
Marc Bisson : au service de la santé et de la francophonie dans l’Est ontarien

[LA RENCONTRE D’ONFR]
Après plus de deux décennies à la tête du Centre de santé communautaire de l’Estrie (CSCE), Marc Bisson s’apprête à prendre sa retraite à la fin de l’année 2025. Lauréat du Prix Paulette-Gagnon, décerné par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, il revient sur un parcours marqué par la croissance du CSCE et la défense du droit à la santé en français.
« L’AFO vous a remis le Prix Paulette-Gagnon, qui récompense en quelque sorte le francophone de l’année. Comment vivez-vous cette reconnaissance?
Je le reçois avec beaucoup d’humilité. Voir les noms associés à ce prix — Maître Boileau, le docteur Leduc, notre lieutenante-gouverneure Edith Dumont et tant d’autres personnes de ce calibre — c’est presque intimidant. Je suis très fier, mais aussi un peu gêné. Après plus de trente ans à œuvrer pour la santé en français et la promotion des intérêts des francophones de la région et de la province, je crois que certaines personnes ont reconnu le petit apport que j’ai pu y mettre. C’est un très grand honneur.
Après plus de 30 ans au sein du Centre, comment vous sentez-vous à l’idée de tourner la page?
J’ai des émotions ambivalentes. Je suis fier du parcours accompli, mais j’ai l’impression qu’il y aura un vide en moi. Je ne prends pas ma retraite parce que je n’aime plus mon travail, bien au contraire. En trente-deux ans et demi, je pourrais compter sur les doigts d’une main les jours où je n’avais pas le goût de venir travailler. J’ai eu le privilège d’évoluer dans une organisation essentielle pour la communauté, entouré d’un personnel extraordinaire et d’un conseil d’administration toujours à l’avant-garde.
La communauté francophone de l’Est ontarien m’a accueilli à bras ouverts quand nous avons déménagé à Cornwall en 1993 — ma conjointe et moi ne nous attendions pas à une telle chaleur. Oui, il y a des défis, mais c’est une communauté inspirante, déterminée à faire reconnaître sa place. Travailler avec ces gens-là, c’est ça qui va me manquer le plus.
Mais évidemment, c’est une étape dans ma vie. Je vais avoir besoin d’un peu de repos pour me refaire des idées, mais je sais que je vais continuer à œuvrer pour l’avancement de la francophonie et, si possible, dans le domaine de la santé. C’est quelque chose qui fait partie de moi.

Comment le Centre de santé communautaire de l’Estrie (CSCE) a-t-il évolué depuis vos débuts?
La croissance est spectaculaire. En 1993, nous étions une quinzaine d’employés, avec deux sites : Cornwall et Alexandria. Aujourd’hui, nous en comptons plus de 120, répartis dans six communautés. Cette expansion, c’est le fruit de la mobilisation locale : des citoyens qui se sont battus pour obtenir des services de santé communautaires en français.
Les besoins ont aussi changé : vieillissement de la population, arrivée de nouvelles communautés, évolutions technologiques et scientifiques. Mais le principe reste le même : offrir des soins accessibles et humains, dans un cadre qui valorise le plein potentiel des gens.
Quels moments marquants symbolisent le mieux ces 32 années de service?
Il y en a beaucoup. Je pense à la communauté de Crysler, dans les années 1990, qui s’est battue pendant cinq ans pour obtenir un point de service. Ces bénévoles ont inspiré ceux de Bourget. C’est grâce à cette persévérance communautaire que nous avons pu nous implanter.
Je pense aussi à la pandémie : notre personnel n’a pas reculé. Au contraire, ils ont retroussé leurs manches, trouvé des façons d’aider, collaboré avec nos partenaires. Ça a été un moment de fierté immense.
Et puis, nos anniversaires — comme le 25e — ont permis de mesurer le chemin parcouru et l’attachement de la communauté.
Quels ont été les défis auxquels vous avez dû faire face pendant votre mandat?
Au départ, il a fallu faire reconnaître notre légitimité. Certains doutaient de la pertinence d’un centre francophone : « Les francophones parlent anglais, pourquoi des services distincts? ». Aujourd’hui, notre modèle est reconnu, mais ça a pris du temps et de la patience.
Les défis demeurent : financement, recrutement de professionnels bilingues, maintien des services en région rurale. Mais une fois que les gens viennent travailler chez nous, ils restent. Moi-même, je devais venir pour six mois… et trente-deux ans plus tard, j’y suis encore!
Quels sont les enjeux à venir pour le CSCE?
Il y aura d’abord la mise en place du financement provincial pour les soins primaires. Nous devons nous assurer que chaque francophone ait accès à un fournisseur de soins en français.
Je crains aussi que les futures intégrations du réseau de santé ne diluent l’identité francophone.
Notre force, c’est la gouvernance communautaire : un conseil d’administration composé de gens du terrain. Il faudra défendre cela, tout en collaborant intelligemment avec les instances provinciales.
Et, surtout, il faut que les décideurs pensent aux francophones dès le départ — pas après coup. C’est un combat constant pour l’équité linguistique.
Quel message souhaitez-vous laisser à la future direction?
Être à l’écoute, à la fois du contexte provincial et des besoins locaux. Rester en lien avec la communauté, donner de l’autonomie et de la liberté au personnel pour s’épanouir, innover, aller au-delà de leurs champs de pratique tout en gardant un cadre structuré. C’est comme ça qu’on grandit et qu’on gagne la reconnaissance.
Et surtout, il faut maintenir coûte que coûte le mandat francophone. Ne jamais le sacrifier au nom du bien-être général ou de la commodité. Les francophones ont besoin d’institutions gérées par et pour eux, pour relever leurs propres défis. »
LES DATES CLÉS DE MARC BISSON
1989 : Il devient coopérant volontaire international
1993 : Marc Bisson travaille en tant qu’agent de santé communautaire à Cornwall
2002 : Il prend la direction générale du Centre de santé communautaire de l’Estrie
Décembre 2025 : Départ à la retraite