Médias communautaires : plus de stages mais des zones d’ombre
OTTAWA – Baisse de la publicité fédérale, manque de ressources… sur le terrain, la situation n’est pas rose pour les journaux et radios de langue officielle en situation minoritaire. En détaillant, ce jeudi, son plan de 14,5 millions de dollars sur cinq ans pour les médias communautaires, Mélanie Joly a tout de même rassuré les francophones.
L’annonce de la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie n’était pas nouvelle. Le chiffre de 14,5 millions de dollars était déjà présent dans le Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023 dévoilé en grande pompe par le gouvernement fédéral, en mars dernier.
Petite nouveauté : il y aura 58 places de stage dans des stations de radio et chez des éditeurs de journaux débloquées d’ici les prochains mois. Le fruit d’un accord conclu avec la Fédération de la jeunesse canadienne-française, pour une enveloppe sur cinq ans de 4,5 millions de dollars. « Ce sont des salaires entre 30 000 et 40 000 dollars qui seront payés », a expliqué la ministre Joly lors du point presse.
« C’est mieux que d’étaler cela sur cinq ans », confirme le secrétaire général de l’Alliance des radios communautaires (ARC) du Canada, François Côté. L’organisme, qui représente 27 stations de radio francophones en situation minoritaire, voit dans la « confirmation des montants » par Mélanie Joly un élément « très positif ».
La ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie a multiplié les photos avec les leaders francophones présents lors de l’annonce. Parmi eux : la directrice générale de la radio communautaire d’Ottawa Unique FM, Véronique Soucy.
« Un stagiaire, c’est une ressource humaine qui répond à un besoin. Les journalistes se font, par exemple, de plus en plus rares. C’est difficile pour nous de les trouver. Les stagiaires ne sortent pas tout de suite de l’école, ils ont une base. On part avec un bagage pour former ces gens à notre image. »
Manifestement satisfait, le président de l’Association de la presse francophone (APF), Francis Sonier, laisse entendre que les choses ont bel et bien évolué. « En mars, quand le Plan d’action sur les langues officielles a été dévoilé, on avait simplement une enveloppe et un montant. Aujourd’hui, des demandes ont déjà rentré et été approuvées pour les stagiaires. »
M. Sonier qui officie aussi comme éditeur-directeur général du quotidien néo-brunswickois, L’Acadie Nouvelle, est formel. « Il y a beaucoup de départs de journalistes, et les remplacer devient moins facile qu’avant. »
Flou sur le contenu de l’enveloppe
Mais des 14,5 millions réannoncés, il y aura bien un Fonds d’appui stratégique aux médias communautaires de 10 millions de dollars. Une confirmation certes, mais le flou persiste sur la nature de l’enveloppe.
« Il y a encore des éléments qui ne sont pas précisés », reconnaît M. Sonier. « C’est sur quoi on travaille avec le gouvernement et les différents ministères. Les critères ne sont pas établis, mais nous, on va être à la table des discussions. »
Au moment de l’annonce du Plan d’action pour les langues officielles à la fin mars, l’APF, l’ARC du Canada mais aussi la Quebec Community Newspaper Association réclamaient que cette enveloppe de 10 millions soit allouée en priorité au budget opérationnel plutôt qu’à la réalisation de projets.
Où ira vraiment l’argent? Mme Joly demande encore du temps. « On va faire du par et pour la communauté. On va travailler avec le Consortium des médias communautaires de langues officielles. »
Des embauches facilitées, les médias ne demanderaient que ça. À commencer par Mme Soucy. « On est en mode survie pour beaucoup de radios et de journaux. Ça peut vouloir dire ne pas avoir de journalistes pour couvrir des événements, qu’à un moment donné, on peut ne même plus être capable de payer le loyer pour héberger notre antenne. On peut se retrouver dans une situation où l’on n’est plus en ondes. Il est difficile d’être le reflet de la communauté quand on n’a pas les moyens pour y arriver. »
Au printemps, les leaders du Consortium des médias communautaires de langues officielles avaient exprimé le besoin d’un fonds d’urgence de deux millions de dollars devant le comité permanent des langues officielles. Une résolution, présentée par les conservateurs, avait toutefois été ajournée par les députés libéraux.
Mme Joly n’a pas fait mention de quelconque fonds d’urgence, lors de l’annonce de jeudi.
« C’est une première étape tout de même, et nous sommes très encouragés », préfère résumer le président de l’APF.
Scepticisme du politologue Martin Normand
Toujours est-il que l’annonce des stages étonne le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand. « Au printemps, on parlait de 35 stages, aujourd’hui de 100. Je me demande juste ce qui s’est passé. Est-ce que ces stages seront moins longs? Ce point a besoin d’être clarifié. »
Vérification faite, le bureau de Mme Joly nous confirme que les stages seront sur une durée d’un an.
S’il ne voit pas d’un mauvaise œil l’initiative, M. Normand s’interroge sur ce recours aux stagiaires. « Les médias communautaires ont besoin de ressources qui vont se pérenniser. Or, avec les stagiaires, peut-être que l’on met un pansement sur un problème. »
Le politologue aurait même souhaité que le contenu du Fonds d’appui stratégique aux médias communautaires de 10 millions de dollars soit clarifié avant l’enveloppe dédiée aux stages. « Il faudra vraiment un investissement pour répondre aux besoins des journaux, et non de l’argent issu de programmes préétablis par le gouvernement fédéral. »
Cet article a été mis à jour pour la dernière fois, le 4 octobre à 17h30