L’ombre de Madeleine Meilleur au-dessus de l’élection à la FCFA
[ANALYSE]
OTTAWA – D’habitude, les rencontres annuelles des membres de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) sont plutôt discrètes. Ça ne sera pas le cas cette année.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Entre les dossiers inachevés à la veille de du 150e de la Confédération (bilinguisme officiel à Ottawa, refonte de la Loi sur les langues officielles), la présence d’un nouveau directeur général (Alain Dupuis), et surtout la controverse autour de Madeleine Meilleur, les pleins feux sont braqués sur l’organisme porte-parole des francophones en milieu minoritaire.
Il n’en fallait pas plus pour rendre indécise l’élection à la présidence de la FCFA ce samedi. Pour la première fois depuis 2007, le (ou la) président(e) sortante, désireux d’obtenir un nouveau mandat, ne sera pas réélu par acclamation. Sylviane Lanthier, l’actuelle présidente, croisera le fer avec Jean Johnson, l’ex-président de l’Association canadienne française de l’Alberta (ACFA).
L’intronisation de la franco-manitobaine Sylviane Lanthier en juin 2015 avait plutôt commencé sous de bons auspices. Rassembleuse et pondérée, la nouvelle femme forte tranchait quelque peu avec sa prédécesseur, Marie-France Kenny, parfois émotive au moment de défendre ses idées. La même année, le changement de couleur à la Chambre des communes avait ouvert la voie à des relations plus « parlables » avec le nouveau gouvernement libéral.
À priori plus proche des francophones, le parti de Justin Trudeau suscitait plus d’espoir que celui de Stephen Harper. Or, le gouvernement, par la voix de sa ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, n’a pas livré toute la marchandise : le renouvellement de la Feuille de route traîne, le financement des organismes reste gelé, et les annonces quant à l’immigration francophone sont jugées insuffisantes.
Dans ces conditions, des voix ont commencé à monter à l’intérieur de la FCFA, accusée par certains de trop s’acoquiner avec les élus, sans faire avancer les dossiers. C’est notamment l’avis de Jean Johnson. Rien de bien nouveau dans cette opposition de style, tant les francophones, au niveau des provinces comme du fédéral, peuvent se déchirer entre les « étapistes » et ceux revendiquant plus « de mordant ».
Le hic, c’est que de ce genre de divisions entre les organismes membres de la FCFA se déroulent bien souvent derrière les portes closes. La nomination contestée de Madeleine Meilleur à titre de commissaire aux langues officielles a changé la donne. Entre l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) « à l’aise » avec la nomination de Mme Meilleur, dixit, son président Carol Jolin, ou encore la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) très réfractaire au processus de nomination, un manque d’unité et de consensus a transparu.
L’évolution de la position de la FCFA, durant les quelques semaines de cette « saga Madeleine Meilleur », a semé un peu la confusion. Après avoir accueilli « favorablement » l’annonce, l’organisme a ensuite davantage durci le ton et demandé en personne des explications à Mme Joly sur la transparence du processus.
À la décharge de la FCFA, l’exercice de parler d’une seule voix lorsque les 19 organismes ne siègent pas dans la même province, avec des réalités différentes, est souvent très périlleux, bien que nécessaire.
Sylviane Lanthier peut-elle dès lors perdre son poste, ce samedi? En fait, ce n’est pas tant la nomination avortée de Madeleine Meilleur qui sera jugée au moment des votes, mais plus la capacité d’influence de la présidente sortante sur le gouvernement.
Le refus du premier ministre, Justin Trudeau, à rencontrer l’organisme montre bien les limites de la FCFA. Paradoxalement, cela montre aussi pour certains les limites d’un gouvernement privilégiant clairement le multiculturalisme, parfois au détriment de la reconnaissance pleine et entière de tous les francophones.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 10 juin.