L’influence inattendue de Gisèle Lalonde sur le milieu culturel
Le décès de la militante franco-ontarienne, Gisèle Lalonde, a secoué la communauté artistique qui ne s’est pas fait prier pour dire tout le bien qu’elle pensait du personnage. Meneuse du mouvement SOS Montfort et mairesse de Vanier (1985-1991), elle laisse derrière elle un important héritage à la communauté d’expression française ainsi qu’aux générations futures, pas seulement dans le domaine de la santé et de l’éducation.
« Quand je me remémore Gisèle Lalonde, je pense à une petite dame qui a tellement de fougue et d’intensité qu’elle ne se fera pas marcher sur le dos », se souvient Vincent Poirier du groupe humoristique Improtéine en entrevue avec ONFR+, dont les trois enfants sont justement nés en français à l’Hôpital Montfort.
« C’était une femme emblématique du grand mouvement franco-ontarien et aussi une personne charmante », renchérit le Conseiller spécial en francophonie au décanat de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa, Joël Beddows.
« J’étais happé par son dynamisme, son pragmatisme et sa créativité », ajoute-t-il.
Au-delà de sa personnalité charismatique et de son sourire légendaire, Gisèle Lalonde a toujours été reconnue pour la force de ses convictions visant le vivre-ensemble francophone en Ontario.
« Elle nous a annoncé qui on était et elle nous a dit qu’on avait le droit d’exister. Elle nous a rappelé notre droit d’exister en français », affirme Vincent Poirier.
« Elle nous a rappelé notre droit d’exister en français » – Vincent Poirier
Il est connu que les Franco-Ontariens retrouvent leur identité au travers des différentes luttes pour préserver leurs acquis. Règlement 17, SOS Montfort, « Jeudi noir » des coupes du gouvernement Ford en 2018, les nouvelles vagues de mouvements sociaux forgent l’appartenance à la communauté d’expression française.
« Il faudrait qu’on ait une Gisèle Lalonde qui revient tous les 20 ans pour nous rappeler de ne pas lâcher! », blague l’humoriste.
Identité et conscience culturelles
Femme de lutte, Gisèle Lalonde a eu un impact important sur les nouvelles têtes d’affiche de la scène culturelle francophone.
« J’étais au secondaire lors de la crise de l’Hôpital Montfort », se souvient Vincent Poirier. « C’est avec l’éducation de Gisèle Lalonde que je me suis découvert Franco-Ontarien. Cet éveil m’a suivi pour le restant de ma vie. »
Fait moins connu, la militante a aussi été une artisane du rapprochement entre le milieu associatif et la communauté artistique qui étaient en froid depuis près de trois décennies.
« Dans les années 1970, le milieu culturel a claqué la porte de l’Association des communautés francophones de l’Ontario (ACFO) car il trouvait que cette dernière n’avait pas la légitimité pour parler de la culture. Il y a eu une rupture autour d’un projet qui est devenu la Nouvelle Scène. Le conseil catholique a imposé des conditions que les artistes refusaient », rappelle Joël Beddows.
Alors que la crise de l’Hôpital Montfort bat son plein, la première crise survient au Théâtre de la Nouvelle Scène alors que le programme d’infrastructure n’existe pas encore. Joël Beddows et ses acolytes sont alors en train de gérer un prélèvement de fonds politiques en coulisse.
« Il y avait un consensus que les Franco-Ontariens n’avaient pas à choisir entre les deux projets, car ils étaient essentiels », affirme le conseiller de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa à ONFR+.
Le mouvement en faveur du Théâtre Nouvelle Scène a bénéficié à ce moment-là du soutien de SOS Montfort qui disposait d’un pouvoir d’influence bien plus importante que le milieu culturel. Joël Beddows ne se prive pas de souligner la générosité dont a fait preuve Gisèle Lalonde durant ces événements.
« C’est lors des crises de Montfort et Nouvelle Scène qu’il y a eu un rapprochement qui était beau à voir. On était unis autour de deux grandes causes simultanément », se rappelle-t-il.
Le tact et l’éveil en héritage
Mener ces luttes d’importance capitale ne se fait pas qu’en se reposant sur son charisme naturel. Gisèle Lalonde comprenait comment tirer avantage du jeu médiatique dans les deux langues officielles.
La militante parlait autant au Droit, à TFO et Radio-Canada qu’aux médias anglophones de l’époque et disposait d’un savoir-faire politique qui lui permettait de bien les gérer.
« On a compris à travers elle que pour lutter pour une cause, pour bâtir un projet, pour construire des établissements, il fallait parler à tout le monde. C’était la première fois que je voyais ça aussi bien fait avec autant de professionnalisme », se permet de dire Joël Beddows.
Alors que les Franco-Ontariens font face à de nouveaux défis par rapport au maintien de leurs acquis, la figure de Gisèle Lalonde sert d’inspiration à ceux auxquels elle a toujours souhaité passer le flambeau.
« On avait animé une table ronde avec tous les grands acteurs de la saga Montfort à l’école Samuel-Genest », se souvient Vincent Poirier. « Quand ça s’est terminé, Gisèle a pris le micro et elle s’est mise à parler directement aux jeunes de l’impact qu’ils pouvaient avoir dans le futur. Je m’en souviendrais toujours : elle avait dit « Je m’en fous que c’est fini. J’ai le goût de parler encore! » »
À ces mots, tous ceux qui étaient sur le point de partir sont venus se rasseoir pour l’écouter développer ses idées.
Cette anecdote traduit bien la fougue dont Gisèle Lalonde savait faire preuve pour captiver les foules et les mobiliser vers la prise de conscience de l’identité collective. Il s’agit probablement ici de son legs le plus important.
« Improtéine, on est là pour réveiller les Franco-Ontariens mais sans cet éveil dans notre adolescence, on n’aurait peut-être jamais existé! », conclut Vincent Poirier.