​« Pisser dans toutes les directions »

Bob Chiarelli, ministre de l'Infrastructure de l'Ontario. Archives, #ONfr

[ANALYSE]

Le ministre Bob Chiarelli n’avait peut-être aucune arrière-pensée sexiste lorsqu’il a accusé, mercredi 4 mai, la chef néo-démocrate Andrea Horwath de « pisser dans toutes les directions » alors qu’elle s’éparpillait un peu dans ses questions à l’Assemblée législative de l’Ontario.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Mais le moment ne pouvait pas être plus mal choisi.

Les comportements misogynes et sexistes sont sous la loupe à Queen’s Park depuis qu’une « blague » franchement déplacée du progressiste-conservateur Jack MacLaren à une députée fédérale a valu à l’élu de l’Est ontarien, il y a quelques semaines, une rétrogradation temporaire et un laissez-passer pour une formation de sensibilité.

Et avec raison.

Si les femmes prennent davantage la place qu’il leur revient sur les banquettes du pouvoir et de l’opposition et dans l’entourage des politiciens, la mentalité de « boys club », elle, reste bien imprégnée dans les boiseries anciennes de l’édifice législatif.

La première ministre Kathleen Wynne tente de changer le discours par rapport au harcèlement et à la violence sexuels. L’an dernier, elle a lancé à grand renfort de publicité sa stratégie Ce n’est jamais acceptable, dotée d’une enveloppe de 41 millions $ sur trois ans pour aider les femmes à dénoncer et à surmonter les abus.

Force est d’admettre que la chef libérale a du travail à faire dans son propre lieu de travail. Et au sein de son propre gouvernement.

Or, Mme Wynne, loin de condamner les propos de M. Chiarelli, a d’abord laissé entendre que son ministre de l’Énergie avait été mal cité. L’enregistrement est pourtant clair. L’élu d’Ottawa s’est bel et bien abaissé à parler de pipi dans le parlement provincial.

La révélation par la première ministre, cette semaine, de deux incidents d’inconduite sexuelle au sein de son caucus laisse aussi pantois. Elle a d’abord refusé d’identifier les présumés fautifs, citant des questions de confidentialité. Puis, elle a jeté aux lions l’ex-député Kim Craitor, de Niagara Falls, qu’elle aurait forcé à démissionner en 2013 à la suite d’une enquête interne. Et l’autre? Qui est-il? Siège-t-il toujours?

On comprend que les victimes d’inconduite sexuelle ne veulent pas toujours que leurs témoignages se retrouvent sur la place publique ou devant les tribunaux. On n’a qu’à revoir le procès de l’ancien animateur de radio Jian Ghomeshi pour s’en convaincre.

La chose à faire

Il y a un an et demi, Justin Trudeau, alors qu’il était dans l’opposition à Ottawa, n’a pas hésité à expulser deux de ses députés à la suite d’allégations d’inconduite sexuelle. C’était la chose à faire. Il a montré à tout le monde que de tels comportements ne sont « jamais acceptables ». Et il a laissé les victimes décider de la suite des choses en toute confidentialité.

Ce n’est pas dans l’intérêt de Mme Wynne de balayer les allégations d’inconduite de ses députés sous le tapis. C’est une bombe à retardement. Surtout si elle se permet, comme dans le cas de M. MacLaren, de faire la morale à ses rivaux.

Le chef progressiste-conservateur Patrick Brown n’est pas, non plus, sans reproche. Il a mis beaucoup de temps à réprimander M. MacLaren. Et c’est peut-être la découverte de faux témoignages d’appréciation sur le site Internet du député, bien plus que sa « blague » sexiste, qui lui a valu d’être mis en pénitence pendant un moment.

Andrea Horwath a raison de s’indigner. Et c’est de bonne guerre qu’elle réclame la démission de M. Chiarelli. Mais n’oublions pas que la chef néo-démocrate a été, elle aussi, très avare de commentaires lorsqu’un de ses candidats dans la région d’Ottawa a fait l’objet d’allégations d’agression sexuelle sur une jeune bénévole peu après les élections de 2014.

Le signal qu’envoient les élus à Queen’s Park est que « ce n’est jamais acceptable »… jusqu’à ce que ça devienne politique.

Cette analyse est publiée également dans le quotidien LeDroit du 7 mai.