Nicole Arseneau-Sluyter, la nouvelle porte-voix des Acadiens du Nouveau-Brunswick
[LA RENCONTRE D’ONFR]
SAINT-JEAN – La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), organisme porte-parole des francophones dans la province, a une nouvelle présidente en la personne de Nicole Arseneau-Sluyter, en poste depuis une semaine après une période d’intérim. Assimilation et éducation sont les deux mots qui sont probablement revenus le plus souvent dans notre entretien avec l’Acadienne. Elle se donne pour mission de freiner l’assimilation vers l’anglais des jeunes francophones avec le viseur tourné sur le système d’éducation néo-brunswickois.
« Comment avez-vous accueilli votre élection à la présidence de la SANB?
C’était vraiment un honneur. Pour être honnête, je me présentais contre deux bons candidats et je n’avais rien tenu pour acquis dès le début. Oui, j’étais à l’intérim depuis septembre dernier, mais je savais que je ne devais jamais lâcher, ne jamais arrêter et me donner à 200 %.
Vous habitez aujourd’hui à Saint-Jean dans le sud de la province, mais vous avez grandi dans le Nord du Nouveau-Brunswick, où paradoxalement, le français est majoritaire…
Je viens de Balmoral qui est un village où j’ai grandi complètement en français. Je ne suis même pas certain qu’il y ait eu une famille anglaise. S’il y en avait une, ce n’était pas plus. Même aujourd’hui, mes parents ne parlent pas couramment l’anglais. C’est une grande famille de cinq enfants. Mon père avait une grande entreprise avec son moulin à scie et ses près de 300 employés, alors on était bien connu dans la région. J’y vais encore souvent, je suis très bien connecté avec mon village natal.
Pourquoi estimez-vous être la bonne personne pour représenter les francophones au Nouveau-Brunswick?
La majorité de ma carrière a été dans un milieu minoritaire où j’ai travaillé dans une mission semblable de la SANB, qui est de protéger notre langue et de promouvoir notre culture. Quand j’ai décidé de rejoindre le conseil d’administration de la SANB en 2018, c’est là que j’ai très vite réalisé les enjeux.
En quoi votre parcours professionnel à Saint-Jean – où vous avez travaillé pour le district scolaire francophone, puis comme parajuriste au privé et pour un centre communautaire francophone jusqu’en 2018 – vous a logiquement conduite à vous engager dans la SANB?
Souvent, quand on vit dans un milieu minoritaire comme Saint-Jean, une ville de loyalistes, les Acadiens en milieu majoritaire ne comprennent pas nos enjeux. Ils prennent des décisions qui parfois nous affectent directement. À Saint-Jean, notre population francophone est plus élevée qu’à Caraquet, que je donne en exemple, et là les gens oublient ça.
Le poids des francophones ne cesse de baisser depuis plusieurs années au Nouveau-Brunswick. Saint-Jean reflète-t-elle cette tendance, à la lumière de votre parcours dans le système d’éducation?
Il y a eu beaucoup d’assimilation ici. La commission scolaire francophone a seulement ouvert en 1985. Toutes les générations d’Acadiens avant ça étaient des gens pas peu convaincus, mais la majorité d’entre eux ont été assimilés, et ce de manière affreuse. Les petits enfants sont arrivés en première année et on les ridiculisait parce qu’ils ne parlaient pas anglais. Les parents trouvent ça difficile encore aujourd’hui.
J’ai une amie dans le début quarantaine et dont son père est un produit de ça qui lui a dit : ‘Je ne veux pas que tu mettes tes enfants en immersion française, c’est trop difficile, ça fait trop mal’. La plaie est encore ouverte. Notre histoire est jeune. J’entends ça et je rencontre des familles : des Robichaud, des Arseneault, des Savoie, des Pitre, des Ouellette… Et tous ces gens-là sont assimilés.
On devine que l’assimilation est un enjeu qui sera au centre de votre mandat à la SANB…
Ça me passionne parce que c’est la base. Si on n’est pas capable de garder la base, on est foutu. Je parle de Saint-Jean, car je suis ici, mais ce n’est pas différent de Fredericton ou Moncton. On a des problèmes sérieux à trouver des éducateurs et éducatrices.
L’assimilation est un risque partout en Amérique du Nord. Les Québécois qui viennent à Saint-Jean mettent leurs enfants à l’école anglaise, car ils se disent : ‘On parle déjà français à la maison’. Vous savez ce qui se passe avec ça? Une génération et les enfants sont assimilés! Ils ne réalisent pas à quel point l’influence anglaise est forte.
Ce sujet vous prend très à coeur… Qu’est-ce qui vous attriste le plus?
J’ai de la difficulté à retenir mes larmes. Ça me touche comme ça. Je vois vraiment la fragilité de notre langue. Même dans ma propre famille. J’ai une sœur qui vit à Regina et qui a deux filles qui parlent encore français, mais elle a décidé de parler seulement anglais à la maison. Elles sont instruites, mais ce n’est pas garanti que mes nièces vont continuer (à parler français) dans leur vie adulte. Une langue, ça se perd.
C’est triste, mais ce qui m’attriste encore plus, c’est d’avoir l’impression que l’importance de préserver notre langue passe six pieds au-dessus de la tête des jeunes (…). Je veux dépenser beaucoup d’énergie à faire une différence (avec les jeunes).
Vous demandez au gouvernement de créer un ministère de l’Éducation entièrement francophone qui couvre les besoins de « la naissance jusqu’à la mort » comme vous dites. Pour quelle raison?
On veut avoir le contrôle, nous autres. On veut avoir notre propre ministre de l’Éducation. Parfois, on a un ministre qui parle juste anglais. On a une dualité et on n’est pas du tout sur la même longueur d’onde avec les programmes du système anglais. Il y a une déconnexion complète. Ils sont majoritaires, ils ne sont pas à risque. Si on avait nos employés et nos programmes, on pourrait aller de l’avant avec ça.
Une élection provinciale aura lieu à l’automne. Quelles sont vos demandes, outre l’éducation, à l’approche de ce scrutin?
On voudrait un comité sur les langues officielles à Fredericton avec plus de pouvoirs… On a beaucoup à discuter (avec les partis) et faire certain que les choses s’améliorent au niveau du gouvernement. La commissaire aux langues officielles ne semble pas avoir beaucoup de pouvoirs. C’est rendu qu’on ne se plaint plus, car on a plus de pouvoirs. On veut aussi faire des États généraux sur l’état du français au Nouveau-Brunswick. »
LES DATES-CLÉS DE NICOLE ARSENEAU-SLUYTER
1962 : Naissance à Balmoral au Nord du Nouveau-Brunswick
1987 : Déménage à Saint-Jean pour travailler pour le district scolaire 52
2002 : Rejoint le Centre communautaire Samuel-de-Champlain à Saint-Jean
2018 : Rejoint le conseil d’administration de la SANB
2024 : Élue présidente de la SANB
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario, au Canada et à l’étranger.