L’impact réel en Ontario du remaniement de Trudeau

La ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly. Archives ONFR+

[ANALYSE]

OTTAWA – Les directions diffèrent décidemment beaucoup entre Doug Ford et Justin Trudeau. Dès son assermentation, le premier ministre de l’Ontario a réduit son cabinet à 21 ministres. Son homologue fédéral agit de manière opposée, faisant passer le nombre de ses collaborateurs de 30 à 35.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Ce troisième remaniement de l’ère Trudeau annoncé mercredi dernier est certes une manière de se donner un nouveau souffle à 15 mois des élections fédérales. Mais s’il se garde bien de le dire, le premier ministre donne une réponse indirecte à Doug Ford.

Bien qu’ils se soient rencontrés à Queen’s Park le 5 juillet dernier, MM. Ford et Trudeau ne vivent pas une lune de miel. Et les prochains mois de collaboration pourraient être assez corsés.

En témoigne la prise de bec récente sur la question de l’accueil des demandeurs d’asile entre le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Ahmed Hussen et la ministre ontarienne des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Lisa MacLeod, en charge du dossier de l’immigration.

Sur l’environnement, les désaccords ont aussi vite affleuré. La volonté de Justin Trudeau d’imposer la taxe carbone fédérale aux provinces qui n’en ont pas reste un sujet de tension. Il y a quelques jours, M. Ford s’est d’ailleurs allié au gouvernement de la Saskatchewan pour s’opposer à cette taxe « arbitraire » qui ferait « augmenter tous les produits et les services ».

Dans ces conditions, M. Trudeau a jugé utile de nommer un ministre des Affaires intergouvernementales. Un poste occupé jusque-là symboliquement par lui-même. C’est Dominic LeBlanc qui sera en charge de manier le gant et l’épée face au premier ministre de l’Ontario. Le député de Beauséjour promet d’être « doux et gentil », tout en insistant sur la nécessité d’appliquer l’agenda fédéral. Le ton est donné.

Anticiper de possibles changements de couleur politique

Outre l’Ontario, la présence de M. LeBlanc vise aussi à anticiper l’arrivée de partis moins favorables aux politiques de Justin Trudeau ici et là. La Coalition Avenir Québec reste bien partie pour chasser les libéraux, lors des élections générales à Québec le 1er octobre. En Alberta, le Parti conservateur uni de Jason Kenney pourrait lui aussi défaire le gouvernement néo-démocrate au printemps prochain.

Ce n’est pas la première fois que M. Trudeau s’adapte aux changements politiques, quitte à sacrifier ses ministres. En janvier 2017, l’expérimentée Chrystia Freeland remplaçait Stéphane Dion aux Affaires étrangères afin de rendre plus fermement la pareille au président Donald Trump.

Mélanie Joly rétrogradée

Autre soldat sacrifiée : Mélanie Joly qui se voit rétrogradée ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. La députée d’Ahuntsic-Cartieville sera encore celle qui écoutera et conversera avec les porte-paroles francophones en milieu minoritaire, mais son impact est diminué.

L’appellation « langues officielles » qui orne le nouveau titre de Mme Joly représente bien une fausse bonne nouvelle. Son portefeuille risque d’être tributaire de celui de Pablo Rodriguez, nouveau ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme.

L’étoile montante Mélanie Joly paye sans doute sa gestion hasardeuse dans le dossier Netflix. Sans compter que sa communication politique – jugée volontiers inintelligible et « langue de bois » pour certains  – a quelque peu écorné l’image glamour dont elle bénéficiait encore en 2015.

L’impression s’en dégage tout de même que le million de francophones hors Québec – dont la moitié en Ontario – pourrait payer le prix du recul de Mme Joly.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 23 juillet.