Pénurie de médicaments pour enfants : les parents ne savent plus où donner de la tête
De mémoire de maman, jamais une telle pénurie de médicaments pour enfants et nourrissons n’a touché la province! Même constat de l’autre côté du comptoir : de mémoire de pharmacien, jamais une demande aussi accrue pour de tels produits n’y a été observée. Une situation qui, en pleine saison grippale, a fini par désespérer les parents dont certains n’hésitent pas à traverser la frontière américaine pour se procurer cette denrée devenue aussi rare que salvatrice.
« Mon fils avait une grosse fièvre, on a dû aller le chercher à la crèche. Après avoir fait le tour de plusieurs pharmacies pour acheter du Tylenol ou simplement du sérum physiologique (des produits essentiels que nous pensions être à disposition de tous), à notre grande surprise, les rayons étaient vides. La seule solution à notre malheur était de faire appel à la générosité de nos voisins et lancer un appel aux âmes charitables sur des groupes Facebook. Là on en a presque plus et on commence déjà à stresser au cas où il retombe malade avec tous les virus qui courent en ce moment », raconte cette maman torontoise, Myriam Ouaiss.
« Nous avons été touchés par ce phénomène. Nous avons deux enfants de moins de six ans et avec la rentrée des classes et les conditions actuelles, ils ont tous deux été malades par intermittence pendant les deux derniers mois. C’en est au point où je ne peux pas passer devant une pharmacie sans vérifier s’ils ont des médicaments pour enfants disponibles, c’est si difficile à obtenir », raconte cet autre parent franco-ontarien, Jean-François Pagé.
Et pour cause, de l’aveu même du gouvernement fédéral sous forme de communiqué datant du 26 octobre dernier : « Il y a actuellement une pénurie de produits pour nourrissons et pour enfants à base d’ibuprofène et d’acétaminophène dans l’ensemble du Canada. Il y a eu une hausse sans précédent de la demande pour ces produits et, même si l’offre a augmenté, nous nous attendons toujours à des pénuries. »
Cependant, si l’ampleur du phénomène est nationale, c’est bien dans les grandes agglomérations qu’il est le plus préjudiciable.
Les fabricants ne suivent pas
« On est dans cette situation de pénurie depuis un moment maintenant, et il faut vraiment qu’on commence à se rendre compte de son ampleur », avertit Alexandre Mihaila, pharmacien à Toronto, propriétaire de Mister Pharmacist.
Pour ce dernier, la faute incombe en partie aux fabricants dont le rythme de production ne suit pas cette demande sans pareil.
« On en est rendu là parce que, aussi, les compagnies pharmaceutiques auraient pu se rendre compte plus tôt de cette pénurie et redémarrer les machines plus rapidement pour en produire. Je pense que ce problème est inhérent à la stratégie productive de ces compagnies qui fabriquent à la demande pour diminuer les coûts. Ils ne veulent pas garder trop d’inventaires en main parce que cela bloque le cashflow. »
Un système immunitaire infantile moins efficace à cause de la COVID-19
L’autre raison que le pharmacien soulève concerne la pandémie et les mesures sanitaires qui en ont découlé, responsables, entre autres, d’une exposition moindre, synonyme d’une baisse d’efficacité relative au système immunitaire.
« Malgré le fait qu’on en parle moins, la COVID-19 n’a pas disparu, donc les gens ont acheté beaucoup de ces produits déjà cet été, sachant que pour la grippe accompagnée de fièvre et/ou de douleurs, on n’a pas beaucoup de produits à part l’ibuprofène et l’acétaminophène », rappelle-t-il.
Et d’ajouter : « C’est un peu tôt pour tirer de telles conclusions, mais il est tout à fait légitime de penser que les mesures sanitaires dues à la COVID-19 ont eu un effet négatif sur l’immunité des enfants. C’est tout à fait logique d’un point de vue scientifique parce qu’il faut quand même au système immunitaire qu’il soit exposé à l’ennemie pour apprendre à le connaître et s’en défendre plus tard. »
Face à cette situation désespérante, certains parents franchissent le pas pour jeter leur dévolu sur les médicaments pour adultes, mais avec un dosage que seul un pharmacien est apte à préconiser.
« C’est incroyable! Il y a des épiceries qui en ont et chargent plus, jusqu’à 20 dollars de plus », nous dit Josy Bongiovanni, maman résidante de Toronto, reçu d’une pharmacie à l’appui. « J’étais chanceuse, car mon fils a 9 ans, ce qui a permis au pharmacien de nous donner la dose d’un médicament pour adultes. »
Conséquences directes sur les services d’urgence
Pour les autres qui ont des enfants en bas âge ou qui ne peuvent aller se ravitailler à l’étranger comme cette maman de Niagara qui a traversé la frontière américaine pour se procurer des médicaments pour son enfant et qui a préféré garder l’anonymat, il ne demeure d’autres choix que de se rendre aux services d’urgence pour enfants, ce qui, inexorablement, a un effet de surcharge sur ces derniers.
« Après 24 heures, et ne trouvant aucun médicament dans les pharmacies, l’état de notre enfant s’est dégradé. On a alors pris la décision de partir aux urgences avec un petit de 18 mois dans les bras et qui a 40 degrés de fièvre », relate Mme Ouaiss.
Et de poursuivre : « Et là, c’est la douche froide! On nous annonce à la réception 13 heures d’attente parce que 60 parents comme nous étaient là dans l’espoir de voir un médecin pour leur enfant. Moi, venant d’un autre pays, je ne pensais pas vivre cela au Canada. Le pire c’est qu’en disant à la réceptionniste que mon fils avait 40 de fièvre, la réponse était qu’il n’était pas le seul et qu’il n’y a juste pas assez de médecins. C’est une honte! »
Selon le ministère de tutelle, cette pénurie n’est pas prête d’être endiguée dans l’immédiat, les négociations sont en cours avec différentes parties du secteur, fabricants compris.
En attendant, les parents n’ont qu’à tenir le mal qui touche leur chaire en patience. Quant aux solutions, M. Mihaila préconise le côté humain : « À ce stade, la solution est humaine. Je conseille aux parents qui ont un pharmacien de famille régulier de l’appeler et lui demander de leur laisser une boîte lorsqu’il recevra sa prochaine livraison. »
Toutefois, Santé Canada recommande de ne pas en acheter plus que ce qu’il en faut pour des raisons évidentes d’équité.