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« L’instabilité nuit à l’image du Canada comme destination d’études », selon la PDG de La Cité 

Lynn Casimiro nommée présidente-directrice générale du Collège La Cité. Crédit image : La Cité

« Les arguments que vous avancez pour supprimer ces programmes ne semblent pas convaincre les personnes affectées. Comment l’expliquez-vous?

La Cité est un pilier de la francophonie ontarienne et le restera. Nous avons un mandat clair : répondre aux besoins du marché de l’emploi, tout en tenant compte de la taille plus restreinte de notre population étudiante francophone. Chaque année, nous évaluons nos programmes selon leur performance, leur viabilité financière, la qualité, les inscriptions et les diplômés. Cette information est partagée avec le personnel.

Au cours des cinq dernières années, nous avons fermé plus d’une dizaine de programmes, mais nous en avons ouvert autant. Ce processus de renouvellement n’est pas nouveau. Ce qui est différent cette année, c’est l’ampleur des décisions, en raison de la conjoncture économique. Nous avons donc pris plus de décisions, plus rapidement.

Cette année, nous avons suspendu neuf programmes, mais nous en avons déjà lancé d’autres en lien avec les besoins actuels du marché : deux baccalauréats en commerce, un programme de technique d’imagerie par résonance magnétique et deux programmes dans le domaine de la cybersécurité.

On voit qu’il y a des pertes d’emploi, qu’il y a un besoin de repositionnement dans les marchés les plus forts dans la région de la capitale nationale, on évolue.  Ces marchés-là sont les mêmes : les technologies, l’administration et la santé.

Syndicat et membres du personnel demandent à vous rencontrer. Ils dénoncent un manque de consultation, qualifient votre décision de solution de facilité. Qu’en pensez-vous?

Ce n’est pas une surprise pour le personnel. Mais je comprends le choc pour les personnes touchées directement. Certaines ont mis beaucoup d’énergie à renouveler leur programme, mais parfois cela ne suffit pas. 

Concernant les consultations : la convention collective encadre strictement le processus. Lorsqu’un programme est touché, nous avons l’obligation de mettre en place un comité paritaire entre la direction et le syndicat. Ce comité, formé de représentants syndicaux et de la direction, est confidentiel. Il examine les raisons de fermeture et les impacts sur le personnel. Ce processus est respecté chaque année. Le personnel concerné est ensuite rencontré par son superviseur. 

Cette année, les dernières recommandations du comité paritaire, je les ai reçues la semaine dernière. Les rencontres d’employés ont commencé tout de suite après. 

À ce jour, aucun professeur permanent n’a perdu son emploi. Quatre professeurs ont reçu un avis de fin d’emploi possible, selon les inscriptions de l’automne. Sept autres membres ont un préavis jusqu’en juin 2027. Il y a aussi des contractuels, bien sûr, mais nous avons l’obligation de leur offrir d’autres postes si leur profil correspond à des besoins récurrents.

Cela dit, des rencontres, des assemblées, des tournées de secteurs ont lieu tout au long de l’année pour encadrer l’évolution des programmes, expliquer les enjeux, échanger et répondre aux questions.

Le programme d’éducation spécialisée, par exemple, était pourtant bien implanté. Pourquoi le supprimer?

C’est un excellent programme, avec un corps professoral très engagé. Mais nous devons suivre les tendances du marché. L’intérêt des étudiants pour ce programme a chuté de plus de 66 %, notamment parce que d’autres programmes que nous offrons sont perçus comme plus polyvalents et qui ont des débouchés plus larges. Ce programme est aussi peu attirant pour la clientèle internationale, car ce métier n’existe pas dans plusieurs pays d’Afrique, par exemple. Malgré les besoins du marché, les inscriptions ne sont plus au rendez-vous. Nous misons donc davantage sur les microcertifications et la formation en emploi, en étroite collaboration avec les employeurs. C’est notre devoir d’évoluer.

La baisse des inscriptions des étudiants internationaux affecte les finances des collèges… Ne dépendez-vous pas trop de cette clientèle internationale?

La baisse anticipée n’est pas de 10 %, mais plutôt de 30 %, ce qui représente plus de 3 000 étudiants en moins pour La Cité. D’autres collèges anglophones font face à des baisses de 75 %. Nous avons donc fait tout notre possible pour compenser avec une clientèle domestique, mais il y a aussi une baisse démographique au pays. Il y a tout simplement moins de diplômés des douzièmes années des écoles secondaires, ce qui a eu un impact sur le postsecondaire.

Oui, nous avons misé sur la clientèle internationale pour compenser cette réalité. C’était une stratégie connue et nécessaire pour former des diplômés dans des secteurs recherchés. Ces étudiants jouent un rôle important dans la vitalité de nos communautés francophones.

Mais avec les nouvelles politiques, l’attractivité du Canada a chuté. L’instabilité est notre plus grand ennemi. Même si nous avons des places disponibles, les étudiants ne postulent plus en aussi grand nombre.

Quelle est aujourd’hui la taille de la clientèle étudiante de La Cité?

Nous étions environ 7 400 étudiants. Même si l’on espérait subir une baisse qui était plus de l’ordre de 10 à 15 % -en raison de nos adaptations avec la clientèle canadienne et de résidents permanents -, on prévoit une baisse allant même jusqu’à environ 40 % pour cet automne. La carte des programmes doit donc être ajustée. Les programmes suspendus cette année auraient probablement été fermés progressivement dans les années à venir, mais le contexte économique exige des décisions plus rapides.

Et du côté provincial, y a-t-il eu une réduction du financement?

La formule de financement des collèges, on sait qu’elle est brisée. Elle a besoin d’être revue et le ministère de l’Éducation est au fait de cette situation. Il y a un calendrier qui a été mis en place pour réviser la formule de financement. Celle-ci est désuète, elle n’a pas évolué depuis plus de 20 ans. C’est la même citation pour le financement provincial pour la francophonie, tandis que les salaires et le coût des équipements ont augmenté.

Le budget de La Cité est passé de plus de 160 millions l’an dernier à environ 154 millions cette année, en anticipation de la baisse d’effectifs.

Est-ce que vous vous sentez abandonnée par les gouvernements, provincial et fédéral, alors qu’ils ont promis d’alléger les restrictions sur les étudiants francophones en milieu minoritaire?

Le gouvernement fédéral a lancé un projet pilote pour faciliter l’immigration francophone via les études postsecondaires. Pour nous, cela représente environ 200 étudiants. Mais là encore, la clientèle ne suit pas. L’instabilité et les incertitudes ont fortement nui à l’image du Canada comme destination d’études. Le manque de clarté dans les directives d’IRCC complique aussi les choses.

C’est comme pour nos programmes : on peut bien les offrir, mais si les étudiants ne s’y inscrivent pas, on n’a pas le choix. L’instabilité est un obstacle majeur, et l’image de marque du pays a été affectée.

Qu’en est-il du programme production télévisuelle pour lequel La Cité avait investi des sommes énormes pour renouveler l’équipement avant de le suspendre quelques mois plus tard?

Ces équipements renouvelés servent non seulement ce programme, mais aussi d’autres, y compris la recherche appliquée, ainsi que les activités événementielles du collège. 

Par ailleurs, pour ce qui est du programme de production télévisuelle, il est à l’image de tout le domaine des médias qui est en grande transformation. Donc, on a commandé des études de marché. Un rapport complet qui nous a été remis nous parle de devoir adapter nos programmes pour qu’ils soient multiformats, pour former des diplômés qui soient polyvalents, capables de maîtriser autant la vidéo, la scénarisation, l’animation, que le développement pour le web ou pour les médias traditionnels.

C’est la raison pour laquelle on avait lancé auparavant le programme Création de contenu médiatique qui a toutes ces compétences intégrées. Dans ce contexte, on avait aussi fermé notre programme de radio et notre programme de photo, mais seulement après avoir créé un autre programme qui répond à l’évolution du marché. Des journalistes quittent de grands médias pour démarrer une chaîne YouTube. C’est un bel exemple de l’évolution des médias. »