignan, en deuxième lecture au Sénat qui obligerait le bilinguisme de la charge de lieutenant-gouverneur.

Le président de la SANB, Alexandre Cédric Doucet.
Le président de la SANB, Alexandre Cédric Doucet. Gracieuseté : SANB

Les partis de l’opposition demandent à Ottawa de ne pas retourner devant les tribunaux, idem pour les libéraux provinciaux au Nouveau-Brunswick.

« L’idée est que nonobstant l’affaire juridique, il y a une décision politique à prendre », note le politologue de l’Université Moncton Roger Ouellette.

Plusieurs scénarios s’offrent au gouvernement Trudeau qui pourrait notamment faire deux actions du même coup.

« Ça pourrait être une geste politique à poser de dire que pour des questions techniques et constitutionnelles, c’est important que ça soit clarifié devant la Cour suprême, mais en même temps, qu’il (Justin Trudeau) a compris le message que c’est important de nommer un lieutenant-gouverneur bilingue. À ce moment-là, il pourrait le mettre dans la Loi sur les langues officielles. »

Si ce dernier croit que ce type de décision pourrait nuire ou aider aux relations entre les libéraux et les organismes francophones, il y aura peu d’impact au scrutin.

« Les libéraux ne payent pas le prix politique, en tout cas. Ça aurait été plus inacceptable si Harper avait nommé un lieutenant-gouverneur unilingue anglophone… On voit que M. Trudeau et les libéraux peuvent faire des choses auprès des communautés francophones qui n’ont pas de conséquences dans les urnes », estime-t-il.