Société

Ottawa : la seule halte francophone pour femmes vulnérables forcée de déménager

Le Centre Espoir Sophie déménage à Overbrook après plus de 20 ans sur la rue Murray. Gracieuseté

OTTAWA – Confronté à la perte de son local du centre-ville, le Centre Espoir Sophie s’apprête à déménager. Seule halte francophone pour femmes vulnérables à Ottawa, l’organisme connait aussi une forte demande, ce qui complique sa mission.

Après plus de deux décennies passées sur la rue Murray, le Centre Espoir Sophie, seule halte francophone pour femmes en situation de vulnérabilité à Ottawa, s’apprête à déménager dès janvier 2026 au 235, rue McDonald, dans le quartier Overbrook.

Une transition forcée et coûteuse, qui survient alors que la clientèle du centre a plus que doublé en un an.

« Nous servions environ 450 femmes par année. Aujourd’hui, nous en accueillons plus de 900. La demande a littéralement explosé », explique Magali Mahillet, directrice générale du centre.

Le local historique du centre a été mis en vente par son propriétaire, obligeant l’organisme à quitter les lieux. Le nouveau local, plus petit et dont le loyer coûte plus du double est situé en périphérie.

« Nous n’avions pas d’autre choix parce qu’ils vont démolir la petite maison de la rue Murray », explique Mme Mahillet, ajoutant que c’était très compliqué de retrouver un espace à un prix abordable au centre-ville.

« Et nous allons certainement perdre certaines femmes qui habitaient près de l’ancien local », regrette Mme Mahillet.

Selon elle, la décision du déménagement n’a été confirmée qu’en mars, laissant moins d’un an pour se reloger et aucune marge budgétaire pour absorber les coûts imprévus.

En avril 2013, le Centre Espoir Sophie a ouvert ses portes quatre jours par semaine. Gracieuseté

Ce déménagement n’est pas le premier dans l’histoire de ce centre qui porte le nom d’une jeune femme de 27 ans, enceinte de 7 mois, toxicomane et séropositive qui avait besoin de services en 1994. Son espoir à l’époque était qu’un centre du genre voit le jour.

Ouvert le 23 décembre 1997 grâce à un partenariat avec les Bergers de l’Espoir, le centre, alors destiné principalement aux femmes en situation d’itinérance, occupait une petite maison sur l’avenue King Edward.

En 2000, un avis de démolition force un premier départ.

Après une forte mobilisation communautaire, le centre rouvre ses portes en 2002 au 145, rue Murray, où il restera plus de vingt ans.

Une levée de fonds réussie, mais insuffisante

Chaque année en novembre, l’organisme organise un gala pour soutenir son budget.

Cette année, la levée de fonds a dépassé les attentes : 28 000 $ collectés pour un objectif de 25 000 $.

Selon Magali Mahillet, directrice du Centre Espoir Sophie, le récent gala a dépassé son objectif de collecte de fonds. Gracieuseté

« Ce montant nous évite un déficit, car nous intégrons toujours la levée de fonds à notre budget annuel », précise la direction.

Mais ce succès ne suffit pas à compenser, notamment la hausse de la demande, les besoins alimentaires et matériels, et les coûts liés à la relocalisation.

Le budget global de l’organisme dépasse légèrement sa planification financière. Cette année la Ville d’Ottawa a versé 300 000 $ à l’organisme qu’elle supporte depuis 2007.

Magali Mahillet estime que la croissance de la clientèle s’explique en grande partie par l’arrivée récente de nouvelles immigrantes francophones, après le déblocage des demandes d’immigration restées en attente pendant la pandémie.

« Quand les demandes de 2020 à 2022 ont finalement été acceptées en 2024-2025, beaucoup de femmes sont arrivées à Ottawa. Le bouche-à-oreille a fait le reste », fait observer Mme Mahillet.

La majorité des bénéficiaires ont entre 30 et 40 ans, souvent sans emploi et en situation de précarité. Leurs besoins sont multiples : nourriture et paniers alimentaires, vêtements, manteaux, chaussures, fournitures scolaires, soutien pour les enfants, accompagnement vers l’emploi.

Le coup le plus dur reste la mise sur pause du centre d’emploi, un service essentiel pour l’autonomie financière des femmes. Financé pendant six mois par ACFO Ottawa dans le cadre du programme Ottawa Bilingue, ce service avait permis à 150 femmes de trouver un emploi ou une formation.

L’équipe du Centre Espoir Sophie, entièrement francophone, est au cœur de l’accompagnement offert aux femmes vulnérables d’Ottawa. Gracieuseté

« C’est énorme! Et 90 % des femmes que nous accueillons sont de nouvelles arrivantes. Elles ont absolument besoin de ce type de soutien pour devenir autonomes financièrement et ne plus dépendre du centre ou des banques alimentaires », explique la directrice générale.

Faute de financement stable, le service est aujourd’hui suspendu.

Évolution démographique

Le Centre Espoir Sophie est le seul service francophone de ce type à Ottawa, parmi les 35 organismes équivalents que compte la ville.

« Tous nos services, nos affiches, nos ateliers, nos documents internes sont en français. Tout le personnel parle français », assure Mme Mahillet.

La direction précise toutefois que les femmes anglophones sont accueillies sans discrimination.

Aussi, selon la même source, près de 70 % des bénéficiaires sont aujourd’hui d’origine maghrébine.

Cela génère des besoins spécifiques : « Nous ne pouvons plus utiliser certaines denrées reçues, comme le porc. Je dois acheter chaque jour de la viande halal, ce qui augmente énormément notre budget alimentaire. »

Aucun partenariat n’a, pour l’instant, permis de réduire ces coûts, affirme le centre.

La directrice générale lance ainsi un appel à du soutien financier, des dons de vêtements et d’articles essentiels, et surtout du financement pour relancer le centre d’emploi, jugé crucial pour l’autonomie des femmes.