Vive la COVID

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.
[CHRONIQUE]
Loin de moi l’idée de remuer le couteau dans la plaie, mais la nécessité a ses raisons que les déloyaux ignorent. Conditions sine qua non de mon engagement, je l’avais promis dès le départ : cette série de chroniques est pour déshabiller mon expérience, dépoussiérer mes souvenirs, bons comme mauvais, et dénuder le fond de ma pensée, complètement. Alors, nulle retraite ou échappatoire à la période virale qui m’avait cueilli en plein envol. Pas de replis, certes, mais sous les angles sincères de l’amitié et de l’art!
Après s’être fait rapatrier en urgence depuis mon Maroc natal (les mots rapatrier et natal ne devraient pas être alignés côte à côte!) pour cause de fermeture des frontières, suite à l’apparition du virus couronné, vint la « quarantaine » imposée par le gouvernement canadien.
La quatorzaine
En réalité, il s’agit là d’un autre abus de langage admis sans résistance jusqu’aux hautes sphères, un non-sens du même acabit que la parenthèse plus haut. Dans les faits, c’est d’une quatorzaine dont il était question et non d’une quarantaine.
En effet, toute personne en provenance de l’étranger devait s’isoler immédiatement et ne pas mettre le nez dehors sous aucun prétexte, et ce en vertu du décret d’urgence sur la Loi de la quarantaine instauré à la hâte à cette époque. Au passage, je me permets d’y coller un lien officiel pour les nostalgiques, à l’instar de votre serviteur.
Oui! Nostalgique de cette période il m’arrive de l’être aujourd’hui. Mais ne brûlons pas les étapes, ne plaçons pas le jour avant la nuit, l’aube avant les ténèbres!
Toute infraction à cette loi pouvait entraîner jusqu’à six mois de taule ou 750 000 $ d’amende. À 125 000 $ le mois de prison, ce fut très dissuasif sur moi. Pas question de sortir, même pour aller faire des courses.
Le réfugié au gros cœur
Prisonnier jusqu’à la panse, un ami, de 20 ans mon ainé, réfugié turc de son statut, s’est proposé de faire les courses et me les livrer à domicile à chaque fois que moi ou ma petite famille eussions besoin de quelque chose.
Pour la petite histoire, j’avais rencontré ce sexagénaire quelques mois plutôt sur les bancs de l’école où une amitié bâtie au mortier du mal du pays était immédiatement née. Il faut dire que l’homme avait un cœur gros comme une pastèque. D’ailleurs, je me demande toujours comment une cage thoracique aussi petite pouvait contenir un cœur aussi épais! Tellement épais qu’aujourd’hui, mon fils le considère comme le grand-père qu’il n’a jamais eu, par fatalité. Alors, Mostapha, cette chronique t’est dédiée, que Dieu, s’il existe, fasse naître plus d’âmes comme la tienne sur cette terre mère nourricière. Amen!
J’ai donc accepté sa proposition volontiers pour ne pas crever la dalle et finir par bouffer ce satané merle d’Amérique qui venait taper du bec chaque matin sur ma fenêtre, croyant dans sa stupidité qu’il se battait contre un rival, lui aussi gonflé à bloc à coup de testostérones en cette saison de reproduction.
Et sa bêtise était incroyablement ponctuelle pour un si petit cerveau : 6 h tapante du matin. Un messager de bonne fortune, tu parles! (Un grand mea-culpa s’impose aux amis des animaux, mon humour est à l’image de mon anglais, maladroit, mais compréhensif, du moins, je veux bien le croire.)
Le confinement, mon meilleur allié
Hormis cette parenthèse des cœurs, les premiers jours de cet isolement obligatoire loin des miens étaient terribles. À la manière d’un fauve fraichement capturé dans une cage ne sachant quoi faire de son temps dans un espace si exigu, je tournais en rond avec le poids de l’incertitude mondiale sur les épaules, et cela commençait à jouer sur ma santé mentale.
Il fallait se reprendre, et si je ne le faisais pas pour moi, il fallait le faire pour ma petite famille. Le salut est venu de l’écriture. En effet, lors d’une séance de réflexion insomniaque, je compris que ce confinement était finalement une chance pour l’écrivain que je suis. Après tout, de quoi a vraiment besoin un créateur, si ce n’est de temps? Et du temps, on en avait tous à revendre. C’est clair comme l’eau de roche : le vrai luxe n’est ni or ni argent, le vrai luxe ne brille point, le vrai luxe c’est le temps.
Dès lors, face à face avec mon art, je m’étais mis à écrire comme jamais, inspiré comme un diable dans ce silence forcé. Résultats : un roman achevé en un temps record répondant au titre de Zahra, le meilleur de ma carrière, à mon goût.
Il n’y a pas de doute là-dessus, pour ma petite personne, artistiquement, la COVID n’était pas une coquille vide. Ce qui semblait être un abîme de solitude s’est transformé en une force créatrice. Deux années ou presque à créer, deux années qui ne sont certainement pas à jeter dans les profondes oubliettes du passé.
Enfin, loin de ce raisonnement un brin égoïste et/ou opportuniste, avec le recul qu’on a aujourd’hui après le passage de la tempête, il s’avère que, études à l’appui, le confinement planétaire n’avait pas été des plus efficaces, à l’instar de la solution proposée par Donald Trump à l’époque et qui consistait à s’injecter du gel désinfectant directement dans les veines pour se protéger du virus, un vrai génie!
Pour rappel, la deuxième investiture du même Donald Trump à la tête du pays le plus puissant du monde est prévue pour ce lundi. Mais, cela est une autre paire de manches.
À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.