« On va voir le vrai visage de Blaine Higgs vis-à-vis des Acadiens »
FREDERICTON – La victoire du Parti progressiste-conservateur (PPC) aux élections du Nouveau-Brunswick, lundi soir, inquiète la communauté acadienne. Mais débarrassé de son alliance avec le chef du parti opposé au bilinguisme Kris Austin, le premier ministre Blaine Higgs aura l’occasion de démontrer qu’il a bel et bien pris ses distances avec son passé.
« Les Acadiens n’ont pas de problème avec le Parti progressiste-conservateur, mais ils n’ont jamais été convaincus par son chef actuel, Blaine Higgs, qu’ils voient encore comme le candidat à la chefferie du Parti CoR [Confederation of regions Party]. Il n’a pas réussi à démontrer ses convictions probilinguismes. »
Ce constat du président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, résume l’ambiance qui règne dans la communauté acadienne au lendemain du scrutin provincial.
Le PPC a remporté son pari, devenir majoritaire. En gagnant 27 des 49 circonscriptions, il se donne les coudées franches après deux années de gouvernement minoritaire. Mais les défis n’en seront pas moins grands pour réconcilier une province divisée entre le Nord acadien libéral, le Sud-Ouest anglophone acquis aux troupes de M. Higgs, et entre le milieu rural et le milieu urbain.
« Ce résultat confirme ce qu’on avait déjà pu observer en 2018 », analyse le politologue à l’Université de Moncton, Roger Ouellette, qui juge pourtant que le PPC n’a pas totalement négligé les francophones pendant cette campagne. « Higgs a fait le service minimum en termes d’engagements, mais il s’est entouré de conseillers francophones et le parti a proposé des candidats intéressants dans les circonscriptions acadiennes. »
Réunion avec la SANB
Un avis que nuance Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada.
« Que ce soit dans sa plateforme ou pendant la campagne, on n’a jamais senti que M. Higgs cherchait cette unité. Il s’est très peu adressé à la population acadienne et même si le parti a présenté des candidats vedettes, ceux-ci étaient mal outillés pour convaincre la population. »
Résultat : un seul élu francophone sera présent au sein du gouvernement, Daniel Allain, qui a remporté la circonscription de Moncton-Est.
« On peut faire un parallèle avec la situation de Robert Gauvin en 2018, qui était le seul représentant francophone au sein du gouvernement progressiste-conservateur. Mais la grosse différence, c’est que M. Allain n’est pas de la même trempe. Il n’est pas nouveau en politique, connaît bien l’appareil et peut mieux l’utiliser », estime Mme Chouinard.
Son élection pourrait donc aider à rebâtir les liens avec la communauté acadienne, forcément inquiète de voir un parti obtenir une majorité sans son appui.
« Nous avons déjà une réunion d’urgence qui est programmée », explique M. Doucet. « Il y a de l’inquiétude, mais on va se donner le temps de négocier. Il y a plusieurs dossiers importants pour nous, comme la création d’un comité permanent des langues officielles, la modernisation de la Loi sur les langues officielles d’ici fin 2021 comme le prévoit la Loi, l’immigration francophone et le développement d’un plan à long terme sur la ruralité… »
Pour M. Ouellette, le PPC devra également réfléchir à son avenir.
« Il semble clair que M. Higgs ne continuera pas après ce mandat et le parti doit réfléchir au mode d’élection de son chef. En optant pour un autre système, cela pourrait éviter d’élire un chef unilingue anglophone sans l’appui des Acadiens. »
Le politologue rappelle que le parti a déjà réussi à convaincre ce pan de l’électorat, notamment sous Richard Hatfield et Bernard Lord.
« Mais tant que Higgs sera là, ce sera difficile », estime Mme Chouinard. « En deux ans, il n’a pas tendu la main aux francophones, a annulé l’organisation des Jeux de la Francophonie en 2021, et n’a pas rempli sa promesse d’apprendre le français… Il s’est engagé à travailler pour toutes les régions, mais on peut avoir des doutes, même si cette fois, il n’aura plus besoin de séduire l’électorat de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, ce qui pourrait changer son ton vis-à-vis des francophones. »
Le président de la SANB sera attentif, entre crainte et espoir.
« M. Higgs a gouverné avec un parti anti-francophone et il n’a pas réussi à briser les perceptions le concernant pendant la campagne. Là, il est majoritaire, on va voir son vrai visage vis-à-vis des Acadiens. »
Percée des Verts, recul de l’Alliance
Car le parti de Kris Austin, hostile au bilinguisme dans la province, a perdu quelques plumes dans le scrutin d’hier. Il comptera deux députés dans la nouvelle législature, soit un de moins qu’en 2018, et son influence sera forcément moindre avec un gouvernement majoritaire.
En revanche, le Parti vert de David Coon a créé une certaine surprise, même s’il conserve son même nombre de sièges – trois – avec une percée en nombre de votes.
« Le parti a réussi à faire réélire assez facilement ses députés et il enregistre une croissance de ses appuis, y compris dans les deux communautés linguistiques. Alors que les conservateurs semblent les ignorer et que les libéraux semblent les prendre pour acquis, les Acadiens pourraient se tourner vers le Parti vert. »
Autant dire que le Parti libéral va devoir se réinventer pour redresser la barre, alors que son chef, Kevin Vickers, n’a pas réussi à gagner sa circonscription et a annoncé sa démission.
« Le choix d’un chef sans expérience, en pleine pandémie, a pesé comme une chape de plomb et la division du vote avec les verts est un signal que le Parti libéral devra prendre en compte », prévient Mme Chouinard.