
Double sujet

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.
[CHRONIQUE]
« Sujet je suis, sujet je resterais, et de deux rois qui plus est. » Telle était l’affirmation qui fit des bandes sur les parois de ma boîte crânienne lorsque, le 8 septembre 2022, sur ma rétine manquant de sommeil s’imprima : la reine a rendu l’âme.
Mais qu’est-ce que le décès d’Élisabeth II, reine du Royaume-Uni et des royaumes du Commonwealth, cette dame qui a vu glisser l’Histoire durant ses 70 ans de règne, à avoir avec un Maghrébin immigré au Canada? se demandent peut-être les fidèles lectrices et lecteurs dans l’intimité de leurs méninges.
La réponse à cette interrogation est simple en apparence : beaucoup.
Toutefois, il va falloir se montrer un peu patient jusqu’à la prochaine chronique pour son développement, car, loin de moi l’idée de jouer au suspens de peu de goût, il y a plus urgent! Au diable donc l’ordre de la chronologie que je chéris tant!
Guerre mondiale
Pas plus tard que ce matin, le petit écran installé dans l’ascenseur de mon immeuble – histoire de se détourner le moins possible de la pensée pixellisée – m’informa en une brève superbement concise que le président américain, Donald Trump, déclarait la guerre mondiale commerciale. « Le jour de la libération », qu’il l’appela.
Si cette news qui circoncisait les marchés financiers et rendait fous les gouvernements des 180 pays visés par les taxes douanières instaurées par le président américain, Dieu sait par quel calcul, « m’en toucha une sans faire bouger l’autre » (je n’emprunte là que la célèbre réplique de l’ancien président français, Jacques Chirac, reprise par Emmanuel Macron en 2022), après tout, je n’ai pas beaucoup de choses matérielles à perdre dans cette guerre, l’information qui suivit me donna des palpitations, éclaireuses de la panique.
En effet, dans la foulée, Big Brother me confirma ce que je redoutais le plus de la part de l’Oncle Sam. Ce qui était censé être une blague d’aussi mauvais goût que le suspens plus haut, s’avéra être une ambition sérieuse du nouveau président américain : intégrer le Canada à son pays en tant que 51e État! Une colonisation, ni plus, ni moins.
« Mais Donald, tu en as déjà 50, des États! », m’écriai-je sans égard à l’autre personne dans la cabine d’ascenseur, la voisine du 16e étage qui ne dit jamais bonjour! Cependant, juste après cette évidente remarque que je croyais drôle, cette première carapace contre le choc émotionnel qu’est l’humour fut brisée par la panique.
Non merci, je ne veux pas devenir Américain
Nom d’une pipe, je n’ai pas signé pour ça. Il y a là violation du contrat! Non, non et non! Si j’ai choisi de laisser derrière tout ce qui m’est cher, ce n’est pas pour se retrouver citoyen américain! Si j’ai opté pour le Canada, ce n’est pas pour me retrouver parmi ceux et celles qui achètent une arme comme une baguette de pain.
Beaucoup me diront que, pour un tiers-mondiste comme moi, il y a quand même des avantages à cela, à l’instar des salaires plus élevés et des impôts plus bas aux USA qu’au Canada. À ceux-là je réponds : ma quête n’a jamais été matérielle et elle ne le sera jamais. Ma quête est artistique, humaine, égalitaire et multiculturelle, et je ne trouve nullement ces quatre critères dans la manière de voir les choses sous la chevelure dorée de M. Trump.
Certes, je ne suis pas sociologue, politologue, psychologue ou encore moins philosophe. Je ne suis qu’un filou des mots, à ce qu’il paraît. Mais, nul besoin de sortir d’Harvard, de l’ENA, de Stanford ou d’Oxford pour comprendre qu’il y a là tous les ingrédients nécessaires d’une dictature des temps modernes ne disant pas son nom qui est en train de s’installer doucement, mais sûrement, chez nos voisins du sud. Parole de tiers-mondiste ayant connu les années de plomb, parole d’un esprit dont le futur est conseillé par le passé, sous l’arbitrage neutre du présent.
À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.