La claque
Suite des péripéties en immigration de notre chroniqueur, cette fois confronté au défi de se loger. Photo : Canva
Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.
[CHRONIQUE]
La précédente chronique était placée sous le signe de la richesse linguistique et culturelle, principal atout de Toronto, cité ensorceleuse des belles âmes. Le présent jus de crâne s’inscrit dans la même droite lignée, du moins avant de recevoir la claque et revenir aux sources, au galop, à une écriture sans bride dessinée du côté aiguisé d’une plume épicée aux fines herbes.
Ma décision d’élire domicile fixe à Toronto fut confortée dès que je mis les pieds à l’école pour apprendre l’anglais grâce à un programme gouvernemental offert gracieusement et selon le niveau de chacun, un investissement dans l’Homme, en somme.
Réfugiés au lourd passé que l’on devine sur des sourires inachevés, résidents permanents sous l’emprise de la fraîche euphorie du nouveau, jeunes étudiants de tous horizons colorés, hommes et femmes au midi de leur vie, vieux toujours avides du savoir, musulman, juif et chrétien partageant le même banc et s’activant à solutionner ensemble un exercice… Bref, un échantillon du monde comme il devrait l’être dans ma petite tête, cosmopolite, respectueux des différences comme des similitudes et surtout assoiffé du vivre ensemble.
Mon esprit voguait à imaginer ces personnes (à la fois lointaines et proches) qui avaient goûté au partage à la tête de leur pays d’origine! J’étais prêt à mettre ma main et mon corps entier au feu quant à un meilleur monde sous ce nouvel ordre quand une autre couleur dans cette mosaïque internationale répondant au prénom d’Alexandra, notre charmante enseignante, elle-même immigrante d’origine russe, m’extirpa de cette douce utopie.
« Soufiane, en tant que nouvel immigrant, quel est le plus grand défi que vous avez rencontré en arrivant au Canada? » Tel un automate couard voulant que son tour passât au plus vite, je répondis sans vraiment savoir pourquoi : « Le logement. »
Le cercle vicieux
Je ne croyais pas si bien dire, parce qu’il fallait bien en trouver un, de logement, surtout que le bébé allait arriver dans huit semaines selon la plus sage des sages-femmes, et ce n’était pas une sinécure, loin de là. Non pas que la ville souffrait d’une pénurie de toits, au contraire, ce n’était pas les annonces qui manquaient, mais le problème résidait dans notre état de nouveaux arrivants, synonyme d’absence de garanties et de garants, vierge qui plus est du fameux credit score dont je n’avais jamais entendu parler avant de m’y frotter et de m’y piquer, ici.
Cette boucle vicieuse sans queue ni tête se résumait ainsi : pour pouvoir louer un appartement, il fallait mettre sur la table ses fiches de paie ou celles d’un garant le cas échéant, le tout consolidé par un credit score qui se respecte. Or, la condition pour se targuer d’un credit score honorable est d’avoir vécu au Canada et y avoir consommer. Seulement, selon le dictionnaire Larousse, « un nouvel arrivant est une personne qui vient d’arriver dans un lieu, un groupe, ou une communauté. Le terme s’applique souvent aux personnes qui viennent d’immigrer ou qui entrent dans un nouvel environnement social ou professionnel ». Donc, par définition et par la force des choses, cette catégorie n’a encore ni travail ni credit score.
Quant au garant, qui accepterait de cautionner un étranger qui ne connait encore personne ici et qui vit toujours dans le souvenir et l’amour non sevré des siens? Somme toute, c’était là une farce de mauvais goût, une farce dont on était les dindons.
Propriétaires peu scrupuleux
Sur le terrain fertile de l’urgence et de l’incertitude, les mâchoires du piège des exigences contradictoires venaient de se refermer sur nous, ce qui inexorablement ouvrait la porte et la fenêtre aux abus de positions dominantes.
En effet, pour pallier ce « risque » de solvabilité (pourtant, il suffisait de jeter un œil en diagonale sur nos CV pour comprendre qu’on n’est pas du genre à demeurer longtemps sans travailler. Travailler, c’est ce qu’on a toujours fait, ma conjointe et moi), les propriétaires qui ne nous refusaient pas d’emblée sans égard à l’état de grossesse avancée d’Ibtissam exigeaient jusqu’à un an de loyer payé d’avance pour certains.
Notons au passage et à toutes fins utiles que cette pratique est complètement illégale, même si elle est répondue à Toronto comme l’était le bon pain au four communal de mon ancienne médina! En définitive, je faisais face à une hypocrisie sociale et législative comme j’en ai fui par tonne de là d’où je viens. La claque!
Littéralement dos au mur, on n’eut pas d’autre choix que d’accepter de signer avec un propriétaire plus gentil que les autres, ou plutôt moins dans l’illégalité que les autres en nous proposant de s’acquitter de « seulement » six mois de loyer à l’avance.
Résultat des courses : nos économies familiales s’en retrouvèrent à sec, sachant que la location mensuelle de ce petit appartement à une chambre coûtait 1900 $, auquel il fallait ajouter le dernier mois pour assurer davantage ses arrières (je vous laisse le soin de faire le trivial calcul de la douloureuse). À ce propos, cinq ans plus tard, je n’ai toujours pas compris ce mystère propre à la Ville Reine consistant à construire de lilliputiens logements dans des condos où s’entassent les Torontois par grappes, alors que ce n’est nullement l’espace qui manque dans le deuxième plus grand pays du monde en termes de superficie!
Soit, ce qui est fait est fait et rien ne sert de ressasser le côté obscur du passé, à moins que, comme bien souvent, le bien n’émerge du mal. Ce fut le cas, car les poches vides et le cœur plein, je laissai tomber l’école momentanément pour mettre les bouchées doubles dans ma recherche de travail.
Quelques jours après, je décrochais mon premier emploi en tant que journaliste. Une longue carrière venait de débuter pour me mener jusqu’ici, parmi vous, entre ces lignes. À bon entendeur, salamoualikoum (que la paix soit sur vous).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.