Place des Arts du Grand Sudbury : place… à l’architecture!

Crédit image: ONFR+

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

D’un rêve imaginé pendant plusieurs années, la Place des Arts du Grand Sudbury s’incarne désormais concrètement dans la réalité, en trois dimensions.

Dans ce nouveau haut lieu des arts et de la culture en Ontario français qui rassemble sous un même toit une pléiade d’organismes phares de la communauté, rien n’a été laissé au hasard et tout été pensé jusque dans les moindres détails, dans un édifice qui fait une belle part au premier art : l’architecture. En ce lendemain d’ouverture officielle, cette chronique peut se lire comme une visite guidée.

Un symbole architectural franco-ontarien

En 2017, le choix de l’équipe d’architectes qui réalisera le design, les plans et les devis du futur édifice de la Place des Arts est révélé. C’est le consortium composé de Yallowega Bélanger Salach Architecture et Moriyama & Teshima (YBSA+MTA) qui est retenu pour ce projet de 30 millions de dollars.

Fondé en 1964 sous le nom Townend Stefura & Baleshta Architects, ce cabinet d’architecture de Sudbury est l’un des plus prolifiques de la ville depuis plus de 50 ans. Sans si limiter, on compte à son actif divers bâtiments liés aux institutions franco-ontariennes telles que le pavillon Alphonse-Raymond de l’Université Laurentienne (1967), la nouvelle église Sainte-Anne-des-Pins (1996), plusieurs écoles dont l’École secondaire catholique Sacré-Cœur (2003) de même que l’École de Médecine du Nord de l’Ontario (2003) et l’hôpital Horizon Santé-Nord (2010).

Avec ses bureaux à Toronto et Ottawa, Moriyama & Teshima s’est spécialisé depuis 1970 en architecture de l’éducation postsecondaire et institutionnelle étatique. Dans la capitale canadienne, le pavillon Desmarais de l’Université d’Ottawa (2007) et le Musée canadien de la guerre (en consortium, 2005) portent leur signature.

Dès sa conception initiale jusqu’au dévoilement des plans en 2019, un réel souci de marquer le paysage architectural et imaginaire en créant un symbole identitaire franco-ontarien est exprimé : « Cette nouvelle infrastructure de pointe sera notre signature comme francophones, une autre façon d’exprimer qui nous sommes », déclarait dès 2017 l’architecte principal de Yallowega Bélanger Salach Architecture et Franco-Sudburois, Louis Bélanger.

Vue aérienne de la Place des Arts du Grand Sudbury. Crédit image :  Léo Ducette

D’une superficie de 40 000 pieds carrés, le centre artistique multidisciplinaire de quatre étages qui comprend en son sein une grande salle de spectacle de 299 places, un studio multifonctionnel, une galerie d’art contemporain, un bistro avec terrasse, une boutique-librairie, un centre artistique de la petite enfance et des espaces de bureau.

Situé en plein centre-ville à l’angle des rues Elgin et Larch, la Place des Arts s’élève sur l’ancien emplacement de l’hôtel King Edward. Bâti en 1905 (puis démoli en 1964), cet hôtel comprenait un singulier coin arrondi. Cette caractéristique architecturale unique pour Sudbury, inspira la conception de l’entrée principale de la Place des Arts par l’architecte Louis Bélanger, croit Donald Dennie, historien et sociologue anciennement professeur à l’Université Laurentienne.

Les revêtements extérieurs de l’édifice mettent en valeur son imposante volumétrie rectangulaire, particulièrement en vogue en architecture contemporaine. Le mur rideau sur la rue Elgin composé de grandes fenêtres recouvre presque entièrement la façade ouest des deux étages supérieurs et offrent une magnifique vue panoramique vers l’ouest de la ville.

L’acier Corten (dit acier autopatiné) recouvre la majeure partie des façades des rues Medina et Larch. Créé au début du 19e siècle, cet acier est un matériau riche et résistant qui développe sa propre patine. Le processus d’oxydation de l’acier le fait passer graduellement de la couleur du grise au rougeâtre et rouillé sous l’effet des conditions atmosphériques et météorologiques.

Pour ses concepteurs, l’acier Corten représentait un revêtement extérieur symbolique idéal de la façade de la Place des Arts parce qu’il rend, des dires de l’architecte Bélanger, de par sa composition et de sa couleur qui rappelle les minerais typiques du Nord ontarien un « hommage à un passé assumé qui continuera d’alimenter la vitalité de la communauté franco-ontarienne ».

Des vestiges du passé franco-ontarien mis en valeur

Une vision s’est rapidement imposée dès le début du processus de design de la Place des Arts au sein des organismes fondateurs, qui cumulent ensemble 300 ans d’existence. Conscients de ce qu’ils doivent aux générations qui les ont précédées, il était impératif pour eux que leur Place des Arts intègre à son design intérieur des éléments de matériaux culturels chargés de symbolisme qui rendent hommage à l’histoire de la communauté franco-ontarienne, à son enracinement à Sudbury et dans le nord de l’Ontario.

Des recherches et appels à tous se sont multipliés pour dénicher, repérer et rescaper des vestiges du passé, ces anciens objets et matériaux dignes d’intérêt qui ont marqué l’évolution de la communauté sur le plan culturel, artistique, historique, associatif, géographique, industriel, ouvrier et minier. L’excavation du site de la Place des Arts a déterré nombre des anciennes briques rouges de l’hôtel King Edward enfouies là depuis la démolition de l’édifice. Quelques-unes de ces briques auront une deuxième vie dans le décor intérieur de la Place des Arts.

On y trouve aussi des briques du probablement plus ancien bâtiment de Sudbury et lieu de convergence francophone pendant des décennies, le presbytère patrimonial Ste-Anne (bâti en 1889); de l’Hôpital St-Joseph (1920) premier hôpital bilingue de Sudbury fondé en 1898 par la congrégation religieuse des Sœurs de la Charité d’Ottawa; de la maison d’enfance à Sturgeon Falls de l’écrivain et critique littéraire de renommée nationale Jean Éthier Blais (1925) et de l’École primaire Ste-Thérèse à Hearst (1929, démolie en 2015).

La galerie d’art contemporain abritée par la Place des Arts. Crédit image : Simon Lefranc

Le patrimoine scolaire est aussi mis en valeur dans le design intérieur de la Place des Arts avec des carreaux de plafond de l’École Saint-Louis-de-Gonzague (première école francophone élémentaire de Sudbury, ouverte en plein Règlement 17 et édifice patrimonial désigné en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario depuis 2020); un magnifique vitrail du Collège du Sacré-Cœur (1913-1967); des projecteurs de l’auditorium Sheridan du Sudbury High School (1951) et des casiers de l’École secondaire Macdonald-Cartier (1969), première école secondaire publique de langue française à Sudbury et l’une des premières de la province.

Des poutres de pin blanc coupées à Sudbury au XIXe siècle puis exportées à Chicago après son incendie ravageur de 1871 reviennent au bercail alors que des planches produites à l’Île-aux-Chênes (dans le lac Nipissing), le mythique lieu de colonie de vacances estivales francophones pour jeunes de 1945 à 1981, y trouve une nouvelle maison dans la Place des Arts.

Afin d’orner un mur du bistro, des moules à pain ont été récupérés de l’ancienne boulangerie Canada Bread (bâtie en 1947) qui abrita le Théâtre du Nouvel-Ontario de 1982 à 1997 dans le quartier historiquement francophone et ouvrier du Moulin-à-Fleur.

Bien que la Place des Arts soit flambant neuve, la mémoire franco-ontarienne y est sans cesse commémorée au propre comme au figuré à l’extérieur et à l’intérieur du premier centre artistique et culturel multidisciplinaire du nord de l’Ontario. De par son design et sa conception architecturale, l’édifice incarne véritablement en lui-même un hommage structurant à notre histoire collective, à la hauteur de la réputation de l’effervescence culturelle franco-ontarienne inédite dans les années 1970 dans la même région.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.