
Pénurie d’emplois d’été : des jeunes découragés par un marché saturé

TORONTO – Depuis peu, il arrive d’observer en Ontario plusieurs dizaines de demandeurs d’emploi faire la queue aux portes de commerces qui affichent des postes vacants. Le croisement du nombre déclinant d’annonces d’emploi avec celui ascendant de candidats sur le marché crée une concurrence féroce, qui ne faiblit pas entre les jeunes en recherche d’emplois d’été.
« Parfois, je me sens pleine d’espoir au niveau des candidatures, mais aussi parfois, c’est frustrant de ne pas recevoir de réponses », soupire Maeva Revolus, une étudiante de 16 ans qui vient de quitter Brampton pour vivre à Hawkesbury.
Non seulement elle a envoyé une vingtaine de candidatures, elle publie régulièrement des messages d’appels sur les médias sociaux pour se rendre visible auprès de la communauté. Récemment, son expérience en bénévolat lui a permis de réaliser qu’un emploi d’été pourrait d’autant plus l’aider à vaincre sa timidité.
« C’est pour avoir de l’expérience et devenir un peu plus indépendante. Je voudrais économiser pour l’avenir aussi », explique l’adolescente.
À Toronto, Xavier Box, 16 ans également, recherche aussi un emploi saisonnier depuis plus d’un mois.

Il a distribué près d’une vingtaine de candidatures dans différents secteurs, « J’ai envoyé à plein de fast food, et aussi des SportChek ou des Canadian Tire », précise le jeune homme.
Mi-juillet, il n’a malheureusement pas reçu de retours. Toutefois le jeune homme s’attèle à des services de bénévolat dans des centres communautaires francophones dans la ville, mais aussi après de son quartier, où il tond la pelouse du voisinage.
« Je sais qu’il y a des gens qui cherchent depuis au moins deux ans. J’étais déjà au courant que ça allait être très compliqué. Je n’avais pas de grandes attentes », poursuit-il.
Alexandra Tillo est consultante en marketing ressources humaines senior chez Indeed Canada. Elle explique que par rapport à l’année dernière, on observe un recul de 22 % d’offres d’emploi saisonnier sur le marché.
« Ça a forcément un gros impact sur les jeunes qui cherchent du travail. Ça peut financer des voyages, des loyers. Il y a aussi le coût de la vie qui a énormément augmenté depuis 20 ans. Donc, c’est sûr que ça se ressent d’autant plus à ce niveau-là », détaille la consultante.
Au printemps, le taux de chômage des Canadiens de 15 à 24 ans s’élevait à 14.2 %. « C’est le double de la moyenne » de la population totale, déplore Alexandra Tillo.
Entre eux, les jeunes perdent une certaine confiance envers le marché du travail, ce qui peut créer une scission entre les jeunes générations et leur rapport au travail. Xavier l’a senti notamment au sein de son groupe d’amis. « Honnêtement, quand on en parle, on dirait qu’on n’y croit plus », raconte-t-il.
Une concurrence féroce
À Hawkesbury, Maeva remarque que les postes sont pourvus très rapidement. « Quand je vois un travail, je postule, mais après on me dit que c’est déjà pris. Même le bénévolat », défend-elle.
D’après madame Tillo, c’est ce qui résume principalement l’état du marché. « Je dirais que le principal défi que rencontrent les jeunes ou les travailleurs saisonniers, surtout cette année, c’est au niveau de la concurrence qui a énormément augmenté », souligne-t-elle.

En conséquence, c’est un marché plutôt favorable aux employeurs, où les critères d’embauche sont bien plus élevés qu’auparavant. La consultante note aussi que les employeurs sont plus prudents et se soumettent à des remises en question budgétaires plus fréquemment.
« Ça coûte très cher d’embaucher des employés saisonniers, ajoute-elle. Il y a le coût du recrutement, le coût de la formation. Il y a certains bénéfices auxquels ils ont accès. Et puis après, c’est une personne qu’ils savent qu’ils vont perdre. »
Entre emplois classiques et évolution du marché
Malgré tout, Alexandra Tillo observe que les entreprises demeurent engagées à s’ouvrir aux jeunes générations. Elle note par ailleurs des changements au niveau des types de postes traditionnels. En effet, les emplois d’été se sont transformés avec des secteurs d’activité qui seraient plus opportuns pour les jeunes, tels que la logistique, le commerce de détail spécialisé ou encore le service à distance de soutien technique.
Chaque année, les camps d’été redeviennent un secteur clé du marché de l’emploi saisonnier, où le besoin de main-d’œuvre se maintient. L’Association des Francophones de la Région de York (AFRY) recrute de manière active auprès de la communauté étudiante francophone torontoise.
Yasmine Malek Menasria en est la directrice générale. Elle offre chaque été 20 postes de supervision des camps. Elle confie avoir reçu 57 candidatures cette année.
« Il peut s’agir de postes administratifs, comme des agents de planification, des agents de projet, ou des postes directs avec les enfants. Ce n’est pas de jobs répétitifs. Souvent, ils adorent ça et ils veulent revenir », déclare madame Malek Menasria.
Ces recrues sont âgées de 15 à 26 ans et doivent commencer à postuler dès le mois de janvier. « On a des nouveaux arrivants, des gens qui sont établis ici depuis des années, on a des personnes qui sont là seulement pour l’été. Et ce sont tous des francophones, parce que c’est le critère premier », précise-t-elle.

Toutefois, Yasmine évoque des obstacles au recrutement auxquels les employeurs peuvent être confrontés aujourd’hui.
En tant qu’organisme sans but lucratif, l’AFRY est en mesure de recruter la majorité de ses animateurs grâce à des programmes nationaux et provinciaux, ainsi qu’en partenariat avec les conseils scolaires. Par exemple, Emplois d’été Canada (EEC), Jeunesse Canada au travail (JCT) ou encore le programme Perspectives d’emplois d’été permettent aux employeurs de couvrir les salaires des jeunes grâce à des subventions.
Toujours selon la directrice, certains critères mettent les employeurs en difficulté pour recruter, tels que celui du statut d’immigration dans un contexte où de nombreux étudiants détiennent un permis d’étude et sont donc inéligibles. Ainsi, les programmes tenus par les conseils scolaires eux-mêmes, où « c’est l’école qui commandite l’emploi » seraient l’orientation idéale, selon elle.
« Ces programmes-là passent à travers le filtre de restrictions du statut d’immigration. Ça pourrait vraiment aider quelques jeunes à trouver des emplois », constate-t-elle.
Pour Yasmine Malek Menasria, ces programmes motivent les employeurs à recruter. « Je trouve que ça, c’est quelque chose de très rassurant pour les employeurs. Le fait de savoir qu’un jeune a assisté à ce genre de programme, que ce soit sur la sécurité au travail, le sérieux, l’assiduité. Ce sont des choses que les étudiants ont besoin de savoir, surtout s’il s’agit de leur premier job », avoue-t-elle.
Les emplois d’été sont-ils en voie de disparition?
« On me demande tout le temps de l’expérience, mais si je ne travaille jamais pas, comment je vais avoir de l’expérience? », demande Maeva.
Rafael Gomez, qui dirige le Centre des relations industrielles et des ressources humaines de l’Université de Toronto, révèle que manquer d’opportunités pour des emplois d’été pourrait avoir un effet à long terme sur la carrière des jeunes.
« Les employeurs ont un rôle à jouer sur le marché du travail, pour leur donner leur première expérience professionnelle. Parce qu’une fois qu’ils ont de l’expérience, ils trouvent des emplois facilement », explique le professeur.
« Je suis vraiment prête à apprendre et à travailler fort. Je pense qu’ils devraient donner une chance aux jeunes pour leur permettre de grandir et d’acquérir de l’expérience pour l’avenir » martèle de nouveau Maeva. Pour le moment, elle a réussi à décrocher un entretien dans une épicerie et espère que sa candidature ait retenu l’attention.
De son côté, Xavier continue de prouver sa motivation auprès des employeurs « Je leur dis que je suis de bonne humeur et que je suis assidu », assure le jeune homme.