Municipales : l’abandon du vote préférentiel ne fait pas l’unanimité chez les experts
Alors que les résultats des récentes élections provinciales au Québec ont fait couler beaucoup d’encre et que de plus en plus de citoyens donnent de la voix pour l’adoption du vote préférentiel en lieu et place du système électoral actuel basé sur un principe uninominal majoritaire à un tour, les experts semblent divisés sur son utilité quant aux élections municipales.
Pour ce qui est du vote préférentiel comme système de substitution à celui uninominal à un tour qui fait force de loi au pays, le débat ne date pas d’hier. En effet, quel que soit le palier, à chaque élection des voix citoyennes s’élèvent pour le revendiquer comme nouveau mode de scrutin, plus équitable selon ces dernières.
Pour rappel, le vote préférentiel est un mode de scrutin électoral qui offre la possibilité aux électeurs de classer les concurrents par ordre de préférence sur leur bulletin de vote. Suite à quoi, les candidats d’une même liste sont classés en fonction du score total obtenu. Ainsi, les candidats enregistrant le meilleur score dans chaque liste sont déclarés vainqueurs.
Le principal avantage de ce système réside dans le fait qu’il permet d’éviter que les futurs élus le soient à moins de 50 % des voix. D’ailleurs, la plupart des partis politiques au Canada, y compris celui du premier ministre ontarien, Doug Ford, élisent leur chef en ayant recours au vote préférentiel.
Les élections municipales ontariennes qui auront lieu ce lundi 24 octobre ne font pas exception. Plusieurs potentiels électeurs réclament, via les réseaux sociaux, d’y appliquer le vote préférentiel, à l’instar de cet architecte en technologie de l’information résidant à Milton, Christian Audet.« Je suis en faveur du vote préférentiel parce qu’il assure une meilleure sélection dans chaque district électoral. De plus, il motive les électeurs des « petits » candidats à aller voter. Avec le mode de scrutin actuel, beaucoup de ces personnes ne votent pas parce qu’ils savent que leur candidat n’a aucune chance de l’emporter », explique celui-ci.
L’avocat à la Fédération des municipalités de l’Ontario et professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Stéphane Émard-Chabot, fait le même constat : « Je suis convaincu que si on demande à la population si elle préfère un système électoral différent qui représente plus la volonté démocratique, la réponse sera oui. »
Il en va de « la santé de notre démocratie »
Il faut dire qu’une première expérience, inédite au pays, pour appliquer le vote préférentiel a déjà été effectuée en 2018 lors des élections municipales de la ville de London. Un essai beaucoup critiqué à cause, entre autres, des longs délais de la livraison des résultats, un retard dû aux exigences comptables de ce nouveau mode. À l’époque, il avait fallu 18 heures pour que les premiers élus soient connus.
Plus que cela, le 7 juin 2016, le gouvernement de la province de l’époque avait adopté un projet de loi ayant pour objectif de modifier la Loi de 1996 sur les élections municipales afin d’accorder aux municipalités la possibilité d’utiliser le scrutin préférentiel. Ce projet avait fait suite aux consultations menées par l’Ontario auprès du public, lequel avait clairement exprimé son penchant pour un scrutin préférentiel.
Toutefois, l’arrivée de Doug Ford au pouvoir quelques jours après l’adoption de cette loi a changé la donne. Dès 2020, le premier ministre avait coupé court à cette décision pour revenir au système de vote obligatoire uninominal qui fait foi depuis 1867, arguant qu’il fallait « se concentrer sur la pandémie ».
« Le vote préférentiel est une bonne chose pour les élections à tous les niveaux. On vient de voir les élections provinciales et les débats que les résultats ont suscités au sujet du système uninominal à un tour où une personne peut être élue parfois avec seulement 30 ou 35 % des voix. Effectuer cet ajustement est impératif pour la santé de notre démocratie. Mais la réalité est que ceux qui sont au pouvoir et qui bénéficient du système actuel leur permettant d’être élus facilement et rapidement n’ont pas intérêt à le changer », déplore Stéphane Émard-Chabot.
Et d’ajouter : « D’autant plus que c’est beaucoup plus facile à mettre en place au niveau local parce qu’on n’a pas la dynamique des partis politiques et donc les partis pris sont moins forts. Aussi, la nature directe de la démocratie au niveau local fait qu’il est généralement plus facile de vendre cette idée-là à l’électorat. »
Pas si efficace que cela pour les municipales
De son côté, Luc Turgeon, professeur agrégé d’études politiques à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa n’est pas de cet avis.
« Je n’ai rien contre le vote préférentiel, mais au niveau municipal je suis moins convaincu de son utilité parce que dans les faits, bien souvent les conseillers municipaux et les maires l’emportent par plus de 50 %. Donc à ce niveau-là, il n’aurait rien changé. Il est peut-être utile lorsqu’il y a des courses serrées entre les candidats », argue-t-il.
Même son de cloche pour Geneviève Tellier, professeure titulaire École d’études politiques à l’Université d’Ottawa : « Je ne suis pas certaine que le vote préférentiel ait fait ses preuves. Peut-être qu’il est plus approprié dans les villes où il n’y a pas de partis politiques, mais je ne suis pas certaine que cela soit la meilleure méthode parce qu’il existe, aussi, un élément stratégique dans l’ordre des choix qui peut s’avérer fatigant pour l’électeur. »