Petite révolution culturelle à Nipissing Ouest : entre risque et audace
NIPISSING OUEST – Le Conseil des arts de Nipissing Ouest (CANO) et le musée Sturgeon River jouent le tout pour le tout. Malgré un vent d’opposition, de nouveaux fonds publics sont injectés pour maintenir à flot ces organismes culturels. Cet argent neuf doit permettre de montrer de quoi ils sont capables et de courtiser de nouveaux publics, qu’ils soient francophones ou… anglophones.
« CANO avait exactement les mêmes problèmes que tous les diffuseurs francophones en Ontario, frappés par un vieillissement de leur clientèle. On servait les boomers et les aînés, puis la clientèle scolaire. Un fossé générationnel s’était donc creusé », confie Dany Poulin, directeur général du Conseil des arts de Nipissing Ouest. Il fallait revoir la formule, élargir l’offre et casser le moule, dit-il.
« On a fait une étude de marché, ce qui est ressorti, c’est qu’on a beaucoup de familles exogames dans la communauté et que notre programmation strictement francophone ne rejoignait pas la cellule familiale au complet », explique-t-il. « CANO arrivait dans un point d’étranglement et il fallait redéfinir la mission du diffuseur multidisciplinaire francophone que nous étions. Est-ce qu’on continue dans cette voie-là et on ferme les portes dans un an? Ou est-ce qu’on s’ouvre à la communauté et on crée de nouvelles opportunités? », lance M. Poulin.
Contenu bilingue
La décision a alors été prise de présenter des spectacles qui auraient aussi une composante en anglais. Une petite révolution pour l’organisme qui ne présentait jusqu’ici que des spectacles en français.
« On connait tous les combats pour la langue française. Oui, il faut être prudent dans le rapprochement entre les deux cultures. C’est pour ça que nous avons décidé de n’avoir que des artistes francophones, mais qui font du contenu bilingue sur scène », dit-il.
Un recul pour la francophonie? « C’est difficile de parler de recul, quand on voit les gens d’une même municipalité être ensemble, s’amuser pendant un spectacle d’un artiste francophone qui fait un répertoire bilingue », réplique-t-il.
Groupes hommages
Alors qu’au Québec, l’humour fait vivre les diffuseurs artistiques, à Nipissing Ouest, ce sont les groupes hommages qui cartonnent.
« Et les meilleurs groupes hommages à des bands anglophones sont… des francophones provenant surtout du Québec. Ils s’adressent donc à la foule en français », confie M. Poulin.
Cela ne veut toutefois pas dire que les groupes franco-ontariens sont boudés, nuance l’homme du spectacle. Swing et Gabrielle Goulet seront d’ailleurs prochainement en spectacle.
Partenariat municipal
Originaire du Québec, le directeur de CANO n’en revenait pas de constater que la municipalité n’était pas un partenaire financier de l’organisation.
« Les municipalités québécoises contribuent, car elles voient le potentiel touristique, culturel et économique. Ça participe à retenir la clientèle plus jeune et à améliorer leur qualité de vie », dit-il.
L’organisme a obtenu 100 000 $ sur 3 ans de la municipalité, soit 50 000 $ la première année et 25 000 $, les deux suivantes. De l’argent frais qui a permis à l’organisme de bâtir sa programmation à l’avance. C’est cependant bien loin de la somme exigée par CANO, initialement, soit 75 000 $ par année.
« On proposait un fort volet de tourisme culturel, mais on est retourné à la table à dessin », admet Dany Poulin.
Il a aussi invité le secteur privé à faire sa part. Douze entreprises ont levé la main, permettant l’entrée de 50 000 $ supplémentaires.
« On est dans une position encourageante. Moi, être un citoyen de Nipissing Ouest, je serais très encouragé et content de la tournure des événements. Que dans un budget de plusieurs millions, il y ait enfin une ligne budgétaire qui s’appelle Art et culture, c’est une bonne nouvelle. Ça permet que vous et vos enfants puissiez consommer de la culture ici, plutôt que d’aller à North Bay, Toronto ou Ottawa », lance-t-il.
Un « beau risque » aussi au musée
La dernière année a aussi été un laboratoire pour le Musée Sturgeon. Sa coordonnatrice, Renée-Anne Paquette, affirme qu’il fallait poser un geste pour stimuler l’intérêt pour l’institution.
« Nous étions seulement ouverts de mai à septembre, avant. Depuis onze mois, nous menons un projet pilote et sommes ouverts à l’année. On a aussi transformé le musée, créé une nouvelle salle interactive, on a développé de nouvelles activités, une nouvelle programmation annuelle », confie-t-elle.
L’institution qui raconte le récit des pionniers de la région et fait découvrir le monde autochtone a pu constater des retombées.
« Les deux derniers mois en témoignent. On a reçu huit écoles, de plusieurs régions, dont North Bay. Il y a plus de visiteurs. On fait aussi des visites dans les écoles pour faire découvrir nos collections », lance-t-elle.
Mais le projet pilote tire à sa fin.
« Évidemment, ça coûte un peu plus cher à la Ville qu’on soit ouvert douze mois par année. La question est simple : est-ce que la municipalité trouve que c’est important un musée dans notre communauté? », lâche Mme Paquette.
Une mairesse qui assume ses choix
Sur les réseaux sociaux, chaque décision de la municipalité qui implique l’octroi de nouveaux fonds publics est accueillie avec colère par certains internautes.
Il était pourtant grand temps que la municipalité donne un plus grand appui au secteur culturel, croit la mairesse Joanne Savage.
« Ce qui est en jeu, c’est l’attrait culturel de notre région », laisse-t-elle tomber. « C’était la fin de CANO, sinon. Au lieu de donner 100 000 $ immédiatement, c’est sur 3 ans que nous leur avons accordé ces fonds. L’organisme s’engage aussi à partager ses états financiers, ses statistiques et un membre de notre conseil municipal peut siéger à leur conseil d’administration », affirme-t-elle, insistant sur les exigences imposées à CANO.
Plus qu’un engagement envers la culture, c’est un geste économique, affirme-t-elle.
« Quand on regarde la démographie de notre région, c’est une combinaison d’âge. Ça fait partie de la qualité de vie, du divertissement, de la croissance. Si les gens doivent aller ailleurs pour voir un spectacle, il y a un impact économique. Ils vont aller souper ailleurs, ils vont aller magasiner dans une autre ville », croit Mme Savage.
Dans le cas du musée, une décision doit être prise au courant du mois d’avril, quant à la poursuite ou non des activités à l’année.