
Ottawa veut retenir ses médecins : une stratégie en préparation

Ottawa veut s’inspirer d’autres municipalités pour attirer et retenir les médecins de famille. La Ville a adopté une motion pour élaborer une stratégie, malgré les limites du pouvoir municipal dans un domaine piloté par la province.
« Sur les 64 diplômés en médecine de famille de la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa en 2024, savez-vous combien d’entre eux se sont installés à Ottawa? Aucun! »
C’est en prenant conscience de cette réalité que la conseillère du quartier Rideau-Vanier, Stéphanie Plante, a récemment présenté au conseil municipal une motion visant à mandater l’administration municipale pour qu’elle élabore une stratégie concrète de recrutement et de rétention des médecins de famille dans la capitale.
Adoptée à l’unanimité, la motion charge les employés municipaux d’examiner les pratiques mises en œuvre dans d’autres municipalités et de faire rapport au Conseil, d’ici la fin septembre, avec des recommandations à court et à long terme.
« Quand j’ai parlé avec les étudiants, je réalisais qu’il y en avait très peu qui restaient ici à Ottawa, même s’ils sont ici depuis déjà huit ans. Ils se font recruter ailleurs », témoigne Mme Plante, qui elle-même a été sans médecin de famille pendant un an.
« Rien ne peut remplacer les médecins de famille et la valeur fondamentale qu’ils apportent au système de santé canadien : des soins continus, complets, et un leadership clinique au sein d’équipes interdisciplinaires », affirme-t-elle.

Selon elle, le manque de médecins crée aussi de l’engorgement dans les cliniques sans rendez-vous, les services d’urgence et chez les paramédicaux, ce qui a des effets sur tous les services de la Ville.
Les chiffres présentés par la conseillère indiquent que plus de 10 000 aînés n’ont déjà pas accès à un prestataire de soins primaires. Le Collège des médecins de famille de l’Ontario, lui, met en garde sur environ 318 000 résidents d’Ottawa qui pourraient se retrouver sans médecin de famille d’ici 2026 si rien n’est fait.
Une autre proposition phare de la motion : collaborer avec l’Eastern Ontario Physician Recruitment Alliance, un regroupement déjà actif dans plusieurs municipalités de la région, sauf Ottawa. L’organisme œuvre notamment au recrutement de médecins à l’international (Royaume-Uni, États-Unis, Irlande, Australie).
« Je pense aussi qu’on a des opportunités avec ce qui se passe aux États-Unis. Il y a beaucoup de médecins qui veulent quitter en ce moment », souligne Mme Plante, qui plaide également pour que la Ville établisse des partenariats stratégiques avec des institutions comme l’Hôpital d’Ottawa, le CHEO, l’Hôpital Montfort, les universités d’Ottawa et Carleton, l’Association médicale canadienne, et les centres de santé communautaire.
Limites du pouvoir municipal
Mais est-ce au niveau municipal de mener une telle stratégie? Le professeur Patrick Fafard, titulaire à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, fait part de ses réserves.

« Ce n’est pas le rôle du gouvernement municipal de recruter ou de payer les médecins, ou même d’offrir des incitatifs fiscaux. La capacité fiscale des villes est très inégale à travers la province, ce qui crée des disparités », précise M. Fafard qui collabore aussi avec la Faculté de médecine.
Soulignant que les municipalités n’ont ni les expertises ni les moyens pour ce type de démarches, M. Fafard invite plutôt la Ville à agir en complémentarité avec la province.
« Il faut s’assurer que les efforts municipaux soient coordonnés avec la stratégie provinciale en matière de santé », insiste-t-il.
De son côté, Laura Dudas, conseillère municipale d’Orléans Ouest–Innes, tempère. Bien que la prestation des soins de santé relève de la responsabilité du gouvernement de l’Ontario, pour Mme Dudas, « cela ne veut pas dire que je n’entends pas régulièrement les préoccupations des résidents concernant les difficultés à trouver un médecin de famille. »
Elle poursuit : « Lorsqu’une personne est malade, elle ne pense pas au palier de gouvernement responsable – elle a simplement besoin d’aide. Le manque d’accès aux soins de santé primaires est l’un des enjeux les plus urgents que soulèvent les familles, les aînés et les nouveaux arrivants. »
« Même avec des outils limités à l’échelle municipale, nous continuons à chercher des moyens de soutenir le recrutement et la rétention des médecins de famille dans nos communautés », assure-t-elle.
Parmi les voies possibles, énumère la conseillère, la collaboration avec des partenaires locaux, le soutien aux initiatives de santé communautaire et un plaidoyer soutenu auprès de la province pour qu’elle prenne des mesures urgentes.

Stéphanie Plante abonde dans le même sems. « Il ne s’agit pas que d’argent. Certaines villes ont offert des places prioritaires en garderie ou en centre de soins à long terme pour attirer des médecins. On peut explorer ces solutions. »
Ailleurs en Ontario, plusieurs municipalités offrent des incitatifs financiers aux nouveaux médecins : Huntsville propose 80 000 $ à condition d’y exercer pendant cinq ans, Kingston offre jusqu’à 100 000 $, et Timmins 20 000 $. Des programmes qui ont déjà permis de recruter plusieurs dizaines de professionnels de la santé.
Reste à voir si Ottawa saura emboîter le pas. Au-delà de l’aspect financier, M. Fafard insiste aussi sur l’approche organisationnelle. « Est-ce qu’on recrute des médecins en pratique solo ou est-ce qu’on bâtit des équipes interdisciplinaires? Le modèle d’équipe est plus efficace et plus moderne », soutient-il.
Une chose est sûre, des actions concrètes sont attendues pour espérer renverser la tendance.