L’Ontario français se souvient de Cayouche, personnage à la fois simple et imposant
Réginald Charles Gagnon, alias Cayouche, est décédé le 29 mai dernier. La légende acadienne aura marqué toute une génération, non seulement dans les maritimes, mais aussi à travers la francophonie canadienne. ONFR a questionné quelques artistes franco-ontariens qui ont croisé le chemin du géant. Ils nous ont dépeint un homme à la fois imposant, humble et authentique, qui ne jouait de jeu devant personne.
« Les chansons sont bonnes, simples et honnêtes. Et je pense que c’est ce qui a fait son succès. Il y a la musique, et il y a le personnage. Lui avait les deux », résume l’auteur-compositeur interprète Stef Paquette, qui a pu croiser Cayouche plusieurs fois au cours de sa carrière.
Même son de cloche du côté de Serge Monette, qui a vu plusieurs grands noms en spectacle alors qu’il passait ses étés en Acadie, chez son ex-belle-famille. « Ce n’était pas prétentieux, c’était croche, un peu, et les gens aimaient ça. »
Selon lui, Cayouche était un bon exemple d’un francophone qui ose « prendre sa place et être fier ».
De son côté, Joanie Charron se rappelle avoir croisé Cayouche quelques fois dans des festivals country. Sans avoir entretenu de conversations avec lui, elle a tout de même remarqué son humilité. « Je trouvais ça très admirable. Jamais il n’allait faire le clown devant les médias pour avoir du temps d’antenne ou de l’attention. Il était là pour les bonnes raisons, c’est-à-dire pour faire de la musique. Il n’allait changer pour personne. »
La chanteuse de Sugar Crush apprécie la structure des chansons de Cayouche, qui racontent des histoires du début à la fin. « Son style, c’est d’être près du vrai monde et d’écrire pour le vrai monde. »
De son côté, Vincent Bishop aime « le son folklorique et bluegrass de ses albums, avec de l’instrumentation réelle. »
Un concert mythique à Hanmer
Le directeur général de La Slague, Stéphane Gauthier, se rappelle avoir programmé le Country Jambeurré avec Cayouche, un spectacle en plein-air dans le champ adjacent à la salle des Chevaliers de Colomb à Hanmer, dans le Grand Sudbury. Si certains doutaient de la capacité de réunir une foule assez grande pour remplir un tel terrain avec un spectacle francophone, les sceptiques ont été confondus. C’est environ 800 personnes qui se sont déplacées pour la légende acadienne, le 4 juin 2016.
Le musicien sudburois Marc Serré a vu ce fameux spectacle de 2016, et a même eu l’occasion de jouer quelques chansons en première partie. « C’était une bonne soirée. Tout le monde l’a aimé. J’ai été chanceux de le rencontrer. »
Après quelques minutes de conversation en coulisse, Marc Serré s’est décidé à demander à Cayouche de signer sa guitare. Ce dernier a d’abord refusé, lui rétorquant : « Pourquoi voudrais-tu que je mette une grimace de ma signature sur un instrument de musique? » Il a pourtant obtempéré quelques minutes plus tard. Cette anecdote montre bien le côté à la fois imposant et humble de l’Acadien, et fait encore rire Marc Serré aujourd’hui.
Stef Paquette fait partie de ceux qui ont découvert la légende ce jour-là. « Il s’assoit sur une botte de foin, il met sa jambe sur une caisse de bière Alpine, et il part. Ce sont des chansons à trois ou quatre accords, des histoires d’une simplicité, mais d’une honnêteté… J’ai fait : voyons donc, c’est qui ce gars-là? »
Le coude léger
La plupart des anecdotes qui nous ont été racontées impliquent de la bière et des cigarettes, à commencer par celle de Brandon Girouard, qui n’avait que sept ou huit ans lorsqu’il a rencontré la légende. Le futur guitariste des Rats d’Swompe avait gagné un concours organisé à son école primaire, qui lui permettait de faire la première partie de Cayouche au centre communautaire de Kapuskasing.
« Même il y a 21 ans, Cayouche avait déjà l’air vieux, pour moi, qui était un enfant », rigole le musicien. « Je me souviens d’avoir été dans sa loge pour le rencontrer. En ouvrant la porte, la grosse bouffée de fumée… il me regarde et dit : veux-tu une bière, mon jeune? »
Malgré le caractère très politiquement incorrect de cette anecdote, la rencontre a été déterminante pour Brandon Girouard. « C’était ma première expérience sur scène. C’est ce qui m’a donné la piqûre. »
Un jour, de passage à Rimouski pour une vitrine aux rencontres du Réseau des organisateurs de spectacles de l’Est-du-Québec (ROSEQ), Stef Paquette et le violoniste Jason Hutt ont aperçu Cayouche qui buvait tout bonnement dans le stationnement, derrière sa fourgonnette. L’interprète de L’acool au volant, qui était en ville pour donner un spectacle ce soir-là, les a invités à se joindre à lui, fournissant même les chaises de parterre. « C’était un personnage. On n’aurait pas pu inventer ce gars-là, ce chanteur country à la barbe blanche, mais à la moustache à moitié jaune parce qu’il fumait… »
Cayouche ne s’excusait jamais d’être lui, mais à un point où il ne donnait pas toujours le bon exemple. Dans un lobby d’hôtel, Stef Paquette l’a déjà entendu demander d’emblée au personnel d’accueil combien était l’amende prévue pour un client qui fumerait à l’intérieur. « Il a sorti 400 $ de sa poche, l’a mis sur le comptoir, s’est allumé une cigarette et est parti dans sa chambre. »
Une inspiration directe
La seule chanson country du répertoire de Stef Paquette a été directement inspirée par ce personnage plus grand que nature. « C’est pour ça qu’on a écrit Ta sœur est plus belle que toi. C’est simple, c’est trois accords. Et c’est en relation à Cayouche, parce qu’on se disait tout le temps : il nous faut un Cayouche franco-ontarien. »
Cayouche est aussi mentionné dans la chanson Promenade de LGS, parue en 2003.
Il existe même une ébauche de chanson de Deux saisons qui s’adressait directement à Cayouche. Les musiciens avaient commencé à la composer en passant devant chez lui, lors d’une tournée en Acadie. ONFR a pu en entendre un extrait chanté par Jean-Marc Lalonde, au téléphone.
Nicolas Doyon, autre membre de Deux saisons, a même avoué à ONFR que cette chanson pourrait avoir un avenir. « J’avoue que dans les circonstances, j’ai ressorti ce vieux brouillon et je suis inspiré de la compléter. »
Nicolas Doyon regrette d’avoir manqué le spectacle de Cayouche au Festival de la curd, alors qu’il avait pourtant ses billets, en 2013. Ce rendez-vous manqué ne change pas le sentiment qu’il éprouve face à la musique de l’Acadien.
« Il m’a fait comprendre qu’on n’avait pas besoin de se casser la tête. Que ça pouvait être bon même si c’était simple. Et il m’a fait comprendre, même si je suis Franco-Ontarien, que la musique avait un sens identitaire. Il chantait pour les Acadiens, mais au fond il chantait pour tout le monde. Chantons qui nous sommes, soyons fiers d’où l’on vient. »
Jean-Marc Lalonde affirme : « Deux saisons, on est des fans finis de Cayouche. On faisait de ses chansons, car elles sont plaisantes, pas compliquées et le texte est loufoque. C’est vraiment le fun à faire et le public aime beaucoup. »
Les Rats d’Swompe interprètent encore La reine du bingo en spectacle, ajoutée à leur répertoire par Brandon Girouard. « Ça nous a quand même influencé pour le côté plus léger de la musique, » indique ce dernier.