Pierre Dadjo : « L’AFO ne peut pas lever la voix contre les pratiques racistes »

Pierre Dadjo, porte-parole du nouvel organisme Notre Cause commune. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

L’ancien directeur du Conseil économique et social d’Ottawa-Carleton (CÉSOC), Pierre Dadjo, a lancé Notre Cause commune, un organisme de lutte contre le racisme, la discrimination ethnique et systémique dans la francophonie hors Québec.

CONTEXTE :

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario vient de lancer son congrès annuel et la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario, qui ambitionne de rassembler les organisations racisées, est en train de concevoir son plan stratégique.

ENJEU :

Lutter contre le racisme systémique et gagner sa place dans la francophonie requiert une organisation à part entière par et pour les personnes noires, selon M. Dadjo, afin d’atteindre l’avènement d’une « francophonie inclusive et forte de sa diversité ».

« Quels sont les objectifs de ce nouveau mouvement?

On a suivi tout un processus pour établir cinq objectifs clairs sur lesquels on va travailler. C’est d’abord de former les francophones racisés à connaître leurs droits, les rendre capables de les promouvoir et de les défendre sans complaisance. On a aussi l’intention d’amener tous les organismes et institutions francophones hors Québec à se doter d’une politique antiraciste et non discriminatoire. On veut en outre mesurer les impacts concrets des financements gouvernementaux sur la francophonie dans sa diversité, créer un site web où les personnes victimes de racisme feront connaître leurs histoires et construire des réseaux de lutte contre le racisme et la discrimination.

Mais n’êtes-vous pas en doublon avec la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario (CNFO) et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) qui se préoccupent en partie de cet enjeu?

Non, la Coalition poursuit un objectif plus large de regrouper les organismes. La question du racisme et de la discrimination est un défi majeur qui prend un outil pour travailler sur ces sujets-là. L’AFO ne réunit pas tout le monde mais représente les intérêts de tout le monde. On peut avoir plusieurs organismes qui luttent contre le racisme qui est un fléau. Je ne crois pas qu’un organisme puisse être un handicap pour l’autre. On peut se compléter et bien travailler ensemble.

Estimez-vous que l’AFO n’a pas su défendre les intérêts de la communauté dans sa diversité et, notamment, la lutte contre les discriminations?

L’AFO n’a jamais été sur le champ de la lutte contre le racisme. Je ne l’ai jamais entendue sur ce sujet. Elle a sa raison d’être mais ne représente pas tout le monde. Les résultats de son comité des minorités raciales et ethnoculturelles sont nuls. L’AFO ne peut pas lever la voix contre les pratiques racistes et discriminatoires qui s’exercent au sein d’organismes francophones qui en sont membres. Il faut une structure à part pour rendre cette francophonie plus représentative et faire que le racisme ne soit plus un tabou.

Pourquoi selon vous, l’AFO ne représente pas, ou mal, cette francophonie diverse?

Une personne noire ne peut pas ouvertement dire ce qu’elle attend d’une personne blanche. Il y a cette peur. On doit se sentir libre de dire ce que l’on croit vraiment, dans le respect. Mais ce n’ai pas tout le monde qui peut le faire parce qu’il y a un fonds de racisme dans cette démarche. Le noir peut penser que le blanc est supérieur à lui. Il y a cette crainte très forte dans la communauté. C’est un sentiment qui tue. Des victimes et des situations, j’en connais des tas. Mais dans le milieu, les gens ne peuvent pas le dire car ils ont peur. Ils me disent : « Si j’en parle, je vais être barrée de tout au sein de la francophonie ». Du son côté, l’homme blanc a reçu une certaine éducation qui l’influence. Les étiquettes jouent contre nous. Elles ne sont pas exprimées mais sont dans le subconscient. Est-ce que mes enfants et bientôt mes petits-enfants vont vivre dans un pays de préjugés non exprimés et qui constituent les causes profondes de leur incapacité d’aller plus loin?

Au-delà des individus, les organismes ont-ils leur part de responsabilité, d’après vous?

Pourquoi les paliers de gouvernement considèrent-ils que c’est à travers l’AFO que ceci ou cela doit passer, sans s’assurer que cet organisme-là est représentatif des communautés qui constituent la francophonie et qu’elles jouissent d’un même droit? C’est du racisme car l’AFO, en tant que telle, n’est qu’une structure. On lui donne donc un chèque en blanc et, par la suite, la génération à venir fera des excuses pour les torts du passé. On doit travailler pour éduquer les gens et amener une dynamique dès maintenant car personne ne s’occupera de vous si vous ne vous occupez pas de vous-même. L’immigration, on s’en est occupé nous-mêmes depuis 30 ans. On va faire pareil avec le problème du racisme et de la discrimination qui nous empêche de prendre notre place dans la francophonie. »

L’AFO n’a pas souhaité commenter la création de cette organisation ni les propos tenus par son porte-parole