
Le passeport bleu

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.
[CHRONIQUE]
Pour cette dernière de la saison, je vais enfin honorer ma parole – ou presque – et dessiner ainsi les sons de la séance de ma cérémonie de citoyenneté lors d’un mardi gris, gras d’émotions, sentant les relents de la pandémie au grand dam des touristes, avec ou sans visa!
Avant toute chose, je souhaite rassurer celles et ceux qui « kiffent » mes lignes et savent lire entre ces dernières : je viens de renouveler mon contrat de chroniqueur avec le groupe TFO. D’autres vont devoir me supporter encore un an de plus.
Derniers effluves de la COVID-19 obligent, j’ai juré fidélité à mon deuxième roi en ligne, il y a plus de deux ans de cela. Si je ne me souviens guère de la date exacte de ce tournant dans ma vie, je me rappelle très bien que je portais une chemise blanche impeccablement repassée, mais pas de pantalon, juste un caleçon usé, mais propre. Loin de moi était l’idée de manquer de respect à la cérémonie avec un tel accoutrement, surtout que les dizaines de personnes qui y assistaient, par familles entières parfois, étaient tirées à quatre épingles derrière leurs petits écrans, petit drapeau canadien à la main. Le fait était que, l’organisation n’étant pas ma tasse de thé à la menthe, tous mes vêtements extérieurs couvrant le dessous de ma taille étaient à la machine.
« Mais qu’est-ce qu’on s’en fout de ces détails! Va directement à l’essentiel, le nombre de mots t’est compté », souffle à raison la Petite voix dans ma boîte crânienne.
Un homme ne pleure pas, mon fils
Ce jour-là, je cessai officiellement d’être un touriste de l’histoire. Ce jour-là, je fis mine de chanter un hymne que je ne connaissais qu’à moitié – je n’aime pas les hymnes nationaux, car ils résonnent dans mes tympans comme un clairon de ralliement à la guerre. Ce jour-là, on me remit un certificat et une boule dans la gorge que même le sirop d’érable aurait du mal à faire passer.
Et pour cause, cette juge de noir vêtu, maîtresse de la cérémonie, devant un mur aussi jaune qu’un formulaire d’immigration, et dont la bienveillance rappelait celle d’un professeur de philosophie qui croit encore en l’humanité avait prononcé des mots simples, mais puissants à propos du vivre-ensemble, de la diversité et de la liberté. Elle avait cette voix qui donne envie de ne jamais enfreindre la loi ou d’adopter un castor! Elle parlait avec cette douceur rarement entendue dans une réunion virtuelle. Elle aurait pu m’annoncer la découverte d’une planète carrée ou la fin du monde, j’aurais tout gobé.
Cependant, ce fut lorsqu’elle dit que le Canada était chanceux de nous avoir que l’émoi du cœur atteignit son paroxysme en moi. Mes yeux se mouillèrent sans mon consentement. Or, je fis vite de laper mes larmes devant ma conjointe, qui jouait aussi son avenir à mes côtés, car de là d’où je viens, un homme, ça ne pleure pas, ou en cachette!
En revanche, beaucoup de personnes qui venaient également de loin laissèrent libre cours à leurs larmes, les âmes libres, enfin… Je pensai illico que beaucoup d’entre eux étaient arrivés ici en tant que réfugiés, des survivants, des gens pour qui ce papier était plus qu’un droit de vote, un gage de liberté. Je les regardais pleurer avec cette honte de celui qui a eu la vie un peu plus facile. Comme moi, ils avaient traversé des océans, des frontières et des silences. Comme moi, ils avaient finalement atteint bon port.
Ce jour-là, je compris que devenir citoyen, c’est rejoindre une histoire. Et parfois, cette histoire commence avec des yeux embués et des épaules secouées… mais le cœur plus léger.
Allez, ça suffit, rangeons le violon dans son étui et attaquons-nous aux bassesses de ce monde!
Le passeporte
Au-delà de tout cela, la citoyenneté canadienne est synonyme d’un passeport bleu. Cette couleur anodine sur un document qui tient dans la paume d’une main est le rêve de beaucoup de jeunes de l’hémisphère sud. Et pour cause, c’est un sésame planétaire qui ouvre toutes les frontières, sauf celles de la Corée du Nord!
En effet, selon l’index Henley Passport publié en mai dernier, le passeport canadien offre un accès sans visa ou visa à l’arrivée (une simple formalité) à 184 pays, ce qui le place à la 8ᵉ position mondiale en termes de passeports les plus puissants. Rien à voir donc avec mon ancien passeport vert, qui occupe la 69ᵉ position et qui n’ouvre que sur le tiers-monde (oups les pays en voie de développement).
Finis donc pour moi les formulaires sans fin, les preuves bancaires, les photos biométriques, les fiches anthropométriques, les prières en quatre exemplaires et surtout finies les interminables files d’attente devant les consulats sous le soleil de plomb de Marrakech.
Néanmoins, je ne peux clore cette chronique et la saison dans la foulée sans pousser un coup de gueule contre cette injustice mondiale que j’appelle l’art de voyager selon son PIB.
Pourquoi diable les citoyens des pays pauvres ont-ils besoin de visas, refusés pour la plupart, pour rendre visite aux pays dits développés et de droits, alors que ceux des pays riches peuvent papillonner de contrée en contrée lorsque l’envie leur prend? Pourquoi diable a-t-on dessiné des angles à la Terre alors qu’elle est ronde? À quel moment a-t-on décidé que le droit à l’évasion, à la découverte ou à la visite de grand-maman devait dépendre de la croissance du PIB ou du nombre de sièges à l’ONU? Bref, en somme, la planète est une école privée dont les pays pauvres n’ont pas payé les frais d’inscription.
Restent l’espoir, la bonté et la sagesse qui nous rappellent que nous sommes tous des habitants de la Terre mère nourricière et que le monde entier est le toit de ceux qui n’en ont pas.
À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.