Mégane et Mathis : ces calories qui nous hantent

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

[CHRONIQUE]

La première fois que j’ai entendu parler de boulimie c’était en 1990. J’étais en deuxième année d’école de commerce et une amie d’enfance m’a parlé de sa cousine, un peu plus jeune que moi, qui fréquentait la même école de commerce que la mienne. « Elle mange beaucoup. Elle s’empiffre de pizzas, de pâtes, de tartes à la crème, puis s’en va dans les toilettes, rentre deux doigts dans sa bouche et vomit le tout. »

Incrédule, j’écoutais mon amie décrire le calvaire de sa cousine. Je pensais qu’elle exagérait un peu. J’étais dans l’ignorance totale. Personne ne m’avait parlé de troubles du comportement alimentaire. Je m’arrêtais aux précipices des apparences : la cousine de mon amie avait tout ce dont les jeunes filles de l’époque rêvaient : l’argent, la beauté et l’intelligence.

Je ne comprenais pas pourquoi elle souffrait. En lisant Mégane et Mathis de Hélène Koscielniak, un roman pour jeunes adultes, publié l’année dernière aux Éditons David, j’ai été happée par l’histoire de Mégane qui souffre à la fois d’anorexie et de boulimie, le même syndrome dont souffrait la cousine de mon amie.

Trente années plus tard, certaines jeunes filles continuent à détester l’image qui se reflète dans le miroir mais aujourd’hui avec la présence d’application comme Snapchat, Instagram et TikTok, leur calvaire est pire.

Auparavant, c’était les magazines de mode, le cinéma et la télé… Aujourd’hui, ce sont des milliers d’images à portée de main, à chaque seconde, à longueur de journée, diffusées sur les réseaux sociaux et dévorées par ces jeunes filles qui, en les consommant, deviennent plus anxieuses. Jusqu’à sombrer dans la maladie.

Mme Koscielniak parle d’un sujet complexe. Elle le décortique graduellement d’une manière presque naturelle. Une pelure à la fois. La culture d’intimidation dans les écoles où Mégane est appelée « Megramme Kilogramme », une moquerie qui fait allusion à sa nature potelée.

Climat familial, culte de la minceur, honte et solitude

Le climat toxique à la maison avec des parents stressés qui se disputent à n’en plus finir et le sentiment de culpabilité souvent transporté par leurs adolescents comme un fardeau insupportable. Le culte de la minceur, surtout chez les jeunes filles qui voient dans des mannequins squelettiques des modèles à suivre. Mais il y a aussi la solitude qui rôde tout autour.

A qui parler de ses problèmes? La honte de se sentir stupide. La peur de se faire rabrouer. La crainte de ne pas être aimée. Adolescents, nous y sommes tous passés. Malheureusement, il n’est pas toujours
évident de s’en sortir et surtout de s’en sortir sainement.

L’autrice n’a pas honte de parler de tout cela et plus dans un style fluide et spontané. Cette histoire pour les jeunes adultes est aussi pertinente pour les adultes, les parents à qui ces jeunes cherchent à ressembler en tombant dans le perfectionnisme, ou à faire plaisir en risquant de se perdre dans l’échec.

« Des sujets lourds et tristes pour lesquels Hélène Koscielniak trouve les mots et les phrases simples »

Des sujets lourds et tristes mais pour lesquels Hélène Koscielniak trouve les mots et les phrases simples pour les exprimer et surtout nous faire comprendre, sans vraiment tomber dans la morale, lorsque nous faisons fausse route et qu’il y a toujours l’espoir de reconnaitre nos erreurs et surtout nos faiblesses.

Mme Koscielniak n’invente pas une histoire. Elle ne fait que parler de plusieurs histoires dont nous en avions eu vent en famille ou entre amis ou alors des histoires rapportées dans les médias. Une étude publiée en 2022 par des chercheurs américains de l’Université du Vermont a démontré que sur TikTok, en l’occurrence, de très nombreuses vidéos incitent les utilisateurs à perdre du poids pour être en meilleure santé.

Ceux qui sont visés par ces vidéos sont particulièrement les jeunes filles, comme Mégane, le personnage principal de l’ouvrage qui n’arrête pas de consulter son téléphone et les images qui y défilent et se comparer à ces images fabriquées et photoshopées trop loin de la réalité et pourtant auxquels elle insiste tellement à s’y identifier et croire.

Une autre étude italienne effectuée pendant la pandémie a aussi conclu qu’il y avait une forte corrélation entre la mauvaise estime de soi vécue par les jeunes filles, la consommation du contenu sur TikTok sur les questions alimentaires, de nutrition, de diète et les troubles du comportement alimentaire vécus par ses jeunes filles.

Dans la peau de la malade

Le livre de Mme Koscielniak n’est pas le premier livre qui aborde un tel sujet. Plusieurs autres livres ont touché aux troubles du comportement alimentaire d’un point de vue littéraire. Des regards intimistes et douloureux. C’est le cas de Déterrer les os de Fanie Demeule, autrice québécoise, ou de Fée d’Eisha Marjara, cinéaste et autrice canadienne.

Dans ces deux livres, comme lectrices, nous rentrons dans la peau de la malade, souvent une jeune femme, ravagée par l’anorexie. Les mots sont toujours ces ponts à la fois impossibles et périlleux qui relient la réalité à la fiction et qui nous transportent délicatement ou brusquement pour mieux s’accepter ou s’évader.

Même si le livre d’Hélène Koscielniak se termine sur une note d’espoir, il reste toujours un côté noir à
ces troubles du comportement alimentaire : le suicide. L’autrice le mentionne subtilement sans pour autant l’affronter en pleine face. Le suicide, chez les jeunes, demeure encore un sujet qui nous rend inconfortable et nous laisse sans mots.

« J’ai eu mal au cœur parce que je n’ai jamais compris à quel point cette jeune fille souffrait »

L’année dernière, lors d’une visite dans mon pays natal, j’ai su par hasard que la cousine de mon amie s’est tragiquement suicidée en se jetant dans une rame de métro en France, quelques années après la fin de ses études universitaires. J’ai eu mal au cœur parce que je n’ai jamais compris à quel point cette jeune fille souffrait. Sa beauté et son intelligence n’étaient pas appréciées à leur juste valeur.

Ses problèmes de santé mentale restaient enfouis sous des couches étouffantes de pressions sociales et de tabous dont nous n’étions pas prêts à nous séparer. Seules les apparences trompeuses nous suffisaient. Des décennies plus tard, les choses commencent à bouger mais encore à pas de tortue. Le livre de Mme Koscielniak est franc et honnête. Les tabous sont justement brisés. Une lecture recommandée pour les jeunes et leurs parents.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.