Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.

Je l’ai appris à mes dépens : depuis ma dernière chronique où j’avais exposé mon désir ardent de griller ce stupide merle pour le grailler pendant la COVID, un pan de mon lectorat pense que je suis l’ennemi des animaux, voire le bourreau de ces derniers. Un fidèle lecteur m’a même traité poliment de personne atteinte de zoophobie, un terme dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Rien que pour cela, merci, cher lecteur. La présente chronique est donc pour rétablir la vérité, l’unique vérité, celle du vécu, celle de l’atavique.

Ceux qui me connaissent au-delà des mots ne le savent que bien : je ne suis pas un malfaiteur animalier, bien au contraire. Et pour cause, j’ai grandi dans mon pays natal avec une cohorte de chiens et de chats libres comme l’air et quelques lézards qui n’avaient d’yeux que pour les appétissantes mouches de Marrakech. Plus que cela, bien souvent, voire toujours, je préfère la compagnie de ces « bêtes » à celle des bipèdes pensants.

Le contexte

Le dernier chien qui partageait ma vie avant que j’immigre au Canada était une chienne, une magnifique Rottweiler couleur feu et nuit à l’intelligence bien supérieure à bien des hommes et qui répondait au nom d’Olga. L’origine de ce sobriquet est à chercher du côté de son ancien maître, un de ces hommes à l’intelligence largement inférieure à celle d’Olga. Un sadique qui utilisait ce bel animal pour les combats canins. Pas étonnant que le canidé avait mis beaucoup de temps à m’accorder sa confiance lorsque je l’avais adopté, l’arrachant à coup de milliers de dirhams des mains de son tortionnaire. Mais la peine valait son inestimable pesant d’or, car, une fois cette confiance accordée, seule la mort pouvait l’abolir. La mort, justement!

Quelques jours avant mon départ au Canada, comme pour graver dans l’eau notre Adieu que j’espérais un au revoir de tout cœur, j’avais emmené Olga pour une balade de deux jours au départ de Casablanca à destination d’Azemmour en longeant l’océan.

Une petite parenthèse s’impose, le nom de famille du politicien français Éric Zemmour trouve son origine dans cette petite ville marocaine, lui qui a été condamné à plusieurs reprises pour des propos racistes proférés au nom de l’identité française.

Passons! Lors de la première nuit à la belle étoile, un évènement étrange s’était produit, un signe que je ne pouvais interpréter, semant le doute dans le bienfondé de ma décision de quitter les miens, animaux compris.

J’avais alors griffonné ce sentiment sur une feuille orpheline froissée par le vent de l’Atlantique et jaunie par le temps apatride, un texte jamais publié, jamais lu devant quelqu’un, un petit texte secret écrit avec une plume trempée directement dans l’encre noire de ma bile. Voici son contenu brut que j’espère suffisant pour ma rédemption auprès de vous :

La mer et mon chien noir

Ce premier signe, la mer, toujours la même qui nous nargue et nous prévient. Même le chien noir, ma chienne, mon homme dans ce périple avait peur. Une peur qui réveilla la mienne. Je dois sortir mes lunettes du sac pour la regarder en face. Je n’ai rien vu, je l’ai sentie parcourir ma peau.

Ça y est, la peur de la chienne est mienne. Ça y est, on a la force du nombre. On est deux hommes, on est deux chiens. Elle mordra pour moi, j’arracherais des yeux pour nous deux.

Ce n’est pas grave, l’épuisement final attendra. On est prêt, les poils et les muscles dressés, tu ne peux que les caresser. Tu n’oses même pas en abattre un, parce que tu as peur, toi la peur. Tu as peur de l’union qui fait notre force, moi et le chien noir, ma chienne, mon homme dans ce périple.

Alors, approche et détache-toi de ton eau, on aura un combat d’homme à homme, de femme à femme, parce que tu n’as pas de sexe. Tu souris et je vois tes dents. Ris, tu as raison, la vengeance est un plat qui se mange froid et tu as le temps de nous voir refroidir.

Tu ne te détaches pas de ta mer, on ne se détache pas de notre sac de couchage. Alors, à demain, quand la lumière de ce dieu qui est le tien nous éclairera, je t’affronterai si dieu le veut, le nôtre cette fois. »

Jusqu’à ce que la mort ou l’exil nous sépare.

Voilà! Le texte vaut ce qu’il vaut, mais il a le mérite d’être pur, sans révision ni artifices, d’autant plus qu’il prend tout son sens aujourd’hui.

En effet, quelques mois après cette écriture automatique, je reçus un coup de fil en provenance du bled qui m’arracha de mon lit très tôt le matin, vers 10h. On m’annonça sans ménagement qu’Olga avait rendu l’âme naturellement en poussant un hurlement prolongé et plaintif avant de s’éteindre. Il est vrai qu’elle était vieille, mais son regard et son cœur s’étaient éteints depuis mon départ.

Morale de l’histoire : c’est aussi ça l’immigration, risquer de perdre des êtres chers sans pouvoir leur dire adieu. L’angle vaut sa pensée. Adieu, mon amie.

À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.