Nickel City Fifs : Une épopée queer sudburoise sur fond de trous

Crédit image: gracieuseté.
Gracieuseté.

À la fois mythe de création, comédie profane et fantaisie dystopique, Nickel City Fifs est un texte urgent, tendre et effronté qui fauche le sacré de l’Ontario français pour lui rappeler que sa jeunesse queer, ici à Sudbury et ailleurs, est en crise – et que l’amour sera toujours son salut.

C’est un dimanche après-midi torride à Sudbury. Plongée dans la pénombre de l’underground frais de Zigs, je me réfugie du soleil qui brûle le pavé de la rue Elgin dans le seul bar queer du Nord de l’Ontario. Ici où, autrefois, dans une incarnation bouncer, le musicien franco-ontarien Stef Paquette, m’avait carté; où j’ai dansé avec de beaux ami(e)s d’enfance; où mon petit frère allait rencontrer un grand amour de vie.

Parmi les graffitis sur la piste de danse se livre la répétition de Nickel City Fifs, une collaboration de l’artiste queer franco-sudburois Alex Tétreault et du Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), dans toute sa splendeur arc-en-ciel, ses paillettes et ses perruques.

La pièce de théâtre livre sa trame d’un soir chez Zigs, institution sudburoise où sera d’ailleurs joué le show du 22 au 24 juin, faisant le récit d’un « jeune queer assoiffé de liberté et de communauté » attend sa friend, et où « la faune haute en couleur du bar lui présente leur monde magique en l’invitant dans des univers éclectiques, éclatés et absurdes ».

Comme c’est écrit dans Nickel City Fifs, « attache ben ta tuque, mon poussin », je t’amène chez Zigs!

Nickel City Fifs sera joué du 22 au 24 juin dans le bar Zigs, seul bar queer du Nord de l’Ontario. Crédit image : Gracieuseté.

Un théâtre qui jaillit de ses gonds

Alex Tétreault est disrupteur. Il signe le texte et la mise en scène de Nickel City Fifs – titre qui tantôt provoke, intrigue et célèbre la culture queer du Nord de l’Ontario.

Et dans la grande tradition théâtrale de la jeunesse franco-ontarienne à Sudbury, son œuvre s’attaque avec amour et humour à nos institutions culturelles. Rien n’est sacré – ni le Vieux Médéric, denise truax ou La Nuit sur l’étang. Mais le texte fait aussi notre éducation – jetant un éclairage sur la purge LBGBTQ et la fruit machine, la crise du SIDA (« Fucking Reagan! ») et la haine dans toutes ses formes au fil de l’histoire canadienne.

Mais c’est surtout en s’emparant de la scène chez Zigs que Nickel City Fifs anéantit le quatrième mur de la scène. En un retour aux racines du théâtre revendicateur de l’Ontario français, ainsi qu’aux mouvements agitateurs queer, le show fait jaillir le théâtre de ses gonds, un puissant rappel que des décombres croulants du théâtre classique émerge un nouveau canon franco-ontarien.

« Nickel City Fifs ne marcherait pas dans une salle de théâtre traditionnelle », m’explique Alex Tétreault. « C’est broche à foin. C’est weird. Nos décors sont faits en carton. Retenus ensemble par du duct tape puis des rêves. »

La pièce situe également les événements de Nickel City Fifs dans le bar Zigs. Souterrain, sombre et rough, souligne-t-il, la scène est à l’image du cratère qu’est Sudbury.

« C’est exactement le bar queer qu’on mérite. »

Zigs, « pour tout le monde »

« Quand je suis revenu dans le Nord, (Zigs) m’a vraiment aidé », me raconte Michel Gervais (alias la drag queen Jenna Seppa).

Gracieuseté.

Pour l’acteur, qui incarne Austin – un jeune intello ex-party-monster du coat check – ce ne sera pas la première fois qu’il se livre en spectacle chez Zigs. D’ailleurs, m’explique-t-il, c’est ici qu’il a livré son premier show de drag sudburois.

« C’est drôle, parce qu’un bar, c’est là où je performe toujours avec mon drag! » rit le natif de Sturgeon Falls. « Et on peut dire que le drag, c’est du théâtre, faque c’est pas étranger pour moi. Je peux bien me dire que t’es on brand! ».

Tout comme son personnage, Michel Gervais a habité Toronto pour enfin revenir dans le Nord (« ma renaissance », dit-il). Mais c’est surtout Zigs qui lui rappelle ses racines.

« C’est une place de rencontre pour tout le monde », souligne-t-il. « Je souhaiterais vraiment (que la jeunesse queer) ne perde pas l’espace qui existe déjà, pour que l’on en ait plus dans le futur. C’est important d’avoir des lieux de rencontres, où on peut se réunir et se connaître. »

« Weird, dark et magique »

Tout comme Michel Gervais, Natalie Lalonde a joué dans les bars avec le groupe Big White Canvas – mais pour la comédienne qui interprète Lee, bartederESSE non-binaire bonNE-vivanE, jouer sur la piste de danse chez Zigs est hallucinant. 

« C’est vraiment spécial de pouvoir jouer dans un bar – c’est un défi, quand même! », s’exclame-t-elle. « Projection de voix, interaction, quatrième mur. Toutes les choses traditionnelles qu’on fait en théâtre sont brisées quand tu arrives dans un bar, sur un dancefloor, dans une cave! »

« Le bar Zigs pour moi, en grandissant, c’était vraiment abstrait. La première fois que je suis allé, j’étais dans la vingtaine. C’était tout ce qu’Alex décrit dans son texte : c’était sale, c’était weird, c’était dark, mais il y avait toujours l’anticipation de rentrer. Il y avait une petite peur. Il y a avait tout ça qui faisait que c’était magique. »

« Pour longtemps, j’ai nié un peu mon côté queer », confie Natalie Lalonde. « C’est fou comme c’est quand même juste récent que je commence à comme vraiment l’explorer d’une façon honnête. Mais, je pense d’avoir (Zigs) à Sudbury comme étant la seule place qu’on peut avoir comme communauté, c’est très important. Il n’y a pas de question – ça devrait exister. »

À grands coups de plume

Nickel City Fifs est un cri du cœur urgent. 

Prise de parole opportune par les francos queers de Sudbury, ce show est également un geste politique qui tient tête à la hausse de crimes haineux perpétrés contre les personnes LGBTQ2S+, y compris ici dans le Nord ontarien.

À grands coups de plume, par sa fougue et son courage, Nickel City Fifs accorde « la parole à une voix rarement entendue en Ontario français et encore moins ici, dans le Nord ». 

Plus que pièce de théâtre, ce show est un plaidoyer qui nous rappelle l’importance d’un théâtre à l’image de nos collectivités, des refuges sacrés – comme Zigs, et de la solidarité du collectif. 

Une épopée qui nous rappelle que l’amour sera toujours le salut de la communauté queer