
La Reine est morte, vive les Rois

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.
[CHRONIQUE]
« Mais qu’est-ce que le décès d’Élisabeth II, reine du Royaume-Uni et des royaumes du Commonwealth, cette dame qui a vu glisser l’Histoire durant ses 70 ans de règne, a à voir avec un Maghrébin immigré au Canada? », avais-je écrit lors d’une récente chronique sans y répondre, happé par la bêtise de l’homme jadis orange et blond maintenant. Voici donc la réponse à qui sait attendre.
« Eh ben, mon vieux! Toi qui as passé toute ton existence depuis que tu es conscient à courir derrière la liberté et l’égalité des chances, au-delà même des frontières, te voilà bien servi », susurra la petite voix dans ma boîte crânienne en ce jeudi 8 septembre 2022. Et pour cause, la reine Élisabeth II venait de rendre l’âme après 70 ans et 214 jours sur le trône.
Non! Ce n’est pas le plus long règne de l’histoire.
Petite parenthèse avant de poursuivre, ce règne n’est point le plus long de l’histoire connue des États souverains, comme j’ai pu le lire dans certains supports journalistiques à l’époque. Les gars, vérifiez vos informations avant de les publier, au risque d’être qualifiés de journaleux. Le record toutes catégories confondues dans le domaine de la monarchie héréditaire revient à Louis XIV de France avec une couronne cousue au fil de pêche sur sa tête dégarnie (Oui, oui! Il était chauve sous sa perruque bouclée) pendant 72 ans et 110 jours. Rien d’étonnant lorsqu’on devient roi à quatre ans, l’âge idéal pour faire preuve de sagesse politique, de vision stratégique et d’un profond sens des responsabilités envers son peuple!
Rectification faite, revenons à nos moutons. Mais pourquoi diable cette diablesse de la petite voix se paya ma tête depuis l’intérieur de cette dernière en apprenant une si triste nouvelle, bien qu’à 96 piges, c’était quelque peu prévisible?
Et bien, la réponse est triviale. Avec le vieux rejeton d’Élisabeth II sur le trône, le jour où je prêterai serment à mon tour, afin de devenir citoyen canadien (ce qui fera l’objet de la prochaine chronique pour celles et ceux qui ont le malheur de me croire encore sur parole), je deviendrai automatiquement sujet de deux rois : Charles III et Mohamed VI, monarque du Maroc, car je serai alors binational jurant double allégeance, une au nord et l’autre au sud.
« Sais-tu pourquoi les souverain(e)s portent toujours des numéros, comme des joueurs de foot? Est-ce que ce n’est pas de peur d’être oublié(e)s par l’Histoire ou de perdre le compte? », s’immisça encore une fois l’insolente petite voix. Je fis semblant de ne pas l’entendre, incapable de l’éteindre (j’ai déjà consommé ce pouvoir la dernière fois), car elle voulait me faire courir à ma perte!
Pour ce faire, je forçai sur la réflexion et parvins au constat suivant : tels les impôts dus ou les pubs imposées aux abonnés fauchés de Netflix, on peut changer de passeport, de continent, de climat, mais on n’échappe jamais complètement à son destin, son mektoub. Et puis, on naît avec une cuillère en argent, en or ou sans cuillère du tout, telle est l’impitoyable règle sur mère Terre nourricière.
Gêné par la génétique
Et alors, qu’y a-t-il de mal à cela? C’est même une chance, me diront certain(e)s. Là encore, la réponse n’est pas bien compliquée : je suis un adepte de la méritocratie et de la liberté du vent, évitant le baise-main comme le mauvais temps, et ce depuis ma tendre enfance. Or, le système héréditaire de la royauté, aussi moderne, éclairé et symbolique soit-il, a pour tradition de confier les rênes d’un pays à une personne tirée au sort par les chromosomes!
Ceci écrit, pour rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, une monarchie peut être un symbole d’unité, un bouclier contre la vulgarité politique, et surtout un excellent moteur touristique. Car, quoi de mieux que des châteaux et des palais couverts d’or pour attirer les visiteurs ? Après tout, il vaut mieux un bon roi qu’un mauvais président, n’est-ce pas?
Sur cette sage pensée couarde qui lesta mes paupières, je souris à l’air avant de tirer les rideaux. Le soleil de Toronto fut enfin là. Ô, Votre Altesse l’Astre altruiste, que Vos rayons y élisent d’homicide pour la saison, une vraie saison. Amen!
À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.