Chroniques

 Les quatre saisons

L'auteur arrive dans le désert, "là où le bitume prend fin et le GPS perd la boule". Photo : Canva

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.

« La reine est morte, vive les rois ». Les plus fidèles d’entre vous le devinent déjà : je vais faillir encore une fois, et je m’en confonds en excuses à l’avance, car ce n’est toujours pas au tour des souverains cette fois! Il faut dire que j’ai la beauté qui plaide en ma faveur. Et puis, que vaut l’existence de la loi si elle n’est pas transgressée parfois? Que vaut la promesse si elle n’est pas trahie en rappel? Le sens n’est-il pas sens que parce que son opposé existe? Enfin, à mon sens. 

« Quel jeu de mots de m… », bâilla la Petite voix mal réveillée dans ma boite crânienne.

Il faut dire qu’il se fait tôt, très tôt à Toronto. Ce n’est pas que je suis un early bird comme ils y disent dans la chose du lève-tôt. J’appartiens plutôt à la famille des Mégalonychidés, bien vissé sur les bancs-arrières de la sous-famille des plus paresseux d’entre eux.

Le fait est que j’ai un avion à prendre. Non, c’est lui qui me prend dans le fait.

« Encore un crime de lèse-langue », fait remarquer la Petite voix à nouveau, pensant sans doute qu’un langage plus soutenu la tirerait d’affaire! Elle se met le doigt dans l’œil qu’elle n’a pas, parce que, pour mettre un terme à son insolence, j’ai décidé de l’éteindre tout au long du séjour qui va suivre, l’un des plus beaux de sa vie si seulement elle n’avait pas raté une belle occasion de la fermer. Si l’enquiquineuse a le pouvoir de surgir quand bon lui semble avec son langage de conduite d’eaux usées, j’ai celui de la désactiver pour une durée maximum de sept jours.

Plutôt deux fois qu’une

Cela tombe à point nommé, car une semaine, c’est la durée de mon voyage au Pays du soleil couchant. En effet, aussi improbable que cela puisse paraître, pour la deuxième fois en l’espace de deux mois, je suis invité, aux frais de la princesse, à un événement littéraire au Maroc, doux pays de mon enfance. 

Alors, la rabat-joie en mode muet, j’endosse mon unique bagage bourré de mots, direction Rabat où j’expédie en 48 heures, non sans professionnalisme, la table ronde et les séances de dédicaces prévues pour votre serviteur par les organisateurs. La suite n’est que rêve et beauté!

Je loue un deux roues aussi puissant que maniable, une KTM Duke modèle 2008, en hommage au bon vieux temps quand j’étais un motard blédard, et j’avale les 350 km séparant Rabat de Marrakech en moins de trois heures.

La route des mille kasbahs

45 minutes pour manger chez le vieux Boujemâa qui fait des sandwichs kefta à se lécher les phalanges. Ouf, il est encore en vie, et, comme à son habitude, il ne sourit jamais! 45 minutes et pas une de plus, car la Ville ocre où j’ai grandi n’est que le commencement de cette excursion dans le passé, limitée dans le temps. Le plan : Rabat-Marrakech-Ouarzazate-Merzouga, autrement écrit : l’océan, la montagne, la forêt et le désert, et tout cela en une seule journée, en traversant littéralement les quatre saisons question temps.

Mais, ne m’en voulez pas de ne pas m’arrêter au col de Tizi n’Tichka (littéralement : col des pâturages en langue tamazight) dans le Haut Atlas et sa neige, jadis éternelle, à la Kasbah d’Aït Ben Haddou classée au patrimoine mondial de l’UNESCO ou encore à la vallée des Roses. De tout cela, je ne vous parlerai point, car, comme disait mon défunt père : « Celui qui a vu sait mieux que celui qui a lu ». Et puis, je ne jouerai pas au touriste dans mon propre pays, ça, jamais! Tout ce que je peux vous dire est que la multitude d’histoires et les paysages qu’offrent gracieusement cette route ressemblent à l’amour.

Les 400 derniers km qui me séparent de Merzouga et de la douche sont sous forme d’une ligne droite broyeuse de pierre, où les éléments semblent passer par un tamis. Au fur et à mesure que je roule, la roche devient caillou, le caillou devient sable, le reg devient erg. Je traverse tout cela dans l’intimité de mon casque.  

Avancer vers le passé

Toutefois, si j’avance sur cette ligne droite sans véritable horizon, son sens s’était inversé dans mon esprit depuis le départ, tel un axe chronologique lu par fou!

Me voilà enfin à Merzouga et ses dunes de sable géantes, là où le bitume prend fin et le GPS perd la boule, là où le voyageur possède une montre et l’habitant le temps, là où rien ne sert de courir, là où rien ne court sauf un maigre cours d’eau (heureusement que la Petite voix est éteinte!)

Rattrapé par la fatigue, j’arrête la machine et reste planté là, sclérosé par le poids des souvenirs. Soudain, sorti de nulle part, mon chien noir court vers moi en remuant la queue. N’est-il donc pas mort? Et qu’est-ce qu’il fait ici, à 700 km de là où je l’ai laissé pour la dernière fois?  

Une petite main joyeuse me tira de ce rêve sans ménagement : « Papa, c’est ton tour de me ramener à l’école aujourd’hui. »

Comme tout citadin branché au monde qui se respecte, je consultai d’abord ma boîte courriel. Un courriel en particulier attira mon attention. Je me contentai du titre : Invitation au Salon international de l’édition et du livre 2025 à Rabat.  

À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).     

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.