
Mathieu Séguin au TIFF : « Créer plus d’histoires avec des créateurs du Nord »

[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Mathieu Séguin est cinéaste à Sudbury, une ville qu’il affectionne et dont il croit au potentiel cinématographique. ONFR l’a croisé au Festival international du film de Toronto (TIFF).
LE CONTEXTE :
Le TIFF se poursuit jusqu’au 14 septembre. Au-delà du tapis rouge et des projections, ce sont aussi des rendez-vous propices aux professionnels de l’industrie.
L’ENJEU :
Avec ses grands espaces, le Nord ontarien offre un cadre singulier aux tournages. C’est aussi un vivier de talents devant et derrière la caméra que M. Séguin voudrait voir grandir.
Que faites-vous au TIFF?
Je suis venu pour le déjeuner du Northern Ontario Heritage Fund (NHFC, Société de gestion du Fonds du patrimoine du Nord de l’Ontario) qui regroupe les producteurs et distributeurs intéressés à filmer dans le Nord. Le NHFC, c’est l’organisation qui accorde le plus de subventions pour les films du Nord de la province.
Tourner dans le Nord de l’Ontario, ça veut dire quoi concrètement?
Pour moi, c’est plus qu’une simple dimension géographique. C’est moins Hollywood, c’est moins industrie, mais c’est plus de passion pour les films dans un paysage unique qui regorge d’histoires. C’est une des raisons pour lesquelles j’aime vivre et faire des films à Sudbury.
Quel genre de paysage, justement, trouve-t-on dans cette partie de la province?
Tu as des paysages qui vont parfaitement avec les films d’horreur comme Cabin in the Woods, mais il y a aussi tout ce qu’il faut pour des images de nature : rapides, rivières, bois… Et puis, maintenant, avec toute la technique, il est facile de reproduire un plateau qui a l’air très urbain à Sudbury ou dans n’importe quelle autre ville. Il y a un beau mélange de paysages et de villes dans lesquels une personne créative peut assez facilement développer son idée.
On a parlé des lieux, mais il y a aussi les équipes de tournage. Quel type de talent peut-on dénicher dans le Nord?
Il y a beaucoup de talents et pas seulement des assistants ou des techniciens. Je travaille avec les créateurs qui ont des histoires à raconter, comme par exemple Matt Poitras avec qui je collabore sur plusieurs courts-métrages. J’ai aussi produit son premier long-métrage. Il va présenter World Premiere cette année à Cinefest, le festival du film de Sudbury.
Peut-on dire que, par rapport à Toronto, tourner dans le Nord ressemble plus à un travail en famille?
Je dirais que oui. C’est plus familial dans le sens communautaire. On est une communauté d’artistes. Ce n’est pas énorme, mais les personnes qui travaillent ici dans l’industrie du film sont de véritables passionnés. Il y a des producteurs, designers, cinématographes, monteurs, écrivains…
Y a-t-il des incitatifs financiers pour favoriser les tournages dans le Nord?
Oui. C’est une des grosses raisons pour laquelle les gens viennent y tourner. Si tu dépenses un dollar, tu vas avoir un retour de 50 cents si tu engages et tu dépenses ton argent dans le Nord. 50 % de réduction sur les salaires, c’est incroyable par rapport à d’autres places ailleurs dans le monde.
Et y a-t-il des histoires purement francophones tournées dans le Nord?
Beaucoup de tournages se font en français à Sudbury. Mais mon rêve, ce n’est pas seulement qu’il y ait des tournages en français, mais des tournages qui viennent du monde du Nord, qui écrivent eux-mêmes des scénarios en français.
Que manque-t-il pour l’instant pour pérenniser ces tournages?
Eh bien, il y a toujours des gatekeepers, des gens qui vont dire « oui ou non » et te faire passer au niveau suivant. Maintenant, il faut qu’on devienne les créateurs de nos propres histoires. On ne peut pas continuer à faire des tournages sans développer notre propre industrie. Si les subventions s’arrêtent demain, il n’y a plus d’industrie dans le Nord. On doit montrer qu’on est capable de créer plus d’histoires avec des créateurs issus du Nord.
Vous avez fait des études à Hollywood, à Los Angeles. Pourquoi être revenu faire carrière à Sudbury?
J’ai choisi de revenir dans le Nord d’Ontario après mon master à l’American Film Institute car la seule recette pour faire un film, c’est une bonne histoire. Peu importe d’où tu viens et comment tu l’as fait, avec quelle caméra. Un film comme Blair Witch Project, qui n’a pas de budget, peut exploser et prendre le monde. J’admire les réalisateurs qui viennent de l’extérieur d’Hollywood : Robert Bresson, George Lucas, Truffaut, Stanley Kubrick… ont juste créé les films qu’ils aiment voir et on conquit le marché ainsi.
Finalement, il y a encore de la place pour tourner dans le Nord de l’Ontario…
Oui et ça ne fait que commencer. Les idées affluent et on a besoin de monde pour les concrétiser, d’autant que, dans le futur, on sera tous des créateurs capables de développer des histoires avec les technologies et les médias sociaux.